Intelligence artificielle + intelligence humaine = le combo gagnant pour les bots

Par Gautier Roos, France Télévisions, Direction de la Prospective

On les appelle des bots, chatbots, agents conversationnels, assistants virtuels, ou invisible apps... Quelle que soit la dénomination choisie, difficile d'échapper aux interfaces qui les accueillent et qui se sont propagées à une vitesse folle ces dernières années : parmi elles, Messenger, Slack, WhatsApp, WeChat, ou encore Telegram trustent le haut du pavé.

Fabernovel Innovate, une agence d'innovation, organisait cette semaine à Paris une conférence sur ces nouveaux acteurs (enthousiasmants) de la révolution numérique, dans les locaux de Pixellis. L'occasion de revenir sur l'impact des bots sur les marques, les entreprises de services, et les médias d'infos.

Le succès de ces nouveaux acteurs ne se dément pas : Messenger comme WhatsApp ont chacune dépassé le milliard d’usagers par mois. Depuis 2015, les applications de messagerie ont d'ailleurs dépassé les réseaux sociaux en terme d’utilisateurs : nombreux sont ceux qui utilisent uniquement Messenger, et non plus Facebook, pour communiquer.

Nous entrons dans l’ère du tout conversationnel : curieusement, à l’heure où se développent des possibilités de formats et de storytelling inédites, les consommateurs sont en demande d’interfaces qui reprennent les codes de la conversation par SMS, formellement peu innovantes, pour ne pas dire conservatrices.

Nous revenons, à travers un design épuré, aux basiques de la relation client : l’idée de se faire comprendre simplement, et de se faire conseiller de façon personnalisée. Rien de très nouveau sous le soleil, si ce n’est la technologie : les bots ne font qu’accentuer des standards en vigueur depuis longtemps, notamment grâce au développement de l’IA, qui permet de centraliser et d'automatiser les requêtes. Les réponses pré-définies sont également de vigueur pour certains type de demandes, permettant un gain de temps pour tout le monde.

C’est pourtant une mini-révolution à l’échelle des marques et des médias : d’un modèle où les mails « nepasrepondre » étaient la norme, nous basculons dans une ère où l’interaction, et la bataille de l’attention, deviennent des enjeux cruciaux. Toute la difficulté pour ces nouveaux acteurs va être de se montrer force de curation tout en évitant de devenir trop intrusifs.

Du sur-mesure et de l'émotionnel : l'apport des messageries instantanées

Premier constat : le marché des applications arrive à saturation, et nous sommes nombreux à ne pas pouvoir ajouter de nouvelles applis faute d’espace disponible. Pire encore : beaucoup d’entre elles dorment sur notre smartphone (passé l'effet de mode, nous ne les utilisons plus). Les chatbots permettent de mutualiser les services (et donc libérer de l’espace) tout en allant chercher directement le lecteur, à une époque où celui-ci est de plus en plus passif dans sa façon de concevoir l'information. Les interfaces de 20 Minutes ou de franceinfo misent notamment sur des alarmes quotidiennes personnalisables condensant l’essentiel de l’actualité : l’utilisateur hier noyé sous l’infobésité peut paramétrer le volume d’infos et les thématiques qui l’intéressent, selon un rythme qui lui est propre (et qu'il peut faire évoluer à sa guise).

Misant sur la simplicité et l’immédiateté, les bots se distinguent aussi par la personnalisation et l’émotionnalité. L’utilisateur n’a plus besoin de chercher un langage adéquat pour ses requêtes, il s’exprime dans l’interface comme il le fait dans une conversation avec ses amis. C’est l’invisible appli qui se plie à sa façon d’écrire et qui adapte ses réponses, du moins lorsqu’elle est performante. L’autre gros avantage des bots, c’est l’apprentissage et l’affinement des réponses au fil du temps : plus la machine connaît vos préférences et votre façon de vivre, plus elle est en mesure de proposer des services ou des réponses adéquats.

robot-customer-service

Pour l’instant, les bots reposant uniquement sur l’IA affichent des résultats assez décevants. Ils sont encore incapables de faire preuve du discernement nécessaire face à certaines requêtes, y compris les plus simples d’entre elles (souvenons-nous de Tay, le bot de Microsoft sur Twitter, qui s’était vite mis à propager des messages pro-Hitler, rabâchant naïvement les messages qu’on lui envoyait).

La machine a donc encore besoin de l’humain, et les bots les plus performants sont d’ailleurs ceux qui utilisent l’IA pour centraliser les demandes avant de passer la main à l’humain lorsqu’ils calent. Soit ce dernier prend le relais, soit il épaule les agents conversationnels dans leur réponse et s’assure que celle-ci est appropriée.

Ajoutons que les bots sont aussi faciles d’accès pour les éditeurs et ne nécessitent pas le même poids logistique qu’une application ou un site web professionnel : le « bot store » initié par Facebook en 2016, qui propose aujourd'hui 34.000 bots utilisant Messenger, est ouvert à tous. L’implémentation d’un bot ne coûte presque rien, et il est aujourd’hui possible de tester et lancer son service plus rapidement que jamais.

Vers la fin des applications (et des humains) ?

Loin du simple gadget, le bot se professionnalise et concentre l'intérêt de nombreux acteurs (assureurs, services de transport, sites de rencontres, portails informationnels...). Le chatbot Bankin' est déjà en train de donner un coup de balai au bon vieux conseiller de banque en agence : en fonction de vos rentrées d'argent à venir et de vos habitudes de dépense, il vous conseille et effectue (avec votre accord) les transactions qu'il jugent les plus avantageuses entre vos différents comptes.

Le marché arrive déjà à maturité : l’avatarisation semble passée de mode. Il y a encore deux ans, chaque service qui s’essayait au lancement de chatbots lui attribuait systématiquement un prénom : ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui, les assistants virtuels s’inscrivant désormais comme un complément naturel aux sites ou aux applications.

A tel point qu'on peut se demander si ces robots de plus en plus sophistiqués (Microsoft teste un bot capable de détecter les réactions grâce à la reconnaissance faciale) ne vont pas mettre un terme aux outils d'hier.

Le PDG de Microsoft Satya Nadella nous a ainsi prévenu : "les bots sont les nouvelles applis". 

Les formulaires en ligne seront probablement les premières victimes de l'émergence de bots, avant que les sites et les apps traditionnelles ne cèdent eux aussi la place ? En tous les cas, l'humain n'a lui pas encore dit son dernier mot : les utilisateurs n'aiment guère l'incertitude, et ont besoin de savoir si leur "conseiller" en ligne est un interlocuteur bien réel ou un robot.

Se projetant dans les années 2000, Alan Turing prévoyait qu'un humain serait incapable de discerner si son interlocuteur est une machine ou un homme (le fameux test de Turing) dans 30% des cas. L'avenir lui donne pour le moment tort, mais jusqu'à quand ?