Télévision interactive et sociale : Non, il n'y a pas que Rising Star !

Par Benjamin Thereaux, consultant Social TV chez France Télévisions

Channel 4 et Endemol ont profité de l'été pour tester un nouveau Talent Show, sous la forme de 4 épisodes d'une heure chaque vendredi soir à 21h au Royaume Uni. The Singer Takes it All (TSTIA) retient l'attention et réussit le pari de faire interagir en symbiose la mécanique télé avec une application pour smartphone lancée spécifiquement pour le programme.

Du casting des candidats au vote en temps réel pendant le direct, tout passe par le smartphone, gratuitement.

  • Comment le programme a-t-il su tirer parti de tous les avantages d'une application ?
  • En quoi le programme se différencie-t-il de Rising Star ?
  • Pourquoi un format comme TSTIA mérite-t-il l'attention de l'industrie TV ?

Etude de cas.

Cover-app

Social TV is the word

Depuis quelques années, le thème de SocialTV est un buzz word, de ces thèmes clés qui doivent incarner le futur, voire pour certains, le salut de l'industrie télévisuelle (comme la 4K, l'ATAWAD ou le transmedia,...).

La SocialTV est en fait une grande boîte de Pandore mélangeant plusieurs usages des téléspectateurs et typologies de projets :

  • l'exploitation au cœur des émissions des conversations sur les réseaux sociaux et d'autres types de contenus UGC
  • l'enrichissement des programmes via des contenus additionnels (encyclopédiques, vidéos, ...)
  • l'engagement des téléspectateurs via des sondages, des quiz, des pronostics...

Le second écran, ou l'application compagnon, n'étant que le support d'opérations de SocialTV.

Mais la télévision est un média qu'on peut qualifier de traditionnel comparé au numérique. Comme dans d'autres médias traditionnels (print, radio,...), les rédactions bi-média mettent du temps à se mettre en place, l'innovation se heurte à de nombreux freins. La réflexion sur les dispositifs numériques démarrant souvent en retard par rapport aux premières phases de conception du programme.

Conséquence : des opérations qui viennent en surcouche, et souvent vivent quelque peu dans leur coin. Manque de promotion, manque d'audience numérique, manque de proposition de valeur, etc..

Mais après quelques années d'expérimentation, les chaînes qui y croient encore ne peuvent plus conduire les projets SocialTV de la même manière.

Rising Star comme porte étendard d'une interactivité "Nouvelle Vague"

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(Rising Star, le 28/08/2014 en Allemagne)

Le tour de force des programmes comme Rising Star ou TSTIA est d'être nativement social et interactif.

Dès l'écriture du format, les supports numériques ont été complètement intégrés à la mécanique télévisuelle. La boucle fonctionne bien dans les 2 sens, assurant un cercle vertueux : la télévision invite à interagir avec l'appli, les résultats de cet engagement sont commentés à l'antenne et mieux, influencent la suite du programme.

Le double pari de ces nouveaux programmes ?

  1. Etre temps réel, l'impact des votes est immédiat sur le programme, plus besoin d'attendre la fin pour savoir qui reste, qui part, ...
  2. Oublier le SMS et l'appel surtaxé, pour privilégier plutôt un vote gratuit via une application pour smartphone.

Stupeur dans l'assemblée ! Alors qu'il rapporte des millions aux chaînes TV, pourquoi diable se détourner du numéro surtaxé qui reste une véritable cash machine ?

Mais voyons, pour l'expérience utilisateur ! Pour le mettre au centre des programmes. Pour qu'il soit en charge, puisqu'il le peut ! Et parce que désormais le taux d'équipement en appareils connectés le permet.

Le parcours utilisateur par SMS est encore aujourd'hui imbattable pour effectuer un micro-paiement. Ni Paypal, ni la carte bancaire ne permettent de faire payer en quelques clics et de manière indolore une branche si large de la population.

Mais l'expérience utilisateur est incomparable à l'interactivité rich-media que l'on peut obtenir via une application ou un support web. C'est exactement comme comparer le passage du Minitel vers Internet : même progrès technologique, même rupture de modèle économique. L'Histoire a pourtant donné raison au modèle gratuit.

Quels sont alors les programmes qui se lancent sur ce créneau ? On a beaucoup parlé de Rising Star, notamment parce que son arrivée est imminente sur la chaîne privée française M6. Mais penchons-nous sur le plus confidentiel "The Singer Takes it All", un 2ème cas d'école de format qui "binôme" Télévision et Application.

The Singer Takes it All, le format interactif tout compris !

