Reporter à la BBC: "inimaginable de sortir pour faire un seul papier !"

"Aujourd'hui, il est inimaginable pour moi d'avoir une quelconque autorité pour proposer un reportage et obtenir son financement si c'est pour déboucher sur un seul papier", résume David Shukman pour décrire sa mutation vers le journalisme multimédia, entamée en 2006.

La cinquantaine, ce grand reporter, rubricard "Science" très connu de la BBC, qui planchait cette semaine à Budapest devant les responsables de la formation des groupes audiovisuels publics européens (UER), a fourni un exemple détaillé et… passionné de sa conversion, s'appuyant sur son dernier reportage cet été sur la fonte accélérée des glaciers de l'Arctique.

"Dans le monde de la TV d'avant, ce reportage d'une semaine avec trois personnes au delà du cercle polaire norvégien, aurait donné lieu à un unique reportage de 3mn30''dans le grand journal du soir de BBC News. Mais aujourd'hui, comme journaliste, notre but lors de nos voyages, est d'être visible le plus largement possible, sur toutes les plateformes, avant, pendant et après l'événement", explique Shukman.

Dans le nouveau monde de l'info multimédia ("une rédaction, pleins de médias"), cette expédition, avec les mêmes 3 personnes (journaliste, cameraman et producteur) a produit au terme de 2 heures de tournage:

  • le fameux 3mn30'' dans le grand journal du soir
  • des vidéos pour d'autres journaux TV, des vidéos pour le web
  • 33 directs depuis l'Artique (dont 16 pour les radios)
  • un documentaire de 22 mn
  • un long papier pour le web (incluant sa vidéo + vidéos et graphiques ajoutés au desk à Londres)
  • un billet de blog la veille des grands directs.
  • les photos à partir des vidéos
  • quatre trailers et un compte à rebours pour les promos.

Souvent les formats très différents ont bien sûr contraint à des approches adaptées de ce même sujet.

Son financement (10 K £) fut partagé avant le départ entre :

  • la rédaction principale BBC News (5 K £)
  • l'unité documentaire (1,5 K £)
  • l'unité web "on demand" (1 K £)
  • le programme "Today" (radio BBC pour 1 K£)
  • GNS (30 radios locales BBC pour 500 £)
  • WNA (décrochages US pour 1 K $)

La semaine sur place (après 4 vols pour arriver sur place) fut découpée en trois :

  • préparation, repérage et tournage (5 jours)
  • édition et processing de tous les contenus, texte, photos, vidéos (une journée non stop)
  • directs avec les antennes (une journée non stop)

La réussite de l'opération a été permise par les compétences multimédias de TOUS les équipiers:

  • le journaliste  (qui a même réalisé lui-même un tournage sous l'eau avec une caméra Go-Pro)
  • le cameraman (qui sait aussi éditer des photos, du son et produire des contenus en "live Internet")
  • le producteur (qui organise tout et assure la liaison avec tous les contacts différents à Londres pour la diffusion).

"Elle est aussi permise car la technique est aujourd'hui beaucoup plus facile".

"Il est loin le temps où il n'était pas question pour un reporter des networks US de jamais toucher au matériel !".

"Il a même fallu apprendre à tirer au revolver : c'est obligatoire en Norvège d'en porter un sur la banquise en raison des ours polaires !".

Mais les limites de l'exercice ne sont pas minces :

  • "La courbe d'apprentissage est raide sur le terrain : tout le monde ne peut pas le faire. Il faut une compréhension claire des limites des individus et du sujet couvert et beaucoup de préparation". "C'est impossible d'avoir cette démarche pour du breaking news quand il y a des deadlines importants et une forte concurrence.
  • Mais aussi importante à Londres dans la rédaction : Non seulement les dix équipes concernées ne se parlent pas, mais elles se fichent complètement de votre relation aux autres. Difficile à vivre depuis le terrain de reportage. Sans compter ceux qui se croient encore plus importants que les autres et qu'il faut +masser+ depuis le terrain de peur qu'ils ne passent pas votre reportage ! ".
  • "Comme aucune des équipes ne se sent responsable de votre reportage, vous ne recevez aucun feedback général sur votre travail".

What's next ?

  • Tweeter tout au long du reportage pour faire du teasing!

Pourra-t-on rester à trois?

  • "Nous l'avons déjà fait à deux, mais il faut absolument qu'ils aient, tous les deux, des compétences multi-médias.
  • En même temps, j'ai déjà rencontré des journalistes plus jeunes, extrêmement à l'aise avec cette forme de journalisme et les nouvelles technologies, et qui le font… seuls ! ".