Réalité virtuelle : tout est à inventer !

Par Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective

Réinventer les codes narratifs, s'adapter à des contraintes techniques inédites, conquérir un nouveau public : autant de défis que doit relever la toute jeune industrie de la réalité virtuelle. A l'occasion du Paris Virtual Film Festival, premier festival dédié à la VR au cinéma, de nombreux acteurs de l'industrie se sont réunis pour discuter des perspectives et des challenges de ce nouveau genre.

Une nouvelle grammaire qui s’affranchit des codes traditionnels du cinéma

En plongeant les spectateurs au milieu du film, la réalité virtuelle offre une expérience radicalement différente d’une séance de cinéma classique. Conséquence immédiate de ce changement de point de vue : la nouvelle grammaire de la VR s’affranchit des codes traditionnels du cinéma, tant du point de vue technique que du point de vue narratif.

En termes de réalisation technique, la réalité virtuelle implique une écriture très différente de celle d’un film classique : le spectateur se trouvant perpétuellement au centre de l’action, la notion de hors-champ disparaît et les scènes doivent être pensées à 360°. De fait, la technique du cut propre au cinéma devient inenvisageable : pour transporter le spectateur d’un décor à l’autre sans le déboussoler, la VR exige des transitions travaillées entre les scènes.

Comme l’explique Pierre Zandrowicz, réalisateur du court-métrage I, Philip projeté pendant le festival, « la VR recourt davantage aux plans-séquences et laisse plus de place au jeu des acteurs, qui se retrouvent souvent à jouer de longues scènes en temps réel, sans possibilité de couper et de monter en post-production ».

Autre contrainte technique notable : la nécessité d’éviter le « motion sickness », ou « mal de la VR ». Pour éviter cette sensation de malaise qui provient d’une dissonance entre ce que l’oreille interne perçoit et ce que les yeux voient, les déplacements de la caméra doivent se faire à vitesse constante. Un nouveau paramètre entre donc en jeu en VR : la notion de confort, afin d’offrir l’expérience la plus agréable possible au spectateur.

En termes de narration aussi, la VR bouleverse les conventions. Là où le spectateur, dans le cinéma classique, est le plus souvent un observateur omniscient, en VR, il est au centre de la scène, ce qui pose d’emblée la question de son identité : observateur invisible ou personnage du film ?  Dans DMZ : Memories of a No Man’s Land, projeté durant le festival, le spectateur incarne par exemple un ancien soldat qui parcourt la zone démilitarisée séparant la Corée du Nord de la Corée du Sud. Un choix narratif jusqu'ici privilégié par la plupart des films de VR.

Avec la réalité virtuelle, c’est donc bien une grammaire totalement nouvelle qui apparaît. Un changement qui peut s’avérer déroutant pour les spectateurs habitués au cinéma classique. D’où la nécessité, comme l’explique le réalisateur Balthazar Auxiètre, de « déséduquer » les gens aux codes traditionnels du cinéma que sont les cuts et le cadrage fixe, pour dessiner les contours d’un nouveau genre.

Tous les professionnels de la VR insistent sur le même point : ce qui est à la fois passionnant et terrifiant dans la VR, c’est que tout est à inventer. Héritière du cinéma et du jeu vidéo, la VR est encore un objet de curiosité, un terrain inexploré qui n’attend que ses pionniers pour bousculer les conventions et créer de nouveaux codes.

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De la production à la distribution : la chaîne du désir en VR

Comme toute nouvelle technologie, la réalité virtuelle est encore un marché de niche qui doit faire ses preuves pour séduire un public plus large que les seuls « early adopters ». C’est précisément pour débattre de la chaîne de production de la VR et de l’appétence du public pour ce nouveau genre que des représentants d’Arte, d’Okio Studio et du pickupVRcinema se sont réunis ce week-end lors du festival.

Pour Arte, le chemin vers la VR s’est fait assez naturellement, comme la suite logique des projets numériques engagés par la chaîne depuis une dizaine d’années. Si Arte est aujourd’hui le principal financeur et coproducteur de VR en France, c’est avant tout la cohérence entre la vision d’un auteur et la technologie de réalité virtuelle qui importe à la chaîne. Comme l’explique Gilles Freissinier, directeur du développement numérique d'Arte, « la VR doit servir le projet », elle ne doit pas être un prétexte mais apporter une plus-value.

Une vision partagée par Antoine Cayrol, producteur chez Okio Studio, pour qui « la VR constitue avant tout une nouvelle façon de raconter des histoires ». Les aides du CNC et les nombreuses initiatives de groupes publics comme France Télévisions et Arte permettent aux acteurs de l'industrie de se concentrer sur la créativité plutôt que sur la rentabilité immédiate de leurs projets, contrairement à l’industrie VR américaine, déjà focalisée sur le retour sur investissement.

Des aides publiques à la création, une approche en termes de qualité plutôt que de rentabilité, des réalisateurs talentueux et des chaînes de télévision prêtes à investir : la VR a tout pour réussir, il ne lui manque plus que son public ! Pour Camille Lopato, co-fondatrice du pickupVRcinema (le premier espace VR en France), l’évolution est encourageante : « de 80% de pros de la VR et 20% de curieux il y a trois mois, on est passés à 80% de curieux et 20% de pros ». Une preuve que la VR se démocratise et devrait bientôt trouver son public.

Sélection de films projetés durant le Paris Virtual Film Festival

Parmi les nombreux films en compétition durant le festival, nous avons eu l'occasion de visionner quatre projets très différents qui illustrent l'étendue des possibilités créatives de la VR.

  • I, Philip, par Pierre Zandrowicz (France)

23 ans après la mort de Philip K. Dick, en 2005, David Hanson, un jeune ingénieur en robotique, dévoile son premier androïde à forme humaine : Phil. Immersion dans les souvenirs de ce qui pourrait être la dernière histoire d’amour de l’écrivain. Mais ces souvenirs ne sont-ils pas le fruit de l’imagination d’un androïde qui a peu à peu appris à être humain ?

  • The Ark, par Kel O’Neill et Eline Jongsma (Etats-Unis / Pays-Bas)

Le Rhinocéros blanc du Nord est l’espèce animale la plus menacée d’extinction au monde : seuls trois animaux sont encore en vie. Avec les moyens propres à la réalité virtuelle, The Ark place le spectateur face à l’un de ces derniers rhinocéros et nous place aux côtés des scientifiques qui tentent de préserver cette espèce.

  • Invasion, par Eric Darnell (Etats-Unis)

Des aliens arrivent pour envahir la Terre mais en dépit de leur intelligence, leurs technologies et leurs armes, les Terriens parviennent fièrement à les repousser. En revanche, ces braves résistants ne sont pas des humains mais deux adorables petits lapins blancs.

  • DMZ : Memories of a No Man's Land, par Hayoun Kwon (France)

DMZ: Memories of a No Man’s Land plonge le spectateur dans un endroit interdit : la zone démilitarisée coréenne, une bande de terre d’environ 248 km de long par 4 km de large séparant la Corée du Nord et du Sud. Dans ce documentaire révélateur, vous découvrirez la zone à travers les souvenirs d’un ancien soldat.