Le Numérique d’abord, seul moyen de sauver les vieux médias

« Le Numérique d’abord » ! C’est ainsi que s’est rebaptisé un des plus grands groupes de presse américain pour afficher sa détermination à « se réinventer complètement » pour survivre. Et ça a l’air de marcher !

Jim Brady, le responsable du numérique de Digital First Media (près de 100 quotidiens et plus de 200 magazines) est venu nous expliquer les ressorts de cette stratégie, jeudi soir à France Télévisions, dans le cadre d’une conférence du Geste.

Le web a provoqué deux changements majeurs, explique-t-il.

Il permet :

  1. de profiter à plein de l’accès 24/7 et en tous lieux du média à ses utilisateurs.
  1. d’effacer les frontières entre les formats : texte, photo, vidéo et de profiter de tous« Si vous voulez que le web soit une TV c’est une télé, si vous voulez qu’il soit un journal c’en est un, si vous voulez voir un film, c’est du cinéma ! », explique Brady qui raconte comment il fut fier de gagner un Emmy Awards (récompenses des TV américaines) lorsqu’il dirigeait le numérique au Washington Post.

D’où des priorités pour les journaux du groupe qui, dans les villes où il sont, disposent des plus grosses rédactions et le plus grand nombre de commerciaux:

« Le Numérique d’abord » dans la rédaction :

  • Triple exigence éditoriale : breaking news, enquêtes et engagement avec l’audience.
  • Toujours servir le web en premier, à n’importe quelle heure de la journée. Ne jamais retenir un article.
  • Début du travail des journalistes dans tous les journaux du groupe à 6h00 du matin !
  • Intégrer l’audience dans le processus : conférences de réaction très souvent ouvertes au public qui peut réclamer des articles,  publication des plans de couverture et des agendas,
  • Création d’unités d’enquête dans tous les journaux.
  • L’écriture peut se faire sous forme texte, photo ou vidéo. Tout le staff est doté d’une petite caméra vidéo.
  • Beaucoup de formation pour les personnels.

Mais aussi dans le business :

  • Pas de mur payant sur les sites : « c’est ce que vous faites quand vous avez tout essayé ! Et vous jetez de l’huile sur le feu ! Les gens n’ont jamais payé pour de l’info ! ». Faites croître votre audience et monétisez là.
  • Changez la structure des parts variables de vos commerciaux en mettant fortement l’accent sur le numérique.
  • Coupez à fond sur les coûts d’imprimerie.
  • Des premiers petits investissements dans des start-ups technologiques.

Un leadership éditorial et commercial qui vient du numérique et qui explique au staff, avant même de les former aux nouvelles pratiques, pourquoi ces changements sont cruciaux. Ceux qui refusent sont remerciés. Avec un message fort pour les autres : cette fois, c’est du sérieux !

Le mois dernier, John Paton, le PDG du groupe, volontiers provocateur pour ses pairs,  avait répondu à nos questions : “La plus grande menace pour les journaux et les médias, ce n’est pas Internet ou le numérique, mais des patrons de presse nuls, qui attendent juste la retraite et ne prennent pas de risques”.

Les résultats sont prometteurs, nous a indiqué Brady cette semaine :

  • Les effectifs de journalistes du groupe n’ont diminué que de 2% alors que les suppressions d’emplois étaient supérieures à 10% dans les autres journaux US ; et ceux des vendeurs sont restés stables.
  • Deux ans après leur reprise, Journal Register, le 1er groupe de Digital First Media, est redevenu bénéficiaire (41 millions $ en 2011) et le second (Media News Group) va mieux sans être tiré d’affaire.
  • Le numérique représente maintenant 30% des revenus (70% print) contre moins de 5% il y a deux ans.

« Il n’y a pas de recette magique mais de nombreuses possibilités. Nous demandons ainsi à tous nos titres de nous dire quel mois de quelle année ils prévoient de réaliser la fameuse bascule : lorsque les revenus du numérique seront au moins égaux à ceux de l’imprimé. Cela devrait prendre encore quelques années mais nos revenus digitaux progressent déjà de plus de 50 % par an (…)

Certes ce n’est pas facile. Les changements ne sont pas faciles. Mais on ne peut pas continuer comme avant. Ceux qui ont vu l’eau leur monter, d’abord jusqu’aux genoux, puis à la taille et aujourd’hui sous le nez, pensent encore qu’elle va baisser !!! C’est de la folie ! Alors il faut plonger et nager pour gagner une île numérique qui sera peut être plus petite, mais plus sûre ! ».

Actualisation au 6 juin : l'agence américaine Moody's vient d'indiquer que les efforts des journaux pour réduire leurs coûts et doper leurs revenus numériques ne lui semblaient pas encore suffisants pour compenser la chute des revenus liée au print.

P.S.  Jim Brady, qui est aussi le Président de l'Online News Association (ONA), la plus grande organisation mondiale de journalisme en ligne,  a débuté sa présentation par des chiffres des nouvelles manières de s’informer des Américains qu’on peut trouver ici.