Comprendre la Génération Y : clés pour les marques et les médias

Par Alicia Tang, Direction de la Prospective, France Télévisions

Génération pigeon ? Génération sacrifiée ? Quelles sont vraiment les caractéristiques de la jeunesse d'aujourd’hui ? Malgré la grande difficulté à trouver ce qui fait corps pour cette tranche d'âge, une chose est évidemment bien commune aux jeunes : Internet.

Mais au-delà, quelles sont leurs valeurs et quels rapports entretiennent-ils avec les marques, le travail ou les médias, s'est interrogé l'agence Kaliwatch International via un observatoire de la jeunesse en France et en Chine, le YouthWatch. 

Immédiateté, pragmatisme, hédonisme ressortent fortement.

Des jeunes en opposition avec la génération des années 70

La génération Y comme on l’appelle est une génération paradoxale, dont la ligne de conduite n’est pas claire. Les jeunes sont aimés et protégés par leurs parents et en même temps ils rejettent le modèle parental et avec lui la culture de l'effort – « je ne les admire pas, mais je les respecte »-, la routine, la monotonie, le statisme (mais pas la bougeotte) ou encore la gestion d’obligations. Par rapport à la génération précédente, l’agence Kaliwatch relève que les jeunes sont dans la négociation et non plus dans la provocation et la confrontation. Ils veulent avoir la paix et de ce fait, cherchent un compromis, que ce soit dans le cadre privé et familial ou dans le cadre professionnel au travail.

Et alors que l’ancienne génération souhaitait changer le monde, la nouvelle préfère s’adapter aux évolutions.

Les jeunes Français d’aujourd’hui n’arrivent pas à se percevoir comme une génération, même s’il y a bien quelque chose qui leur serait commun : Internet. Ils se disent également attachés à de nombreuses valeurs morales et éthiques et déclarent faire preuve d’honnêteté, de respect et de franchise. Les valeurs sociales d’égalité, de solidarité et de générosité sont également importantes pour eux.
Ils se pensent ouverts, libres, et bénéficient d’une autonomie de plus en plus précoce. Ce qui ne les empêchent pas d'aimer être entourés, que ce soit par leur famille ou leurs amis. Ils sont dynamiques et revendiquent une grande liberté de circulation, dans un environnement plutôt sécurisé. Ils veulent toujours être en mouvement, vivre dans l’immédiateté, l’improvisation, et ils s’adaptent en fonction du contexte, le hic et le nunc (ici et maintenant).

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Des nouvelles manières de consommer

En accord avec ces valeurs, les jeunes adoptent de nouvelles manières de consommer qui répondent au triple principe : hédonisme, pragmatisme et immédiateté. Et si ces manières de consommer sont plus écologiques, éthiques et responsables, c’est encore mieux.

On observe ainsi l’apparition d’une nouvelle catégorie de consommateurs, les « nowners ». Ils ne veulent pas posséder, mais avoir accès à tout de manière immédiate. Le jeune se fiche de savoir si le produit est neuf ou d’occasion, il veut y avoir accès tout en préservant son pouvoir d’achat. Il se développe donc des pratiques d’échange ou d’emprunt entre particulier qui répondent à des revendications morales et sociales, mettant par exemple en avant des valeurs éthiques comme le fait de contourner la production de masse afin de réduire l’impact environnemental et la surconsommation.
De nombreuses entreprises s’insèrent dans cette logique éthique et pragmatique, attirant de nombreux consommateurs jeunes. Airbnb par exemple est moins cher qu’un hôtel, plus flexible et met en avant la rencontre avec l’autre, avec l’inconnu, tout en offrant une sécurité à travers notamment le système de notation et de recommandation.
Free Mobile s’est également lancé sur ce marché de la non-possession, en proposant d’avoir l’iPhone pour 99 euros lors de la commande, puis pour 18 euros par mois, selon un système de location.

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Les rencontres amoureuses sont également envahies par ces problématiques, comme le prouve le succès de l’application Tinder (ou Momo en Chine), qui propose des rencontres immédiates géolocalisées et un rapport à la séduction et à la relation démystifié. On ne prévoit plus une rencontre, celle-ci est immédiate, on vit au jour le jour, cela permet d’être pragmatique et de gagner du temps.
La publicité de Paco Rabanne et ce claquement de doigt sont représentatifs de cette génération qui veut tout immédiatement, qui est franche, cynique, et qui a un rapport décomplexé au pouvoir, à l’argent et au sexe.

