Immersion, engagement, 360°, VR/AR ont dominé l'ONA16 à Denver

Par Hervé Brusini, Direction de l'information, France Télévisions

Cela commençait fort, et n’allait pas s’arrêter. La caisse du taxi mexicain qui me conduisait vers la 16e assemblée de l’ONA (Online News Association) résonnait aux accents d’une salsa poussée à fond. Le chauffeur mélomane écoutait et ... regardait (!) son concert sur l’iPhone fixé près du volant. A côté, une tablette semblait servir à la comptabilité de l’entreprise et un dernier écran assurait les relations en temps réel avec le patron.

Dès la sortie de l’aéroport tout était numériquement dit. A Denver en tout cas, un chauffeur de taxi donnait l’exemple d’une absolue banalisation du digital.

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En deux temps, et quelques accélérations bien placées, la Chevrolet jaune me déposait au Hyatt Regency, lieu de rendez-vous des 2.500 journalistes accrédités pour trois jours d’échanges sur l'état de l'art mondial du journalisme en ligne. Il fallait maintenir le rythme, la keynote d’ouverture n’allait pas tarder et une invitée de marque s’avérait passionnante à entendre. On ne fut pas déçu.

« Nous allons vers toujours plus de vidéos, toujours plus immersives. Nous allons investir fortement dans la video 360°, car les gens veulent ressentit l’action. ABC a récemment enregistré un grand succès en ce plaçant à Times Square en plein blizzard. PBS a fait de même sur la crise du sud Soudan. Le 360 provoque une incomparable empathie. Avec cette technologie, vous êtes au milieu de l’action. Le 360° est donc appelé à jouer un grand rôle, il engage vers toujours plus de débat, toujours plus de social… »

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Fidji Simo est intarissable sur le sujet 360°. Ses mots sont loin d’être négligeables. Celle qui affirme ainsi son enthousiasme est la directrice vidéo de Facebook. Elle a tout juste 30 ans et vient de France, plus précisément de Sète. Son anglais est parlé avec un accent français qui flatte l’orgueil du coq national. Le débit est hyper rapide sans l’once d’une hésitation. Et la voilà qui précise encore l’ampleur de l’engagement de Facebook dans le domaine de la « vidéo mondiale ».

« Le 360 nécessite d’ouvrir plusieurs chantiers. Il y a d’abord la question de la prise de vue. Nous investissons dans la technologie des caméras. Ensuite, la post-production. Nous mettons en place un guide du 360. Tout est à inventer, les sujets sont nombreux : comment faire en sorte que l’on regarde ce qui doit l’être ? Comment écrire sur l’image ?… C’est dans les 6 mois, l’un de mes objectifs les plus excitants. »

En une heure la jeune femme a parlé d’une multitude de sujets, de la responsabilité de Facebook à diffuser certains contenus, aux nécessités de rémunérer les auteurs des fameux « Instant articles ». Mais on l’aura compris, Facebook parie sur la vidéo comme jamais. Après Facebook Live, la nouvelle mission de Fidji Simo, c’est désormais le 360 qui prend des allures de nouvelle frontière. Et ici au Colorado, on sait ce que cela veut dire.

A la sortie de la conférence, un grand type baraqué arpentait les couloirs sans fin de l’hôtel. Une drôle de machine montée sur 4 roues le suivait comme un fidèle animal. Sauf que la tête de cette la bête était composée de six caméras GoPro. A n’en pas douter cette innovation due au média lab de l’université de Caroline du nord, faisait la fierté du marcheur. Son nom, Steven King (sic), sa création, Ducille.

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« Ducille est un robot qui peut suivre le reporter sur le terrain, dit le chercheur. Elle filme tout en 360°. Cela permet au journaliste de rester très cool, en train d’observer tout ce qu’il se passe de même que l’internaute voit lui aussi ce qui environne le journaliste. Alors, c’est clair, on n’utilise Ducille que dans des cas particuliers. Par exemple, l’interview qu’on fait actuellement ne s’y prête pas du tout. En revanche une catastrophe météo…»

A dire vrai, aucun auditeur de l’ONA ne semblait réellement surpris par l’existence de Ducille. Que la réalité soit augmentée, virtuelle, ou à 360°, ce nouveau pas dans la vidéo d’information, ici, chacun semblait l’avoir d’ores et déjà franchi.

Pourtant les questions allaient bon train. ONA 2016, c’était le rythme effréné de 75 conférences en 72 heures.

