Les robots vont non seulement impacter l'économie, mais aussi transformer notre société

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Directions Stratégie et Prospective

La semaine dernière à Lyon s’est tenue la 5e édition de Innorobo, le plus grand salon de robotique en Europe. L’occasion de constater que le secteur est vraiment en pleine ébullition : usine du futur, robotique de terrain, ville intelligente, maison connectée, robotique médicale et de santé... Les cas d’usages sont aussi nombreux que les formes sont variées, même si technologiquement, on n’y est pas encore tout à fait.

« Aujourd'hui le robot majordome qui réalise tous vos désirs et les anticipent, ça ne le fait pas ! (…) Les robots domestiques font une tâche et une seule, mais ils la font bien et à votre place, comme le robot aspirateur par exemple. Ce qu'il ne vous fait pas, c'est le café, faire votre lit, ranger vos lunettes, trier votre linge sale de votre linge propre. Il saura le faire peut-être à terme mais pour l'instant on laisse ça aux humains. » a expliqué Catherine Simon, Fondatrice et Présidente de Innorobo à Méta-Media.

 Economie, éthique et juridique : plus de questions que de réponses

Parce que la robotique a atteint un certain degré de maturité, que les robots sont de plus en plus en contact avec des humains et de plus en plus autonomes, même si c'est encore minime aujourd'hui, un certain nombre de questions se posent.

« On peut être pro-robotique et techno-critique » comme l'a justement fait remarqué Catherine Simon.

Celle qui est le plus souvent discutée est la question sur l'emploi. Les robots vont-ils finir par nous remplacer dans les entreprises ?

Selon Raja Chatila, roboticien (ISIR-CNRS et UMPC), « si les gens ne profitent pas des gains de productivité générés par les robots, nous n'aurons pas seulement à faire face à un problème économique mais un problème sociétal. »

« A court et moyen termes, 5 ou 10 ans, la robotique va créer de l'emploi de façon territoriale, c'est-à-dire que les territoires qui vont s'automatiser, gagner en gain de productivité grâce à la robotique vont gagner des parts de marché ou au minimum les conserver. A long terme, dans les 30-40 ans, je pense qu'on va vivre une transformation profonde de notre façon de vivre, au travail, à notre domicile, dans nos interactions, notre mobilité. Ce n'est pas une question d'emploi, c'est une question de modèle social. » a expliqué Catherine Simon. « Il faut commencer à repenser nos mesures économiques et penser contributif à la société ». a-t-elle ajouté.

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Mais la robotique soulève aussi des questions d'ordre éthique, parfois philosophique.

Tout d'abord, la question de la responsabilité liée à l'autonomie décisionnelle croissante des robots.

Dans le cadre d'une voiture autonome par exemple, qui sera responsable si la voiture a "décidé" de heurter une personne ayant traversé sans prévenir plutôt que de foncer dans un fossé ?

Pour le CERNA, il faudrait définir les conditions de la prise de contrôle humain/robot dès la conception de la machine et se forcer à qualifier les choses incertaines, toujours permettre la reprise de contrôle des humains mais aussi permettre de tracer les décisions des robots.

Cela est particulièrement important dans le domaine militaire où la tentation des « autonomous lethal weapons », des armes sans contrôle humain, est grande.

« Une situation ne se juge pas à un instant T mais en prenant compte du contexte, de son histoire... » a rappelé Raja Chatila. Le risque de « moral buffer » est réel si les décisions sont prises à trop grande distance de l'action, d’autant que l'humain a tendance à avoir une confiance disproportionnée dans les machines.

Drone for security monitoring

Parce que les robots interagissent avec nous et vont prendre une place croissante dans notre vie au travail mais aussi chez nous, il faut se demander si ces machines prendront bien soin de notre vie privée, si elles pourront respecter notre intimité : les robots seront-ils des amis ou des espions à domicile ? On sait aujourd'hui que les objets connectés sont de véritables passoires pour nos données personnelles. Les robots devront-ils être non connectés pour pouvoir protéger nos vies privées ?