Pendant la semaine, l'application vit comme un casting géant où tout un chacun devient jury :

1. Si j'ai l'âme d'un chanteur, je peux enregistrer ma chanson

2. Les utilisateurs de l'app votent pour les performances (Hit or Miss). Une mécanique de présentation aléatoire, le vote est rapide et binaire et n'est pas sans rappeler le site Hot or Not, ou plus récemment l'app de dating Tinder.

3. Les 10 participants ayant reçu le plus de Hit sont invités à chanter live le Vendredi soir

Puis le soir du Prime arrive.

La mécanique en live est, elle aussi, diaboliquement efficace.

0. Présenté par l'excentrique et non moins sympathique Alan Carr

 

1. Le candidat prend place sur une plateforme qui va avancer ou reculer en temps réel en fonction du vote du public

2. Si le candidat reçoit + de 50% de Hit, la plateforme avance, direction la Gold Zone ! Si le candidat totalise + de 50% de Miss, elle se met à reculer, direction la sortie.

3. Je suis invité à voter toutes les 20 secondes, 4 fois au total

Parmi les 7 candidats, le vainqueur des 15.000 £ est celui qui aura chanté le plus longtemps en Gold Zone.

Pas un talent show, mais un jeu TV

On ne promet pas aux candidats autre chose que chanter en direct et tenter de remporter une coquette somme. Pas de contrat de maison de disque à la clé, pas de conseils de professionnels, ni de mots réconfortants dans ce grand karaoke qui ne se prend pas trop au sérieux. Semaine suivante, de nouveaux candidats (hormis le vainqueur qui est invité à remettre son titre en jeu) et à nouveau 15 K £.

Les lancements difficiles de Rising Star aux Etats-Unis ou plus récemment en Allemagne posent d'ailleurs des questions sur l’essoufflement du format Talent Show. Cherche t-on encore la Nouvelle Star ?

Audiences, premiers retours :

Les audiences TV du programme auraient été juste en dessous de la moyenne que connaît Channel 4 sur ce créneau. Ce qui n'est pas forcément étonnant pour un nouveau programme.

Les chiffres positifs sont à chercher du côté numérique. On parle de 15% de taux d'engagement (ratio entre le million de téléspectateur et les presque 150.000 utilisateurs de l'app en direct), un chiffre très élevé. C'est d'ailleurs le nouveau record en la matière, TSTIA détrônant l'application de Play Along sur l'émission The Million Dollar Drop qui engage 12.5% des téléspectateurs (aussi un programme Channel 4)

Certaines données ont aussi été annoncées par le présentateur au début de chaque émission, démontrant une progression naturelle :

- Episode 2 : 300.000 téléchargements, 10M de votes au total

- Episode 3 : 15M de votes au total

- Episode 4 : 20M de votes au total

On remarquera aussi que 3 épisodes sur 4 ont été remportés par le même candidat, Steve Dorset.

Les téléspectateurs se sont créés un favori et auront cherché à le faire gagner à chaque fois.

Steve-TSTIA

Professionnels de la Télé : ayez confiance !

Il n'y aura eu que 4 épisodes de TSTIA, malgré le coût de développement d'un tel format que l'on peut imaginer onéreux. Peut-être une nouvelle preuve de la frilosité de l'industrie face à l'interactivité nouvelle vague.

Pourtant, bien qu'innovants, ces formats ne sont pas en rupture totale avec ce que connaissent les téléspectateurs et les enjeux industriels :

  • Ils tirent leur force de la foule de personnes présentes au même moment devant leur écran : respect de la notion de grande messe en direct où l'on se donne rendez-vous devant la télévision
  • Ils ne sont pratiquement intéressants à regarder qu'en direct, lorsque je peux participer : respect des tunnels de publicité traditionnels et lutte contre la délinéarisation des programmes
  • Ils occupent l'écran compagnon : respect des nouveaux usages numériques des téléspectateurs (le multi-tasking devant la TV est maintenant un comportement majoritaire)
  • Ils créent une audience connectée et ciblée : respect des enjeux économiques, les tunnels de pub pouvant s'enrichir sur le mobile (ex : cliquez ici pour obtenir votre coupon de réduction)

Nous vivons donc une période excitante pour la télévision !

Tous les avantages de l'app et de l'écriture SocialTV native pourraient faire passer au vert plus d'un projet, particulièrement en France si Rising Star réussit à séduire. Encore faut-il que l'industrie TV s'entoure au plus tôt dans l'écriture de ses formats de profils "creative technologists" et accepte la transition de modèle économique. Comme l'ont fait à une époque les éditeurs de services Minitel en passant sur Internet, la survie était à la clé !

BONUS : les coulisses de cet article, regardez l'application TSTIA en action et en musique (merci à tous les candidats d'avoir prêtés leur voix à l'exercice !)

 

par @whoozben