L’IA, en route vers la quatrième révolution industrielle ?

Par Gautier Roos et Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective

Après la machine à vapeur, l’électricité et l’informatique, au tour de l’intelligence artificielle de bouleverser notre quotidien. Encore à ses balbutiements dans les années 1950, la technologie est aujourd’hui sur toutes les lèvres, grâce à une puissance de calcul inconcevable il y a de ça quelques années. De là à parler de nouvelle révolution industrielle, il n’y a évidemment qu’un pas !

La donnée est le nouveau pétrole

Entrer une adresse sur un GPS, effectuer une recherche Google, écrire un tweet, consulter la météo sur notre téléphone : toutes nos actions aujourd’hui produisent de la donnée, qui est en passe de devenir le nouveau pétrole de nos sociétés modernes. Et ces quantités industrielles d’informations, seule l’intelligence artificielle est capable de les collecter, les trier, les hiérarchiser et les gérer.

Le saviez-vous ? Quand vous consultez la météo sur votre iPhone, vous confiez vos données à... IBM

Le saviez-vous ? Quand vous consultez la météo sur votre iPhone, vous confiez vos données à... IBM

Contrôler la donnée, c’est l’assurance pour les entreprises de pouvoir aller de plus en plus dans l’analyse des comportements, le profilage des utilisateurs, et donc le ciblage des produits et services qui leur sont vendus. Et pour mieux exploiter ces gigaoctets d’information, les grands groupes tech développent des IA toujours plus performantes, capables d’une compréhension de plus en plus fine de notre monde.

Chez IBM par exemple, l’IA Watson fonctionne selon trois principes :

  • Elle comprend le langage naturel, c’est-à-dire le langage dans toute sa complexité, avec ses jeux de mots et ses références culturelles (Watson maîtrise actuellement sept langues)
  • C’est une IA probabiliste : les réponses qu’elle donne ne sont pas déterministes, mais évoluent en fonction des données qu’elle ingurgite et du contexte
  • C’est une IA apprenante, qui progresse au fur et à mesure de ses interactions avec l’homme

L’IA infuse tous les secteurs

Et les cas d’usages de ce type d’IA apprenante sont de plus en plus nombreux, dans tous les secteurs. Quelques exemples :

  • L’IA au service du e-commerce : l’IA reconnaît les objets postés sur Pinterest et vous propose des liens vers des articles similaires
  • L’IA au service du contenu : sur les sites culinaires, l’IA repère les articles sans photos et analyse les recettes pour ajouter une photo pertinente
  • L’IA au service de l’expérience utilisateur : l’intelligence artificielle est capable d’observer le parcours des utilisateurs sur des sites et applis, d‘analyser les temps de chargement et les bugs pour améliorer l’UX
  • L’IA au service de la personnalisation : en collectant vos données de géolocalisation et la vitesse à laquelle vous vous déplacez, l’IA peut repérer si vous êtes statique ou en déplacement et ainsi tenir compte du contexte de consommation des contenus pour vous faire des recommandations adaptées

Sur tous les fronts, l’IA apparaît donc comme la panacée pour les innovateurs du monde entier, bien que sa définition et son périmètre restent difficile à définir clairement. Cette absence de contours précis contribue d’ailleurs à un certain effet de mode : certaines entreprises s’engagent sur le chantier de l’intelligence artificielle sans vraiment savoir pourquoi.

Cloderic Mars, CTO chez Craft.Ai, où il conseille et accompagne des acteurs profanes en la matière, le confirme : certains de ses clients prennent le problème à l’envers et viennent le voir pour « faire de l’IA », sans projet clair associé ! La technologie devient une fin en soi, alors que pour être pleinement efficace, elle doit demeurer un moyen au service une vision.

Loin d’être le sésame magique qui ouvre toutes les portes, l’IA reste pour l'heure soumise à des biais qui prouvent qu’elle a encore un peu de retard sur l’intelligence humaine.  Si en 2017 la reconnaissance faciale n’est déjà plus une fonctionnalité pointue, nous en sommes encore à un stade où la compréhension d’une image reste assez sommaire.

Malgré une capacité à digérer des millions de cas de figure pour parfaire son apprentissage, la technologie est encore faillible. Exemple avec cet ordinateur dont on a longtemps cru qu’il savait distinguer “avec discernement” les voitures des camions, mais dont on s’est finalement rendu compte que sa lecture de l’image était très limitée (comme les exemples qui lui ont été enseignés montraient souvent des clichés de camion capturés en journée, la machine associait spontanément la couleur du ciel au type de véhicule…).

La révolution de l’IA en est donc à ses prémices, mais au vu des montants colossaux qui sont investis, les progrès seront inévitablement très rapides. Il était donc grand temps que nos gouvernants se saisissent de cette thématique, dont les conséquences commencent déjà à infuser l’économie et redéfinir nos emplois.