En allant plus loin, la présence de robot dans la sphère privée pousse à s'interroger sur la dignité humaine, la dépendance aux machines et au risque d'isolation.

« Faut-il que les robots prennent soin de ceux que nous aimons ou qu'ils travaillent pour que nous puissions prendre soin d'eux ? » a interrogé Catherine Simon.

« Il faut que [les robots] amènent une amélioration de la vie des gens et non pas une ségrégation en coupant des personnes d'une vie sociale » a affirmé Raja Chatila.

romeo-senior

Il ne faut pas négliger les liens cognitifs et émotionnels que les humains peuvent développer à l'égard des machines, particulièrement les personnes les plus vulnérables, comme les enfants.

Si l'on peut constater que les robots peuvent motiver dans une certaine mesure les enfants à faire des maths, la présence de robot dans les écoles devra très certainement faire l'objet d'études pour déterminer combien de temps et comment les élèves doivent interagir avec les machines. Si un robot ne juge pas et fait preuve d'une patience à tout épreuve, ce n'est malheureusement pas le cas des humains, et les enfants doivent continuer d'apprendre à interagir avec des personnes aux comportements moins linéaires que ceux des machines. Leur apprendre à faire la différence entre des émotions réelles et l'illusion que peuvent donner les robots à ressentir eux-mêmes des sentiments sera  fondamental dans leur développement.

D'autant plus que les humanoïdes tendent parfois à imiter au plus près l'aspect et le comportement humain. Raja Chatila interroge : « Pourquoi ce bio mimétisme ? Pour les besoins de la recherche ? Sinon, est-ce bien nécessaire ? Quelles sont les motivations dernière cela ? »

Robots AIST

A trop vouloir faire converger l'Homme et la machine, il faudra sans doute (re)définir ce qu'est l'identité humaine. Où faut-il s'arrêter dans l'augmentation du corps humain ? Faut-il le réparer seulement, lui donner des capacités plus importantes ou même lui en donner de nouvelles ? Pourrons-nous choisir de ne pas s'augmenter ?

Enfin, certains commencent déjà à militer pour un statut des robots dans la société humaine.

« Les avocats qui militent pour les droits des robots ne connaissent rien à la robotique, mais ils s'y connaissent en business » a déclaré Raja Chatila.

Un groupe de travail au Parlement Européen

La robotique n'a pas inspiré de législation nationale en Europe mais Bruxelles semble avoir pris les devants, avant même l'Asie et les Etats-Unis.

Dès 2012, l'Union européenne a financé le projet Robolaw pour l'étude des implications sociales, juridiques et éthiques du développement des technologies robotiques. Des lignes directrices relatives à la réglementation de la robotique ont été publiées en septembre 2014 et pourraient servir à l'adoption d'un cadre juridique.

Mady Delvaux-Stehres, euro-députée luxembourgeoise a initié un comité au sein du Parlement dont le but est de rédiger un rapport de propositions à l'attention de la Commission. Les drones et les voitures autonomes seront tout particulièrement étudiés dans le cadre de ce groupe de travail. Le temps est pour le moment à l'écoute, l'analyse et la réflexion.

Si ces questions seront probablement à traiter au niveau international, Andrea Bertolini, chercheur en droit privé à la Scuola Superiore Sant’Anna de Pise, a fait remarquer que les approches américaines et européennes pouvaient être fondamentalement divergentes notamment sur la question de la dignité humaine, et que par conséquent, mieux valait essayer de se mettre d'accord au niveau européen dans un premier temps.

« Il y a un défi culturel pour l'Europe parce que les asiatiques aiment les robots qu'ils considèrent comme des amis. (…) En Europe on a ce côté culturel de la machine qui va se rebeller contre nous, qui va nous rendre esclave d'elle. Le défi c'est de faire comprendre aux gens que le robot ce n'est pas ce qu'on fantasme et ce dont on a peur mais que ce sont des machines qui sont là pour nous assister » a déclaré Catherine Simon.

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