Faire moins chiant, devise du nouveau journalisme

Le public veut des infos plus constructives et une approche plus positive de l’actualité, nous dit cette semaine le baromètre annuel de La Croix. C’est justement la recette gagnante des nouveaux sites d’informations à succès : sortir des codes propres à l’information traditionnelle pour traiter l’actualité (au moins une partie de l’actu !) sous une forme avantageuse, positive, voire réjouissante.

C’est le parti pris, on l’a vu, de BuzzFeed (130 millions de v.u), mais aussi d’UpWorthy, site d’infos qui a connu la plus forte croissance de l’histoire des médias en ligne (50 millions de v.u. en 18 mois) ou d’Elite Daily (40 millions en 2 ans), ou même de Circa.

Mixant tous contenus originaux et trouvés sur le web, et donc affichant de facto une conversation avec l’audience, ils entendent bien capter une partie de l’attention volage des jeunes ; comptant, pour leur distribution, sur leur frénésie de partage sur les réseaux sociaux, notamment via mobiles.

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The Daily Show de Jon Stewart et le Colbert Report avaient réussi à donner depuis des années un ton décalé -- souvent détourné-- à l’info. Le web accélère le mouvement avec ses puissants leviers, sa grammaire, ses outils : articles-listes, remix, gifs, infographies interactives, visualisation de donnés, vidéos très courtes Vine, Instagram, YouTube, « lol cats », caméras GoPro, drones, etc.

« Il faut percer dans le bruit et l’abondance. Car il y a des centaines et des centaines d’articles disponibles chaque jour et personne ne les lit ! », confirme cette semaine à Münich, la journaliste vétéran Cyndi Stivers, conseillère de Tina Brown Live Media, ancienne de Time et National Geographic.

« Raz-le-bol de la pensée unique des vieux médias qui ne donnent pas à la Génération Y ce qu’elle réclame ! C’est-à-dire surtout pas ce qu'on voit sur CNN, y compris sur la Syrie. Il y avait donc un énorme trou sur le marché. Il nous fallait faire du neuf tout en restant clean et concis », résume David Arabov, qui dirige Elite Daily. Sa mission est claire : en finir avec « l’ennui des médias ancestraux », dit-il lors de la conférence DLD.

Son staff et ses 600 contributeurs appartiennent tous à la génération Y (19-26 ans) et, pour rester dans la course, l’été, les stagiaires de 15 ans sont les bienvenus !

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Notons au passage que l’information en ligne la plus consultée en 2013 du New York Times fut une infographie interactive – et non un articleréalisée par … un stagiaire !

Face à l’info rébarbative, Eli Pariser, le patron d’UpWorthylivre ses recettes :

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  • « Aujourd’hui, pour capturer l’attention, il faut concurrencer Facebook, les photos du déjeuner, les bébés et les chats !Nous proposons donc celles d’actualité qui sont à la fois importantes, véridiques ET irrésistibles pour ceux qui n’ont pas perdu tout espoir dans notre monde ».
  • « des contenus viraux, y compris longs, à PARTAGER par des passionnés. »
  • « La mission est de rendre publiques et positives les informations importantes ».
  • Miser avant tout sur Facebook pour distribuer leurs contenus. «Ne sous-estimez jamais la puissance de Facebook pour capter l’attention (…) Les Américains passent en moyenne 2 mn par mois sur Twitter, mais 7 heures sur Facebook ».
  • Le nombre volontairement limité de contenus : environ 260 vidéos par mois, soit moins de 10 par jour. Mais chaque billet attire en moyenne 75.000 « Like » sur Facebook ! Soit 10 à 30 fois plus que BuzzFeed.
  • Pas de journalistes mais des trieurs/cueilleurs (« curateurs ») qui fouillent des milliards de vidéos postées sur le web et dont l’apprentissage dure 3 à 4 mois.
  • "Nous voulons élever les gens avec des infos positives et provoquer une prise de conscience (…) »

« Certains médias traditionnels refusent, par exemple, d’utiliser des gifs animés. Or c’est un excellent moyen d’assurer une couverture sportive », déplore Scott Lamb, VP International de BuzzFeed qui mixe allègrement « Lol cats » et journalisme professionnel (correspondants étrangers, unité d’investigation…). « Les vieux médias sont tellement lents à réagir ! ».  

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En ce moment on voit d’ailleurs les médias classiques, y compris Yahoo, renforcer fortement leurs équipes pour couvrir le nouveau monde du numérique. Le Wall Street Journal vient ainsi d’embaucher une vingtaine de reporters tech dans le monde, a indiqué à Münich, la directrice adjointe de la rédaction, Rebecca Blumenstein. Le New Yorker détaille aussi cette semaine les « 6 recettes de la viralité qui ne plairont pas à tout le monde ».

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Or cette « génération ADD », qui souffre des troubles de l’attention,  a grandi sur les médias sociaux, sur Facebook et ne reviendra pas, une fois dans la vie active, vers le « search », les diaporamas trop lents, et a fortiori vers les médias traditionnels, assure Elite Daily. Et attention, « les milléniaux s’énervent en un quart de seconde ! Ils pètent très vite les plombs. Soyez très transparents ! ».

12051986294_ef670dcc61   C’est donc aussi une des raisons de l’essor actuel de la publicité native (contenus sponsorisés par des marques) y compris en vidéo. La vérité de la pub en ligne c’est que personne ne clique sur les bannières et tout le monde zappe les « pre-roll », assure Arabov. « La pub ne marche pas dans un monde aussi fragmenté », renchérit Cyndi Stivers.

   BuzzFeed, qui ne montre aucune bannière, a donc monté sa propre unité de créatifs de pub native pour les annonceurs. « Pour eux, l’avenir est de lier leur marques à une histoire », prévient Elite Daily. Après le New York Times, le Wall Street Journal a d’ailleurs indiqué cette semaine qu’il testait désormais cette forme de publicité.

UpWorthy a aussi un projet avec la Gates Foundation pour des articles liés à la santé dans les pays en développement.

 

Ce mouvement s’appuie (comme toujours) sur le fort attrait actuel des jeunes pour changer la société, explique David Spitz, patron de RebelMouse, plateforme de propulsion des contenus sur réseaux sociaux. Les jeunes étaient à l’honneur à Münich avec notamment Jan Koum, le fondateur CEO d’origine ukrainienne de l’appli de messagerie Whatsapp, qui a annoncé 430 millions d’utilisateurs actifs, dont 30 millions en Allemagne, 50 à 80 milliards de messages gérés par jour, avec un staff de … 50 personnes, dont 25 ingénieurs. Et toujours le jeune Nick D’Aloisio, à peine 18 ans, dont je vous ai raconté la dernière nouveauté : pour faire face au "tl;tr" ("too long; to read") rien de moins qu’un JT automatique pour mobiles sur Yahoo via des algorithmes, qui a récemment racheté sa société Summly.

« Avec 5 années d’existence, BuzzFeed est déjà un vieux média, reconnaît Scott Lamb, mais CNN, c’est de l’histoire ancienne ! ».

Pour vous convaincre du changement d’époque, parcourez donc le profil et les compétences des « curateurs » recherchéspar UpWorthy. Edifiant !

Extrait :

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