IA : la France se dote enfin d’une vision stratégique

C’est dans ce contexte mêlé d’excitation et d’incertitude que le gouvernement a mobilisé les membres de la communauté IA pour prendre le pouls des initiatives du pays et définir une stratégie nationale sur cet enjeu plus qu’essentiel.

Recherche, formation, stratégie industrielle, éducation du grand public : 500 experts répartis en 17 groupes de travail ont ainsi été mis à contribution du 20 janvier au 14 mars pour plancher sur des actions de politique publique en matière d’IA.

ban-ia-02-38

Remis au gouvernement le 21 mars à la Cité des sciences et de l’industrie (Paris), le rapport prévoit la mise en place d’un comité stratégique de l’IA - qui réunira des acteurs de la recherche, de l’enseignement, du monde économique et de la société civile – pour mettre en œuvre les recommandations des groupes de travail.

Le lancement d’un programme sollicitant les institutions de recherche pour identifier, attirer et retenir les meilleurs talents en IA ; la coordination par la France d’une candidature à un programme phare européen sur l’IA co-financé par l’UE à hauteur d’1 milliard d’euros ; la mobilisation de diverses filières (automobile, finance, santé, transport ferroviaire, relation client) pour que chacune d’entre elle définisse sa stratégie en matière d'IA, sont à l’ordre du jour.

Parmi les 59 propositions mises sur la table et accessibles dans la synthèse du rapport, on retiendra la création d'un Centre français pour l'IA (« un lieu de rencontre entre académiques et industriels »), ainsi que le développement de MarIAnne, un assistant conversationnel intelligent en soutien à la modernisation de l’action publique. L’accent est mis sur l’éducation, avec la possible mise en place d’un enseignement « à l’IA, au traitement des données et aux sciences numériques » qui courrait de l’école primaire au lycée.

L’adaptation du code de la route aux voitures autonomes, ou la défiscalisation des rachats de start-ups IA par les grands groupes français en vue de gagner en compétitivité, y sont aussi évoquées.

Une série d’initiatives qui atteste de la volonté de la France de se placer aux avant-postes dans un domaine où la compétition fait rage, et où la fuite des cerveaux semble nous avoir déjà beaucoup porté préjudice. L’exécutif met donc le coup d’accélérateur nécessaire pour prendre la mesure d’un nouvel âge d’or de l’IA, « né de la combinaison de l’explosion des volumes de données, de la démultiplication de la puissance de calcul et du développement de nouvelles méthodes et algorithmes » comme le résume Thierry Mandon, secrétaire d’Etat à la Recherche et l’Enseignement supérieur et initiateur du projet FranceIA avec Axelle Lemaire.

Loin des idées reçues qui voudraient faire d’elle un dinosaure sur le front technologique, la France est la deuxième destination en matière d’investissements européens en IA, avec 278 millions d'euros levés en 2016. C’est loin derrière l’indépassable Grande-Bretagne (581 millions d'euros), mais largement devant nos voisins allemands (187) et belges (110), révèlent les chiffres de La Tribune.

Si on peut peut-être regretter que cette batterie d’initiatives arrive un peu tard, il faut tout de même souligner le fait que seuls trois pays ont mis en place des chantiers similaires dans le domaine de l’intelligence artificielle : la Corée du Sud, la Chine, et les Etats-Unis.

Retrouvez notre story Snapchat sur la remise du rapport France IA au gouvernement :

Des jeunes pousses de la French Tech aux grandes entreprises du CAC 40, des laboratoires de chercheurs aux bureaux des ministères, l’intelligence artificielle semble avoir conquis tout le monde. Mais sous le vernis d’un enthousiasme généralisé, une inquiétude subsiste, et une question est sur toutes les lèvres : l’IA va-t-elle remplacer l’humain ?

D’un ton rassurant, Nicolas Sekkaki expliquait, cette semaine, que « l’IA ne va pas remplacer l’homme, elle va l’augmenter. » D’autres avancent, chiffres à l’appui, que seuls 10% des emplois seraient menacés par l’automatisation du travail. Beaucoup estiment enfin que si l’IA est performante dans l’exécution de tâches systématiques, répondant à un « pattern » précis, elle est en revanche encore loin derrière l’homme en termes de capacité d’abstraction et de créativité.

Des propos à tempérer, dans la mesure où beaucoup d’apôtres de l’intelligence artificielle sont, précisons-le, motivés aussi par des intérêts économiques. Il n’aura fallu que quelques années à l’IA pour infuser discrètement nos pratiques, mais qu’en sera-t-il dans 5, 10 ou 20 ans ?

Ce qui est sûr, c’est que c’est une transformation en profondeur qui est en train de s’opérer sous nos yeux. Et que c’est dès aujourd’hui qu’il faut réfléchir à la société intelligente que nous voulons construire.