Vers un Habeas Corpus numérique ?

Par Clara Schmelck, journaliste médias à Intégrales Mag, billet invité 

A qui appartiennent les données personnelles ? L'exploitation généralisée des données ouvre t-elle de nouveaux droits pour les citoyens ? La conférence annuelle du laboratoire d'idées du Forum d'Avignon, hier à Paris, a introduit une "déclaration préliminaire des Droits de l'Homme numérique". 

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La data, un enjeu pour la démocratie

«La question de savoir à qui appartiennent les données personnelles sera l'une des principales questions politiques d'avenir.», avait prévenu Mathias Döpfner, président du groupe de presse allemand Axel Springer, dans une lettre ouverte du 16 avril 2014 où il mettait en garde contre l’absence de législation pour réduire le pouvoir de Google sur les données appartenant aux internautes.

En 1679, l'Habeas Corpus défendait pour la première fois le principe que tout homme a le droit d'être le maître de son propre corps et de ses biens. Presque cinq siècles plus tard, la data renouvelle le débat politique et éthique sur les libertés individuelles.

Le traitement de méga-données par les gouvernements représente un enjeu pour la démocratie, estiment les signataires du projet de Déclaration des droits de l'homme numérique présents à Paris à l’occasion du Forum d’Avignon. Avant de discuter des lois sur le numérique dans les parlements, il faut doter la data d’un texte universel qui porte sur des principes inaliénables. Les auteurs du projet de déclaration voudraient voir porter leur texte par le Conseil de l'Europe et l’Unesco.

Premier aspect d’une démocratie : la transparence et l’équité. Le projet de déclaration insiste sur la transparence des Etats dans la façon de collecter les données. Il souligne le rôle des collectivités publiques dans le partage équitable des données et l'ouverture des réseaux et infrastructures. Si l'Open Data a pour vocation de rendre la ville plus intelligente, c'est afin que les citoyens vivent en meilleure intelligence.

Deuxième aspect d’une démocratie : le respect de la vie privée des individus. "Devenus l'enjeu, la monnaie et le moteur d'une société pilotée par les données, les données personnelles constituent l'ADN numérique de chaque individu. Elles dévoilent ses valeurs culturelles et sa vie privée. Leur protection contre les manipulations constitue un enjeu démocratique majeur. ", prévient le projet de déclaration. Netflix, par exemple, consacre 380 millions de dollars à la donnée dans son budget, soit 9%. Jusqu'où le service de vidéo à la demande aura le droit de s'immiscer dans les données personnelles de ses utilisateurs pour cibler toujours plus finement leurs désirs ?

Enfin, corrélat d’une démocratie : la diversité culturelle, évoquée longuement au Forum d’Avignon àParis. Les algorithmes basés sur la collecte et l’analyse des données des utilisateurs sont de nature à influencer les pratiques culturelles dans le monde. Les GAFA favorisent ainsi leurs propres produits ou ceux de leurs partenaires au sein de leur moteur de recherche. Les organismes culturels, à l’instar des musées, se sont mis à utiliser à leur tour les affinités prédictives pour mieux cibler leur public, et répondre à ses attentes. Il faut donc que les citoyens aient le droit de prendre connaissance des données traitées par les algorithmes qui génèrent ces affinités prédictives, afin de juger -- par eux-même-- de la pertinence.

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Concilier sécurité et libertés  

Graver dans le marbre une déclaration universelle des droits de l’homme numérique ne résout cependant pas encore les contradictions qui caractérisent en fait la relation de la société civile à la data.

Comment concilier protection des données et liberté d’innovation ? Encadrer la data de contraintes juridiques ne risque t-il pas de freiner la recherche ? A moins que justement, l’effort technologique ne s’oriente vers la protection des données, et mène à des innovations, françaises notamment, en matière de sécurité et de transparence des données personnelles.

Comment, dans les faits, concilier sécurité et libertés dans la protection des données, quand le citoyen numérique est partagé entre le souhait paradoxal d’accéder librement à la totalité des données…tout en sécurisant librement les siennes ?

Les contours du grand "projet de loi numérique" sont en train d’être esquissés par le gouvernement, qui a chargé le Conseil National du Numérique (CNNum) d’engager dès la fin du mois de septembre des concertations auprès de la société civile. Axelle Lemaire, secrétaire d’Etat au numérique, a déjà indiqué que l’accent sera mis sur la problématique de la protection des données.

A suivre !

par @ClaraSchmelck