Médias d’information : leur avenir ne leur appartient plus

Même au conditionnel et malgré quelques signes d’amélioration après deux années terribles, c’est bien le dur constat 2011 de la fameuse étude annuelle de l’Institut Pew sur l’état des médias américains, publiée cette semaine.

« Un nouveau défi, encore plus fondamental pour le journalisme, a surgi l’an dernier de manière claire. Le plus gros problème à venir n’est probablement pas le manque d’audience ou même de nouveaux revenus. En fait, il se pourrait bien que, dans le nouvel univers numérique, les médias d’information ne soient plus en mesure d’avoir prise sur leur propre avenir ».

Ouch ! Rien que ça !

Que se passe-t-il de nouveau ?

Simplement l’accélération de la désintermédiation.

« A chaque avancée technologique, viennent s’intercaler un peu plus de complexité et de nouveaux acteurs entre les producteurs traditionnels d’informations, leur audience et les annonceurs ».

Dans le numérique, les médias traditionnels dépendent de plus en plus de réseaux publicitaires indépendants pour vendre leur pub, d’agrégateurs (comme Google) et de réseaux sociaux (comme Facebook) pour accroître leur audience, des constructeurs (comme Apple), des fabricants de logiciels et d’OS pour réussir dans la mobilité. Evidemment, ils prennent tous une part de leurs revenus et, pire, contrôlent souvent les données de leurs consommateurs.

Or, estime Pew, « ce sont ces données qui risquent d’être l’élément déterminant. Dans un monde ou les consommateurs décident quelles infos ils veulent et la manière dont ils veulent y avoir accès, l’avenir appartiendra à ceux qui comprendront l’évolution des comportements du public et pourront cibler contenus et pubs adaptés à chacun. Cette connaissance et l’expertise pour l’obtenir, sont l’apanage de plus en plus des sociétés technologiques qui oeuvrent en dehors du journalisme ».

« Au 20ème siècle, les médias étaient indispensables pour toucher le consommateur final. Au 21ème, il y a de plus en plus une nouvelle intermédiation assurée par les développeurs de logiciels, les agrégateurs de contenus et les fabricants de matériel qui contrôlent l’accès au public. Les médias d’informations, lents à s’adapter et culturellement plus liés à la création de contenu qu’à sa fabrication, se retrouvent dans une position passive et non active pour déterminer leurs modèles d’affaires ».

D’autant que « le rythme des changements s’accélère ».

Aujourd’hui, la mobilité est déjà devenue un facteur important et va encore croître. Près de la moitié des Américains (47%) s’informent déjà, pour ses infos locales, sur un appareil mobile. En janvier, 7% des Américains possédaient une tablette !

La migration de l’info vers le web continue aussi d’accélérer. L’an dernier toutes les plateformes de distribution d’infos ont vu leur audience stagner ou reculer, sauf une : le web. Même la TV du câble qui résistait bien depuis dix ans s’est mise à piquer du nez.

Mais ce sont les journaux – les seuls l’an dernier à continuer à reculer-- qui souffrent le plus, preuve que leurs problèmes structurels sont plus graves que ceux des autres médias. Entre 1.000 et 1.500 emplois y ont encore été perdus en 2010; leurs rédactions sont désormais plus petites de 30% par rapport à 2000.

Autre étape importante franchie par le numérique : pour la première fois aussi, les Américains ont dit s’informer davantage par le web que par les journaux. Il n’y a que la télévision pour faire mieux mais l’écart là aussi se comble.

Coté revenu un palier identique a été franchi : la publicité sur Internet aurait ainsi dépassé pour la première fois celle des journaux. « Mais le souci c’est que la plus grande  partie – et de très loin-- de ses revenus publicitaires en ligne va vers des acteurs non liés à l’info, en particulier les agrégateurs ».

Journalisme :

L’année 2010 a marqué par une autre nouveauté : les suppressions d’emplois dans les journaux ont été compensées par les embauches dans les nouveaux grands acteurs nationaux de l’info. Ces derniers, qui, jusqu’ici, se contentaient souvent d’agréger des infos se sont mis à produire eux-mêmes. Yahoo a ainsi renforcé ses équipes de plusieurs douzaines de journalistes généralistes, sportifs et financiers. AOL faisait travailler 900 journalistes, dont 500 sur ses sites locaux Patch, avant d’en faire partir 200 après son rachat du Huffington Post. Blooomberg devrait avoir 150 journalistes fin 2011 rien que dans son bureau de Washington, News Corp (Murdoch) aurait embauché entre 100 et 150 personnes pour The Daily (iPad).

Diversification, sélection, curation :

Autre tendance : celle des sites communautaires qui mettent autant d’énergie à s’assurer de nouvelles sources de revenus et affiner leur audience qu’à créer des contenus. Beaucoup disent aussi qu’elles trient et utilisent ceux de leur audience.

Rédactions :

« Petit à petit, et parfois à contre cœur, nouveaux et vieux médias commencent à se ressembler (…) car les rédactions traditionnelles ne ressemblent pas à ce qu’elles étaient avant la récession. Elles sont plus modestes, leurs ambitions aussi. Selon leurs responsables, elles sont aussi plus flexibles, plus jeunes, plus engagées dans des présentations multimédias, des agrégations de contenus tiers et des blogs ».

Avantage : les rédactions sont plus nerveuses et enclines à expérimenter. Inconvénient : des trous et des impasses dans les couvertures.

Autre risque : la dé-professionnalisation, en raison de salaires tirés à la baisse, de moindre formation, des demandes d’aller plus vite, de faire plus avec moins.

AUTRES TENDANCES CLES

  • Les nouveaux dirigeants, voire les propriétaires, ne viennent plus du secteur de l’info.
  • Les progrès pour faire payer l’info ont été plus lents que prévus, mais quelques signes apparaissent laissant penser que c’est possible.
  • Loins d’être plus simples, les outils de mesure de l’info en ligne sont devenus plus confus.
  • L’info locale demeure un vaste terrain en friche et à fort potentiel.
  • Consensus vraisemblable sur un modèle économique de l’info qui sera fait de sources de revenus plus nombreuses et plus compliquées qu’avant.
  • La modeste reprise du secteur des médias est notamment due au plan de sauvetage de l’industrie automobile américaine.