Journalisme 3.0: le pari de la radio publique suédoise

Journalisme 1.0 (médias traditionnels) + Journalisme 2.0 (médias sociaux) = Journalisme 3.0

C’est la formule, semble-t-il gagnante, tentée depuis un an par la radio publique suédoise pour sauver le journalisme, a révélé vendredi, à Londres, la directrice de Sveriges Radio (3 stations nationales et 27 locales).

« Nous voulions survivre et sauver le journalisme, il nous a fallu le réinventer. Donc créer des contenus originaux, ne pas attendre que l’audience vienne à nous, mais au contraire amener ce contenu à l’audience, la faire participer et animer la conversation», a expliqué Cilla Benkö, l’énergique directrice générale du plus important média public suédois lors d’une conférence organisée par Polis, le think tank nouveaux médias de la LSE.

Il y a un peu plus d’un an, la radio décide donc de changer de stratégie et d’adopter le reportage et la diffusion à 360°.

« Un pari d’autant plus audacieux que cette radio était, jusque là, l’entreprise du pays en qui les Suédois avaient le plus confiance », souligne Benkö.

Cette réinvention est d’abord passée par la diffusion des programmes sur Spotify (+110.000 auditeurs en un mois) et autres plateformes de distribution web comme iTunes, la création d’un player audio, qui avec les contenus de la radio ont été mis à la disposition des autres médias, y compris des concurrents.

Puis le nouveau rôle des « journalistes 3.0 » a été défini lors d’un séminaire de deux jours où les propositions de la rédaction ont rejoint celles de la direction. Un guide a été mis en ligne (Qu’est ce que le journalisme ? Qui est journaliste ? …) et le débat s’est enrichi.

Les grands principes du « journalisme 3.0 » :

  • Dialogue entre la rédaction et l’audience avant les choix de sujets à couvrir.
  • Participation active de l’audience
  • Net accroissement de la personnalisation et de l’engagement des journalistes
  • Accent mis davantage sur les contenus locaux.
  • Plus grande différentiation des contenus
  • Fiabilité plus que jamais cruciale.

En pratique cette réinvention est passée notamment par :

  • l’obligation pour tous les journalistes d’être sur Twitter
  • un dialogue régulier avec l’audience au sein de forums
  • des couvertures en direct assorties de chats menés par des experts du sujet
  • des commentaires modérés par un expert du sujet
  • l’ouverture de blogs d’experts où se développe l’info, qui passera ensuite à l’antenne
  • la création d’un réseau pour le public avec une expérimentation autour du station locale dans le nord du pays où les 300 membres inscrits proposent un ou deux sujets par jour et orientent la rédaction vers des sujets qu’elle n’aurait pas choisi. Conséquence immédiate: des auditeurs nouveaux qui ne venaient pas avant !
  • la création d’un poste d’éditeur des médias sociaux sur une chaîne web et mobiles d’infos 24/7 (qui ne passent pas nécessairement à l’antenne)
  • la création d’un poste d’éditeur de l’audience pour organiser et modérer des débats sur le web autour de quelques sujets d’infos.

« Bien sûr, ajoute la directrice, beaucoup de reportages sont fait de manière classique (Journalisme 1.0) mais leur distribution est aussi désormais sociale ».

Les journalistes sont-ils tous convertis ?

« Aujourd’hui plus de la moitié de la rédaction est engagée dans ce processus nouveau. Le plus actif sur Twitter est le rubricard de l’éducation. Un journaliste dans la soixantaine qui demande constamment la contribution de sa communauté pour son travail  (…) Certains l’utilisent aussi pour s’aider à vérifier des informations (…) Aucun de nos très stricts standards journalistiques n’a été modifié ».

Mais est-ce rentable ?

« C’est certain, vous ne pouvez pas faire beaucoup d’argent avec le journalisme 3.0. Mais c’est transposable dans le privé. D’ailleurs, si les médias privés veulent survivre, ils vont s’apercevoir de l’importance de cette conversation et devront investir dans cette nouvelle forme de journalisme ».

D’autres panels ont abordé l’importance de ces nouvelles formes de contribution du public.

« En cherchant les meilleurs textes, photos et vidéos, Il s’agit plus de trouver la sagesse dans la foule et non la sagesse de la foule », a résumé Claire Wardle de Storyful, qui fournit des contenus sociaux triés et vérifiés aux rédactions traditionnelles.

« C’est l’Epiphanie des médias traditionnels : ils découvrent qu’ils peuvent utiliser ce que l’homme de la rue dit ! » ajoute Solana Larsen de Global Voices, qui a recours à 700 blogueurs dans le monde et publie son fil d’infos en 20 langues. « Aujourd’hui, les journalistes qui réussissent le mieux sont ceux qui sont le plus engagés avec leur audience ».

« D’ailleurs dans les moments de crise politique dans un pays, il est de plus en plus difficile de faire la différence entre journalistes et blogueurs (….) En Russie par exemple, il y a un nouvel équilibre entre les citoyens et le gouvernement. La question n’est pas celle des médias sociaux, mais de ce que veut dire aujourd’hui être citoyen», estime le russe Gregory Asmolov, chercheur à la LSE.

En résumé, des gens qui ont pris la parole.