Politique et numérique : un mariage consommé ?

Par Mathias Virilli et Etienne Cointe, France Télévisions, Direction de la Prospective

La stratégie numérique des djihadistes, notamment leur usage des réseaux sociaux pour recruter, a récemment fait la Une. Les élections de mi-mandat aux Etats-Unis furent une autre occasion d'observer le mariage de la politique avec le numérique, côté élus, médias, ou société civile. La politique compte bien désormais sur le numérique pour "engager" citoyens et électeurs, souvent désabusés, voire méfiants.

La journaliste Melody Kramer de la National Public Radio (NPR) est revenue cette semaine sur la couverture médiatique des midterms à travers un tableau de bord Pinterest intéressant qui recense les bonnes initiatives des médias de l’élection américaine.

Parmi elles, cartes interactives, infographies, images agrémentées de texte visent toutes à engager au mieux les internautes sur les résultats de l’élection.

Pendant la campagne, les médias US étaient également en quête des moyens les plus efficaces pour sensibiliser les Américains à la complexité des enjeux. A noter les vidéos explicatives de The Vox sur les huit notions à connaître sur les midterms 2014 ou sur l’efficacité des publicités politiques :

Se former aux outils numériques, une nécessité pour les politiques aujourd’hui

"Apprendre ces compétences n’est pas juste important pour votre futur, c’est important pour l’avenir de notre pays” déclarait Barack Obama en décembre 2013 à propos des réseaux sociaux. Il convient aujourd’hui d’accepter que la politique passe par le numérique, et de maîtriser les outils qui en découlent, afin d’éviter des fiascos de communication.

Ségolène Royal qui, avec la mise en ligne de son site “Désir d’avenir” fut la risée du web, en est un exemple notoire.

02419578-photo-le-site-desirs-d-avenir-de-segolene-royal Les erreurs d’inattention sont également à proscrire du côté des politiques car la toile a cette fâcheuse tendance de propager une information à une vitesse sans commune mesure avec les médias traditionnels. Eric Besson en a fait la malheureuse expérience en confondant sa liste de brouillons et son compte Twitter.

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L’ère de la Web politique

Elus 2.0, c’est le “journal sur la Web politique” qui s’attache à montrer les liens à double sens entre politique et numérique. Outre une veille sur l’utilisation d’Internet par les élus et les impacts du Web sur la politique, le site d’Elus 2.0 propose un classement des comptes Facebook et Twitter des personnalités et partis politiques les plus suivis, pour vérifier si nos politiques utilisent Internet pour leur action politique.

Elus 2.0 est également une plateforme pour les élus : ceux-ci peuvent disposer d’une page sur laquelle sont recensées toute l’actualité les concernant ainsi que leurs publications en ligne. Le site est édité par la société Ideose, qui propose des formations aux réseaux sociaux (en un jour!), comme lors des dernières municipales avec les clés pour réussir sa webcampagne. Ideose propose par ailleurs un baromètre des collectivités territoriales sur les réseaux sociaux.

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Parce que la politique a toujours fait l’objet de détournements, satires et parodies en tout genre, le numérique ne fait pas non plus exception à la règle. En témoignent Humour de droite, qui recense plus de 177.000 "likes" sur Facebook et 255.000 abonnés sur Twitter.

Réconcilier les citoyens avec la politique, au quotidien

Gov est une application qui prétend être « la météo de l’opinion ». Lancée en Tunisie à l’occasion des élections, la nouvelle version est disponible depuis peu en France. Elle propose aux utilisateurs de voter sur des personnalités politiques ou des sujets qui font l’actualité.

Ces derniers sont proposés par les administrateurs ou les utilisateurs de l’application et portent sur des thèmes sociaux et politiques variés. L’utilisateur peut également consulter les statistiques de ces différents sondages quand il le souhaite.

 Gov

Constatant que les réseaux sociaux ne sont pas pensés pour faire de la politique, Gov espère créer un nouvel espace d’expression, plus démocratique et désintermédié. Un espace qui se veut plus représentatif que ce que font les instituts de sondage et qui offre une prise plus immédiate sur la politique que le droit de vote et les manifestations.

En Tunisie, Gov voulait donner être la “voix des sans-voix”, en priorité des jeunes, qui représentent là-bas 80% des non-votants. D’après ses deux fondateurs, l’application a été un moyen d’exprimer les attentes des tunisiens aux politiques, avec des relais des leaders d’opinion, des associations et de la presse. Gov espère lutter contre la désaffection politique avec un outil citoyen, à l’heure où 80% des Français déclarent se méfier de la classe politique.

Bien qu’innovante, cette application de démocratie directe et participative n’en reste pas moins limitée. Outre l’impossibilité d’échanger avec les autres utilisateurs sur les différents sujets, l’obligation de ne répondre que « pour ou contre » à chaque question restreint considérablement la possibilité de débats constructifs. De plus, la possibilité de « gover » (voter) chaque jour, sans système de différenciation du vote d’un utilisateur quotidien comparé au vote d’un utilisateur occasionnel, interroge sur la pertinence des données collectées. Cependant, parce qu’elle s’inscrit dans le temps réel (des live-goving seront bientôt proposés), l’application n’a pas l’ambition d’exprimer une réflexion approfondie (sur des sujets pourtant complexes), mais bien de recueillir un ressenti, qui pourra ensuite être analysé.

Enfin, l’obstacle de la représentativité semble inhérent à ce type d’application : le public consulté sera d’abord technophile, donc pas forcément représentatif de la population. Surtout, comme toute application sociale, l’enjeu pour Gov est d’atteindre une masse critique afin d’éviter le risque d’instrumentalisation.

En juillet dernier, à l’occasion du concours mondial #innovation2030 qui se tenait à l’Elysée, une des 110 lauréats (et une des 7 à être monté sur scène) présentait un projet d’application qui comme Gov, vise à prendre le pouls de l’opinion à un temps t, avec une approche toutefois radicalement différente.

“Fondé sur une innovation technologique smart data capable de détecter finement des émotions et des préférences personnelles sur les réseaux sociaux”, l’application vise en effet à analyser en direct les émotions suscitées par exemple lors d’un discours politique. Angoisse, colère, joie, amour, ou même indifférence : les politiques auront bientôt une idée plus fine de l’impact qu’ils ont eu sur la sphère numérique. Le président de la République a d’ailleurs réagi au projet en déclarant en introduction de son intervention : “Rien ne serait pire que l’indifférence”.

Et pour ceux qui ne seraient pas convaincus de ce que le numérique peut apporter au politique, sachez que l’application mobile Tartooflor vous permet de vous défouler en lançant des tartes (ou des fleurs) à des hommes politiques!