Les « techos » des studios de Los Angeles sont dépassés

(photo Gilles Delbos)

Par Gilles Delbos, correspondant de Méta-Média à San Francisco

Cela aurait pu être le salon de la riposte. Le sommet  de la contre-attaque. Ce fut à peine celui de la prise de conscience.

Depuis les jardins grandioses de la Peperdine University, on peut habituellement contempler tout l’archipel des Channel Islands. Mais, étonnamment, en ce début du mois de mai, le temps est frais sur Malibu, le ciel est gris et l’horizon bouché.

Un peu comme à l’intérieur du vaste théâtre de cette université catholique, où s’est réunit en fin de semaine dernière comme chaque année la crème des informaticiens et des ingénieurs des studios de Los Angeles. Naguère, ces messieurs du HITS summit (HITS pour Hollywood Information Technology Summit) incarnaient l’innovation et la puissance technologique de la Cité des Anges.

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L'innovation vient d'ailleurs

Aujourd’hui, devant les slides qui se succèdent, les 450 participants, souvent bedonnants, dégarnis ou grisonnants, ont du mal à lutter contre le sommeil à l’heure de la digestion. Depuis quelques temps maintenant, les innovations qui bousculent le marché du cinéma et de l’audiovisuel, les nouvelles manières de consommer des films qui séduisent de plus en plus les consommateurs, ne viennent plus de leurs rangs.

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(photo Gilles Delbos)

   

Au menu du colloque, depuis le matin 9h, quantité de panels, de 20 minutes chacun, ont ronronné autour des questions d’évolution technologique des caméras, de gestion des « métadonnées» ou d’organisation de la chaîne de production… A chaque fois, bien sûr, en introduction, la question de « l’innovation disruptive » est immanquablement agitée en guise de chiffon rouge.

   On évoque Netflix, mais sans citer le nom du trublion qui a osé produire une série en dehors des règes habituelles et en diffuser tous les épisodes d’un seul bloc, en ligne. On mentionne les nouvelles pratiques des consommateurs, qui plébiscitent le second écrans, et on envisage même un jour leur présence dans les salles de cinéma…  Mais on sent bien que la créativité n’est plus l’apanage de ces anciens cadors de la technologie au service des studios.

"La boue a tout envahi"

Comme le résume Steve Dahl, senior vice-président de Walt Disney Studios, en montrant l’image d’une autoroute envahie par un torrent de boue, « avant, nous les studios, nous avancions vers le profit sur de belles routes bien droites et balisées. C’est fini, la boue a tout envahi. Et il en arrive de tous côtés. Bien sûr, une formidable histoire bien racontée restera une valeur sûre, mais l’époque change très vite et désormais, les gars de la high-tech sont sur le point d’influencer directement notre business, tant en matière de technologie que de création ».  

Un peu plus tard, dans le public, une main se lève pour demander à une brochette de CIO (les directeurs de l’innovation technologique, NDLR) de Warner, Fox et autres CAA,  ce qu’ils entendent mettre en œuvre afin de répondre à l’explosion du « peer to peer ». En guise de réponse, un silence gêné, puis des sourcils froncés et un jugement moral à l’encontre de ces « pratiques hors la loi ». Mais aucune proposition du côté des studios pour répondre à ces nouvelles demandes des consommateurs. Seul un représentant de Sony ose saisir le micro pour rappeler qu’il est indispensable de trouver de nouveaux canaux de distribution, « d’être présent partout où il y a des consommateurs », sous peine de les perdre, et qu’il est urgent « de réfléchir à de nouveaux moyens de diffuser en ligne des fichiers audio et vidéo avec un système de licences payantes »… Mais le débat n’ira pas plus loin, le modérateur lui coupe la parole, le panel est terminé, c’est l’heure du break, et les donuts ne peuvent pas attendre.

Il faudra patienter jusqu’à la fin de la journée, pour qu’enfin, on entende l’air du tocsin et qu’on voit poindre un début de réaction. Elle vient des CIO de Twentieth Century Fox, de Warner Bros, d’ABC et de Disney, qui montent ensemble sur scène pour clamer qu’« il est temps de travailler ensemble. De réorganiser nos manières de travailler, d’avoir des outils commun » afin de dégager des marges financières, d’économiser « jusqu’à deux milliards et demi de dollars par an » en se modernisant.

(photo Gilles Delbos)

(photo Gilles Delbos)

"Nous allons devoir tout changer"

Attention, prévient même Sean Cooney, de Warner Bros, « on a l’impression d’être des compagnies high tech friendly, parce qu’on utilise de la technologie » mais c’est de plus en plus une illusion, aujourd’hui, l’innovation vient des start-ups et plus des majors. « Nous allons devoir tout changer dans nos manières de travailler, jusqu’à l’appellation de nos métiers », prévient à son tour Benjamin Hope de Fox Networks Group. Et il souligne l’importance d’engager au plus vite des négociations… avec les organisations syndicales, pour changer les « jobs descriptions » du secteur !

« Les métiers de producer –metteur en scène- et de film editor -de monteur-, vont fusionner. Déjà on devrait parler « produtor » car les outils avec lesquels ils travaillent ont d’ores et déjà fusionnés ! ».

Devant une salle qui semble enfin prendre conscience des dangers qui la guette et de l’ampleur des réformes qui l’attendent, Alex Grimwade, senior VP de Twentieth century Fox conclut en insistant qu’il est temps pour les studios d’Hollywood « de prendre une  initiative mondiale » afin de réformer en profondeur la manière dont on produit de la télévision et du cinéma.

Dehors, le ciel s’est éclaircit. Un peu déboussolés, les 450 congressistes peuvent repartir vers Hollywood et leurs studios. A défaut de sourire, ils ont retrouvé le soleil.

Gilles Delbos, ex rédacteur-en-chef du magazine Complément d'enquête (France 2)