Lawrence Lessig : ne criminalisez pas toute une génération !

J'avais été très fier, voici quatre ans, d'avoir fait venir au jeune Forum d'Avignon, le juriste américain Lawrence Lessig, co-inventeur des creative commons, mais aussi Robin Sloan, inventeur média (Current TV, Twitter, auteur du prémonitoire EPIC 2014), l'économiste Umair Haque, directeur du Havas Media Lab, John Thackara fondateur de Doors of Perception, et mon ami suédois Christer Windelov-Lidzelius, patron la formidable école danoise de "design thinking" Kaos Pilot avec ses étudiants, qui avaient bousculé Sarkozy lors de l'édition 2011.

En 2009, à l'issue du Forum, Lessig m'avait confié sa stupéfaction de voir l'establishment culturel français figé dans des modes de pensée "datant du Moyen Age" dans leur vision des nouveaux usages numériques, du développement d'Internet et de l'évolution de la propriété intellectuelle.

Il est revenu cette année en Avignon et il m'a redonné son sentiment ce week-end :

  

Transcript : 

"Donc je suis revenu, pour voir s'ils étaient sortis du Moyen Âge ici en Avignon. Mais je n'en suis pas encore convaincu, car il y a toujours ce débat grossier, simpliste, binaire, qui voudrait qu'il y ait d'un côté ceux qui soutiennent le droit d'auteur et de l'autre les pirates, les gens qui s'opposent au droit d'auteur.

C'était un débat intéressant dans les années 90, le milieu des années 90, mais très vite je pense que le débat a progressé pour reconnaitre qu'il fallait, bien sûr, un système de protection du droit d'auteur et de protection des artistes, mais la question est de savoir surtout de quelle façon le droit d'auteur doit protéger l'artiste.

Par exemple quand les Allemands parlent d'une taxe culturelle (sorte de licence globale), taux unique imposé, collecté et redistribué aux artistes en fonction de la popularité de leur travail, c'est un moyen de compenser les artistes. La question est de savoir si c'est un meilleur moyen de compenser les artistes à l'ère numérique, plutôt que de chercher à contrôler absolument tous les moyens de distribution.

A mon sens, oui, c'est un meilleur moyen.

Un meilleur moyen car 1/ l'artiste va gagner plus d'argent 2/ les sociétés pourront innover de manière plus ouverte et avec plus de confiance dans ce nouvel environnement juridique légal. Mais la chose la plus importante pour moi, c'est 3/ nous n'allons pas ainsi criminaliser toute une génération de jeunes. Des jeunes qu'on qualifie aujourd'hui de criminels, d'immoraux, comme l'a décrit aujourd'hui ici un professeur de littérature. Immoraux car ils partagent des oeuvres créatives. Ils ne seront plus immoraux lorsqu'ils feront exactement ce que la loi les autorise à faire dans le contexte naturel de l'Internet.

Et c'est dans cette direction que le débat devrait s'orienter plutôt que de moraliser sur le fait de savoir si les gens sont pour ou contre le droit d'auteur."    

Interrogé durant la conférence sur les différences entre les Etats-Unis et la France sur ces sujets, il avait été aussi sévère :

"Il n'y a pas de différence entre les jeunes ici et en Amérique. Ils constituent dans les deux cas une force libératrice. Mais il y a une différence fondamentale au niveau des élites américaines et ici en Europe où elles n'ont toujours pas compris l'importance de cette plate-forme. Mais vous savez, à la longue, les élites meurent, et les jeunes prennent le pouvoir!"