[Etude] L'avenir de la confiance en ligne

Par Lorraine Poupon, France Télévisions, Direction de la Prospective

Le paradoxe est criant : jamais nous n’avons été si conscients des risques liés à notre présence sur Internet et pourtant jamais nous n’en avons été aussi dépendants. Et s’il y a une chose à retenir de l’étude conduite par le Pew Research Center, c’est que quelle que soit l’évolution de notre confiance en ligne au cours de la prochaine décennie, elle ne sera pas nécessairement corrélée à notre usage effectif du web.

L'enjeu de la confiance est loin d’être anodin à l’ère de la dématérialisation et de la numérisation. Lorsqu’elle est acquise, elle permet de faire société, participe au bien-être, à la stabilité politique et au développement économique. A l’inverse, la question posée par le Pew Research Center arrive à un moment où les institutions traditionnelles, que ce soit les gouvernements, les médias ou le système financier et bancaire, s’isolent progressivement du corps citoyen par une fracture qui semble de plus en plus insurmontable.  L’ère du temps est au renouveau et le rôle que jouera internet dans notre quotidien va aller grandissant. Cela, aucun des experts interrogés ne le nie. Toutefois, trois tendances se distinguent dans l’issue possible.

1En dehors du Web, point de salut

Pour 48% des interrogés, c’est la voie qui sera empruntée : la confiance va progresser, parallèlement donc, à la dépendance à l’égard d’internet. Cela sera le fait d’un effet de rattrapage aussi bien technologique que légal et institutionnel. Le cryptage des données va se généraliser. Avec les systèmes de vérification de l’identité, l’existence en ligne sera plus sécurisée.

Et cela dépasse la seule nécessité. Si effectivement, certains services ne seront bientôt plus disponibles qu’en ligne et qu’il sera donc impossible d’utiliser une porte dérobée, Internet a donné naissance à de nouvelles communautés et à de nouvelles relations interpersonnelles avec leurs propres codes. Plus encore, pour les jeunes générations qui n’auront pas connu de monde déconnecté, leur familiarité avec le web assure leur confiance.

Les Etats doivent rattraper leur retard et même anticiper sur le progrès technologique en alignant leur législation sur l’enjeu de la protection des données.

S’ils sont optimistes, ceux qui croient en l’augmentation de la confiance sont néanmoins lucides: la vigilance reste nécessaire et il n’est pas question de faire preuve de naïveté face aux enjeux et risques inhérents à une présence accrue sur le net. L’éducation sur ces questions reste un défi pour être conscient des risques au-delà des avantages et avoir un usage raisonné des outils à disposition.

« DIY world »

Les blockchains ont, à cet égard, un grand rôle à jouer. Ces bases de données cryptées recensent un historique de transaction visible par chacun des utilisateurs d’un réseau pré-défini. Elles sont inaccessibles pour tout individu extérieur. Elles permettent aux internautes de prendre leur indépendance vis-à-vis des intermédiaires qui sont ceux qui suscitent la méfiance.

Encore peu connues du grand public, elles pourraient se généraliser si toutefois les premiers exemples à succès font leur preuve car ils constitueront pour les novices un cas d’école. La possibilité de la désintermédiation reste toutefois menacée du simple fait qu’elle n’est pas dans l’intérêt des GAFA.

2Internautes résignés, la confiance par défaut

La deuxième tendance développée par le Pew Research Center est le temps de la « confiance par défaut » : l’usage d’internet continuera d’augmenter sans que la confiance ne progresse pour 28% des sondés. Le bras de fer entre les GAFA et les défenseurs des droits individuels face aux abus de ces géants du Web continuerait. C’est le scénario de la résignation où, bien que conscients des risques, les internautes resteraient passifs et choisiraient la praticité et le confort que leur offrent ces outils en ligne. Et que celui qui n'a jamais coché la case "J'ai lu et j'accepte les termes et conditions" sans les avoir effectivement consultés leur jette la première pierre !

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3Dans l’ombre du doute

Pas une semaine ne se passe sans l’annonce d’une nouvelle cyber-attaque par un groupe de hackers anonymes contre une agence gouvernementale ou même d’un Etat dans les affaires d’un autre. Pour les derniers 24% des interrogés, ce climat est la nouvelle norme et va même aller en s’empirant.

Internet n’a pas été créé avec cette question de la sécurité en tête et a pris une tournure inattendue pour ses créateurs. Les intérêts économiques des géants du Web continueraient ainsi à s’opposer aux droits individuels. Ces derniers seraient même voués à perdre cette partie de bras de fer, le monopole des GAFA en ce qui concerne la concentration des données permettant la surveillance de masse au nom de la raison d’Etat.

Si l’optimisme est la voie choisie par la majorité des sondés, on peut se demander si ces derniers sont représentatifs de l’attitude qu’adoptera l’ensemble des internautes. Conscients des enjeux, des risques mais aussi et surtout des promesses qu’offre une société nouvelle et connectée, ils connaissent et même établissent ses règles renouvelées. Dès lors, leur optimisme n’est-il pas résigné plutôt qu’éclairé ?