L'info chez les jeunes, entre scepticisme et lucidité

Par Gautier Roos, France Télévisions, Direction de la Prospective

A l'heure de la multiplication des sources et des nouveaux moyens d'informations, les nouvelles générations composent avec une mappemonde informationnelle qui n'a plus grand rapport avec celle de leurs parents. Publié cette semaine, le rapport américain How Youth Navigate the News Landscape scrute les comportements des jeunes vis-à-vis de l’info, et s’intéresse à l’influence des smartphones, des réseaux sociaux, et des algorithmes sur les habitudes de lecture. Evidemment, ces observations donnent des indications plus générales sur le nouvel écosystème de l’info, bien au-delà des classes d’âge (nous sommes tous aujourd’hui plus ou moins soumis aux biais algorithmiques et à l’omnipotence de Facebook).

L'ère des flux et des timelines : « l’info par accident »

Nous vivons dans un environnement où la news est partout : dans nos fils d’actu Facebook, dans nos notifications push, et dans les cafés diffusant des chaines d’info continue. Notre pratique informationnelle évolue plus vite que jamais dans l’histoire : la bonne nouvelle est que les jeunes semblent conscients des nouveaux paradigmes imposés par la technologie.

A l’ère du smartphone et des réseaux sociaux, les jeunes générations rencontrent souvent l’information « par accident », en parcourant des plateformes et des applications (Facebook, Twitter, Instagram, Apple News) plutôt qu’en allant la chercher d’eux-mêmes. Une attitude passive où l’info surgit parfois sans que l’on lui demande.

Les plateformes sont devenues hégémoniques, quitte à parfois éclipser les médias d’hier (« Si je ne vois pas l’info sur les réseaux sociaux, je n’en entendrai pas parler »). Le partage d’un screenshot, où un utilisateur envoie une capture d’écran de la nouvelle à ses amis par message, pose d’ailleurs des difficultés nouvelles en termes de mesure d’audience : les recommandations, la force du réseau, deviennent des composantes à part entière de l’écosystème informationnel.

Confiance en berne, mais conscience accrue

Si les plateformes se frottent les mains, les éditeurs accusent eux le coup, et voient leur image s’écorner : la confiance envers les titres de presse est historiquement basse.

Les adolescents comme les jeunes adultes manifestent un scepticisme généralisé envers l’information, principalement pour deux raisons : celle-ci est souvent perçue comme partisane (biased) ou imprécise (innacurate). De nombreuses déclarations font état d’un relativisme accru dans la manière de percevoir l’information : revient en permanence l’idée qu’une nouvelle exprime toujours un certain point de vue ; que quelque part, l’objectivité dans l’info n’existe pas.

bias

Dans cette conception, le fait semble se confondre avec son interprétation, ce qui ne va pas sans poser d’autres problèmes : l’incrédulité totale ne s’appuie-t-elle pas sur une idéologie tout aussi périlleuse que la naïveté absolue ?

Contrairement à une idée répandue, les jeunes consommateurs d’info ont pris l’habitude de vérifier ce qu’on leur raconte, et consultent souvent plusieurs sources pour mener à bien leur démarche. Des réflexes critiques se développent à l’heure où n’importe qui, pour peu qu’il soit équipé d’un compte Twitter, peut devenir un média à part entière.

Vers un TV revival ?

Alors qu’on la dit souvent abandonnée par les nouvelles générations, la télévision est, de façon surprenante, toujours en course : certaines personnes interrogées considèrent le média comme fiable et objectif, dans la mesure où il nécessite des moyens et de larges effectifs pour produire de l’info, et présuppose ainsi une pluralité de points de vue. Le fait que les médias aient des préférences ne pose pas nécessairement problème : une source d’infos apparaît logiquement plus crédible à leurs yeux quand ses partis pris sont connus.

De façon corollaire, les jeunes populations semblent bien conscientes du pouvoir des algorithmes, et de l’entonnoir idéologique qu’ils alimentent. Le problème des fake news et des filter bubbles, revenu sur le devant de la scène après l’élection de Donald Trump, semble bien assimilé par les nouvelles générations.

Ces dernières ont intégré l’idée qu’un fil d’actualité est une vision partielle et personnalisée du monde informationnel. Le « regain » de force du média TV semble ainsi correspondre à un désir de structure et de hiérarchie (une bonne nouvelle pour les rédacteurs en chef) : et si la lecture algorithmique était déjà passée de mode ?

Jeunesse

Facebook : le live bientôt en perte de vitesse ?

Un article sur des thématiques voisines dresse un constat complémentaire : peu après son lancement, le recours à Facebook live semble lui aussi accuser le coup, avec un marché qui arrive déjà à saturation. Un graphique consacré aux éditeurs britanniques montre bien que la tendance est à la stagnation, après un pic en juin dernier.

graphique

Au-delà de la question des usages, l’hypothèse la plus probable réside dans le modèle économique choisi par Facebook, habitué à payer ponctuellement des éditeurs pour initier des nouveaux formats et familiariser le public à de nouvelles pratiques. En 2016, la plateforme avait mis la main au porte-monnaie pour inciter BuzzFeed, le New York Times ou Vox Media à créer des contenus live, ce qui explique aussi la progression observée sur le graphe.

Cette année, Facebook a revu ses objectifs et cherche plutôt à stimuler la production de vidéos longues, de façon à satisfaire son nouveau modèle publicitaire, mettant le live de côté (la firme de Mark Zuckerberg souhaiterait aussi infléchir, dans les mois à venir, la production de vidéos en 360°, en VR, et le live audio).

Incapables de trouver un modèle de monétisation qui leur convienne à moyen terme, nombre d’éditeurs refusent de jouer le jeu du live si Facebook arrête de les rémunérer. Au sein d’une mosaïque de formats devenue très concurrentielle, le live devrait donc continuer à drainer de l'audience pour les événements ponctuels (manifestations, discours politiques attendus), mais devrait marquer le pas pour les six prochains mois...

Qu’en conclure ? Le paysage aussi entre une attitude passive (la sélection par des algorithmes, la primauté des plateformes) et dans le même temps un discernement accru sur ces nouvelles pratiques, bien loin des fantasmes qui courent sur une génération crédule mordant naturellement à l’hameçon des fake news.