Des valeurs, mais pas d’engagement

Malgré une consommation plus responsable et "éco-friendly", on remarque toutefois que les convictions des jeunes ne sont pas forcément accompagnées d'actions radicales.

« Les jeunes ne veulent pas rejeter la consommation, ils font donc un deal pragmatique avec les entreprises : je consomme et j'achète vos produits ; en échange vous agissez. L’aspect écologique, c’est la cerise sur le gâteau » précise Louisa Taouk, CEO de Kaliwatch international.

La jeunesse est dans une posture idéologique mais assez peu dans l’action, car le pragmatisme, l’idée du deal ou du « win-win » prédomine. Les convictions sont réelles mais pas assez fortes pour pousser les jeunes à agir de manière directe. Au contraire, c’est même les marques qui doivent avoir ce rôle, agir pour eux. Le jeune n’est mis à contribution que lors de son acte d’achat : "si j’achète ton produit, je consomme et en échange toi tu agis, tu donne 1 euros à telle ou telle association".

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De ce fait, les valeurs prônées influent finalement peu sur leur consommation ou bien leur manière de percevoir et de juger des marques. La génération Y est peu engagée, même dans les causes qui lui sont chères. Des scandales sur les conditions de production de vêtements à l’étranger par exemple, n’ont que très peu d’influence sur leur consommation. Inversement, une marque qui choisirait de produire dans des conditions éthiques exemplaires n'en tirerait que très peu de bénéfices (pour ne pas dire aucun), que ce soit sur ses ventes ou sa réputation, tout en proposant des produits trop chers pour les jeunes.

Un monde du travail à l’opposé de leur priorité

En raison du contexte économique actuel et du marché de l’emploi saturé, la nouvelle génération est perçue comme sacrifiée. Concernant les principaux intéressés, on remarque que leurs priorités sont bien loin des réalités et des contraintes économiques liées à l’emploi. Alors que les jeunes recherchent principalement un plaisir personnel, le monde du travail est difficile d’accès et semé d’embuches. Les jeunes veulent de la facilité, s’amuser, être avec leurs pairs, se sentir aimés et intégrés, alors que le marché de l’emploi ne leur propose que de l’instabilité, de la fatigue, des obligations, de la routine, du sérieux, de l’individualisme, une absence de liberté, d’autonomie et finalement d’épanouissement. Enfin, le marché du travail ne reflète pas leurs principes de mouvement, de diversité, de changement, et de sentiment de liberté.

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Il existe aussi un véritable fossé générationnel entre les jeunes et leurs supérieurs hiérarchiques, du fait de leurs attentes. Les implicites, notamment hiérarchiques, disparaissent et les jeunes s’imposent, quitte à être maladroit avec leurs aînés, élevés dans un contexte socio-économique, culturel et politique plus strict. « Le stagiaire roi, ce monstre de la génération Y » titre même Madame Figaro de manière humoristique en avril dernier, créant une véritable polémique sur les réseaux sociaux. Refusant les rapports d'autorité qui fonctionnent aujourd'hui dans les entreprises, la nouvelle génération souhaite entretenir des relations plus personnelles et plus directes avec les dirigeants.

"Ils souhaitent avoir un contact direct avec les managers, y compris ayant les plus importantes responsabilités dans l'entreprise. Les employeurs vont devoir gagner leur confiance et faire l'effort de décoder leurs codes sans a priori", résume Didier Pitelet, Président de l’agence Moons’Factory.

Et les médias dans tout ça ?

Alors que la génération des années 70 absorbait de grands discours institutionnels, la nouvelle génération bénéficie de supports médiatiques en open source. Les institutions ou encore l’autorité de l’école ne sont plus reconnus et les jeunes contestent leur pouvoir, leur normes.
Désormais, les jeunes ne sont plus seulement récepteurs, ils fabriquent et produisent des contenus médiatiques et deviennent des experts, des acteurs. De ce fait, l’ancien système médiatique, notamment audiovisuel, qui impose une grille horaire de programmes est obsolète. Les jeunes ne veulent pas subir et s’adapter à des flux, ils veulent choisir. Les nouveaux médias permettent à ce public une alternative : télévision sur mobile, streaming, replay… toutes ces nouveautés influent sur le rapport entre les médias et les jeunes et tendent à mieux répondre à leur demande. Selon leur logique pragmatique, pourquoi attendre qu’une série américaine arrive en France à la télévision si je peux l’avoir demain sur mon ordinateur ? Et pourquoi payer, si je peux avoir le contenu gratuitement et immédiatement ?