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Toutes bondées, on refusait même parfois du monde et des cerbères savaient vous dire avec le sourire qu’il fallait savoir renoncer. Mais, pas un jour, pas un moment où la « mixed reality » n’ait été abordée. Et cela à tous les étages serait-on tenté de dire. Que ce soit à celui des start up ou du côté des puissants comme Google, immersion et engagement étaient les mots clés.

Précisément, les écrans disposés dans le confortable stand de la firme de Mountain View, affichaient de façon quasi permanente et en gros titres « le journalisme 360° ».

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Le message était le suivant : « Le laboratoire de Google et la fondation Knight (d’origine privée, liée au groupe de presse Knight Ridder, elle finance les projets liés au journalisme) mettent en œuvre avec l’ONA, le journalisme 360 afin d’accélérer la compréhension et la production de ce journalisme immersif. Notre but principal est de rassembler tous les acteurs pour partager les connaissances dans les secteurs en développement rapide que sont le 360, la réalité augmentée ou virtuelle. »

On ne saurait mieux affirmer un enthousiasme naissant. Et pourtant si. C’est le cas de Robert Hernandez, « l’un des vrais vétérans du web journalisme » comme aime à le présenter l’école USC Annenberg qui l’emploie. Ce professeur jovial et stimulant animait une conférence intitulée : "Effet de mode ou effet durable : Pourquoi devrais je utiliser la 360 et/ou la réalité virtuelle dans mes récits ?".

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Deux femmes l’une du New York Times, et l’autre du HuffPost disaient à quel point la technologie nouvelle allait changer les récits dans les années à venir. Présence, émotion, partage, étaient selon elles les raisons profondes d’un succès palpable. Ainsi Jenna Pirog du New York Times précisait que 60% de ses internautes regardent les vidéos 360 et cela sur des durées longues de plus de 5 minutes.« Bien sûr, a-t-elle affirmé, cela coûte encore très cher à produire, mais les prix baissent chaque mois. »

En fait, la réponse à la question posée est venue de celui qui souriait toujours derrière sa barbe. Le fin mot de l’histoire « mixed reality » appartient aux jeunes tranchait le prof Hernandez : « En fait ce sont eux surtout qui suivent cette pratique nouvelle du journalisme. Et j’y vois trois raisons : Cela leur évoque les jeux vidéos qui sont immersifs. De plus, ils sont hyper sensibles aux innovations technologiques. Mais le grand levier, c’est Facebook qui est derrière la firme Oculus. Facebook glisse cela dans son stream sous forme de photos ou de vidéos. Et c’est ainsi que le 360 par exemple devient très populaire pour des gens qui en fait ignorent ce qu’est cette technique ou la réalité virtuelle. Ils veulent d’abord découvrir des images nouvelles. Tout cela combiné, assure à cette technologie une meilleure chance que la télé pour retrouver, rassembler les jeunes. Précisément parce que c’est immersif, cela bouleverse émotionnellement, et donc ne peut que faciliter, provoquer l’engagement d’un public jeune. »

Facebook, nous y revenions donc encore. S’il fallait quelques chiffres pour comprendre à quel point le marché s’avère prometteur, pas de souci le réseau social en ligne nous les a procurés.

Cette année, il n’avait en effet pas hésité à sponsoriser nombre de sessions. C’est dans l’une d’elles que quelques données précieuses ont été révélées.

  • Sur 1,7 milliard d’utilisateurs de Facebook, 20 millions possèdent un matériel compatible avec la réalité virtuelle.
  • 280 vingt millions des internautes de FB, ont vu une vidéo 360.
  • 3 millions d’heures de vidéos 360 ont été vues avec le matériel Oculus.
  • 1 million de photos ont été vues en 360.

Bref de quoi donner toutes les raisons d’investir dans l’innovation d’une réalité mixte. D’ailleurs les émissaires de FB ont annoncé la sortie prochaine d’un nouveau matériel de prise de vue à moins de 200 dollars.

Immersion, information, jeunesse…les constats, prédictions, espérances développés dans cette ONA 2016 avaient de quoi donner le tournis. La grande révolution de l’info était elle réellement en marche ? Serait-ce la technologie qui allait l’aider à non pas re-trouver l’attention d’une jeunesse mais à simplement la trouver.

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Le rouge du stand de CNN attira mon regard de visiteur en plein questionnement. On y essayait des casques de réalités virtuelles. Je demandais alors au représentant de la chaîne d’info en continu de m’expliquer ce qu’ils attendaient d’une telle technologie. Il y eut comme un instant de désarroi. Après consultation de sa voisine qui n’avait pas davantage de réponse, il m’assurait que demain quelqu’un pourrait tout me dire.

Demain ?…Bien vu !