« Il y a aujourd’hui un rapport aux médias semblable à une logique de cours de récréation : celui qui sait en premier a le plus de prestige » souligne Louisa Taouk. « La question de l’accès devient donc extrêmement importante. La télévision, notamment payante, n’a raison d’être uniquement si elle donne accès à !»

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Le public jeune a de nouvelles exigences, car il est désormais acteur et producteur de contenu médiatique : il veut être surpris. Les types de contenu efficaces sont des "contenus clin d’œil", ceux qui utilisent d’un point de vue communicationnel des références communes, un langage spécifique intelligible par une seule catégorie de la population. Cela permet de construire une relation d’exclusivité. Mais chaque acteur doit bien rester à sa place et il convient de ne pas essayer de faire semblant d’être une marque ou une entreprise jeune, à travers un langage familier, sympa et « friendly ». Le terrain doit être banalisé, le message clair, concis.

Enfin, le dernier rapport institué par ces principes et ces piliers est l’importance donné à l’internaute. On est dans l’open source, je donne mon avis, je regarde celui des autres. De ce fait, ce qui devient important d’un point de vue du registre, c’est le vécu, le témoignage, avec un intérêt particulier pour les contenus éphémères et humoristiques. Comme le mobile devient le premier support, les formats sont de plus en plus courts, boostés par la viralité permise sur les nouveaux médias et réseaux sociaux. Snapchat est révélateur de l'ensemble de ces nouvelles valeurs et tendances. L’utilisateur préfère vivre l’expérience de ce contenu qui n’existe que le temps du Snap et qui disparaît ensuite. Il n’y a plus de possession, seulement une expérience.

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Bonus : qui sont les jeunes Chinois ?

Tout d’abord, il faut savoir qu’en Chine on ne parle pas en termes de génération mais en termes de décennie : les 70s, les 80s etc…
Les jeunes Chinois actuels sont issus de la décennie des 90s et post 90s et sont radicalement différents des décennies précédentes. Dans les années 70, la Chine sort de sa Révolution et commence à s’ouvrir à l’Occident, qui n’est alors plus perçu comme le diable, mais comme une région du monde très avancée. La décennie suivante est symbolisée par une forte ouverture du pays à l’international, et une urbanisation en interne. Le collectif, le lien social et une certaine idée de ce qu’est la nation chinoise prime.

Petit à petit, ces valeurs vont disparaître au profit de plus de modernisme et d’individualisme. Les Chinois comment à penser pour eux, et non avec leur communauté. Dans les années 80, la décennie de Chinois qu’elle porte sont désormais conscients de l’importance du business, de la possibilité de réussir et de s’élever socialement à travers le matérialisme. Les valeurs culturelles chinoises reposant sur le confucianisme - respect de la famille, supériorité et hiérarchie, gloire et honte – se confrontent à de nouvelles valeurs, celles du consumérisme.

Enfin, les jeunes actuels, ceux qui sont nés dans les années 90, se moquent de leurs aînés. Ils recherchent avant tout le plaisir, ils sont individualistes, et se concentrent sur le présent et non pas le futur. Les jeunes veulent en profiter et même s’ils ont un respect fondamental pour leurs parents et reconnaissent qu’ils leur doivent beaucoup, considèrent qu'ils passent tout de même en premier. C’est une génération élevée par leurs grands-parents, car leurs parents travaillaient, et les jeunes chinois sont parfois des petits princes capricieux, obnubilés par leurs désirs et leurs envies. Mais souvent aussi de gros travailleurs. 
Leurs valeurs de consommation se reflètent à travers un attrait pour des marques connues, notamment étrangères et de luxe, permettant d'atteindre un certain niveau de qualité de vie de plus en plus partagé.

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