TV : le local et l’hyperlocal ont de beaux jours devant eux

Par François Fluhr, France Télévisions, Prospective et MediaLab

La télévision locale n’est pas épargnée par le déclin du média télé : elle connaît elle aussi une perte d’audience lente mais continue, et une désaffection du public jeune. Si sa survie passera évidemment par une adaptation aux nouveaux usages du public, c’est sans doute sa proximité avec les citoyens qui constitue son plus bel atout, comme l’analyse une enquête de la Knight Foundation menée auprès de 357 chaînes outre-Atlantique.

Miser sur l’info de proximité pour renouer le lien avec le public et générer de l’engagement : c’est le pari des chaînes locales américaines, de plus en plus nombreuses à s’adresser à des communautés de niche, à l’échelle d’une ville, ou même d’un quartier, pour se différencier de l’offre d’information nationale. Cette véritable voix alternative sur le marché de l’information nourrit l’ensemble des stratégies d’innovation de ces acteurs locaux, qui entendent bien cultiver leur différence pour survivre.

Aller chercher le public là où il se trouve

Pour s’adresser à des communautés locales, et en particulier aux jeunes (qui restent la cible à reconquérir pour la télé), il s’agit d’abord d’aller les chercher là où elles se trouvent – c’est-à-dire le plus souvent ailleurs que devant leur télé, et plutôt sur les réseaux sociaux. Une stratégie qui pousse les chaînes locales à investir massivement sur le numérique, pour prolonger leur présence au-delà des limites de l’antenne broadcast.

Le directeur des contenus numériques de Raycom Media, Glen Hale, explique que certaines chaînes prévoient même de « tout miser sur la diffusion en temps réel de contenus en OTT et de produire l’information sous forme de flux vidéo diffusables n’importe où ».

63% des directeurs interrogés affirment par ailleurs travailler sur une offre spécifique s’adressant aux jeunes de 18 à 34 ans. Parmi eux, 55% planchent sur les réseaux sociaux. Bien que d'envergure mondiale, à l'instar de Facebook et Twitter, ils aident à structurer une prise de parole localisée qui s’adresse à un public précis et fortement engagé.

S’adapter aux attentes du public

Cette volonté de dépasser leur cadre traditionnel, les chaînes locales la justifient aussi par la nécessité d’adopter une approche plus communautaire, en phase avec leur échelle et les préoccupations de leurs audiences potentielles. Dans cette logique, l’enquête distingue deux types de communautés :

  • Un premier niveau communautaire où la chaîne informe simplement son audience au sujet de l’actualité locale à travers les réseaux sociaux ;
  • Un second niveau où la rédaction engage réellement son public dans une démarche interactive qui vise à construire une communauté d’intérêts. Le but est alors d’établir et d’entretenir un contact permanent avec son public et ainsi de mieux s’adresser à lui.

Une stratégie qui a permis aux chaînes locales américaines de prendre conscience de la nécessité de retravailler leur ligne éditoriale : moins de faits divers, de crimes et d’accidents (des sujets « faciles » dont la couverture peut être assurée à moindre coût) ; et davantage de sujets de fond (santé, éducation, emploi, économie, retraites, impôts, etc.) qui ont plus de sens au sein d’une communauté locale. La Knight Foundation insiste d’ailleurs sur la nécessité d’assurer une réelle couverture de ces sujets plutôt que de simplement réagir à l’actualité, car la plupart des citoyens connaissent déjà les grands titres avant même d’allumer leur téléviseur. Il ne faut donc plus se contenter de faire de l’annonce et du commentaire sommaire, mais investir dans des reportages ciblés.

Autre enseignement de l’étude : il ne semble pas y avoir de corrélation directe entre l’activité des chaînes sur les plateformes et l’engagement des utilisateurs. Les deux chaînes atteignant le plus haut niveau d’engagement ont en effet posté moins de contenus que les autres et, réciproquement, la chaîne qui a le plus posté est celle qui dispose du plus faible taux d’engagement. Un constat qui souligne la nécessité d’une création de contenus ciblés et de qualité face à une injonction quantitative qui est aussi nourrie par le flux incessant des plateformes en lignes.

S’adapter aux usages du public

Le mobile est sans doute l’une des tendances les plus marquées dans les mutations de nos usages et les chaînes locales américaines ne s’y sont pas trompées. 69% des directeurs interrogés déclarent travailler sur « quelque chose de nouveau » pour le mobile, un chiffre élevé qui témoigne d’une prise de conscience en la matière. Le rapport détaille ainsi différentes stratégies mobiles engagées par ces chaînes. Parmi les initiatives les plus populaires, on retrouve le développement d’applications propriétaires (29%) : une manière d’affirmer, au-delà d’une ambition numérique, une présence taillée pour la consommation mobile.

 

Cette multiplication des applis s’accompagne bien souvent de la mise en place d’alertes push qui ont connu une croissance forte en passant de 10% à 25% des chaînes, en l’espace d’une année seulement. On sent pointer une volonté d’utiliser un maximum le potentiel du mobile en épousant l’utilisation réelle qu’en font les utilisateurs. Ainsi, de nouvelles formes d’alertes, plus spécifiques et plus pratiques, font leur apparition pour répondre à leurs besoins quotidiens (météo locale, fermetures d’écoles, etc.).

Si la grande majorité des directeurs de chaîne interrogés déclare avoir entrepris quelque chose de nouveau sur les réseaux sociaux en 2016 (86%), la véritable tendance concerne l’utilisation de Facebook Live qui fait partie de plus de la moitié des réponses (56%). Pour les stations américaines, la vidéo live est au format ce que le mobile est au support : un enjeu stratégique primordial. Utilisée pour couvrir l’actualité chaude, des rencontres sportives, mais aussi proposer des sondages et des contenus dédiés aux coulisses, la fonctionnalité s’est imposée comme un incontournable de la télévision locale américaine. En 2016 à Chicago, la chaîne WLS affiliée à ABC a ainsi utilisé Facebook Live plus de 370 fois, générant plus de 70 millions de vues.

Janelle Shriner, directrice de l’information chez Raycom KPLC, témoigne : « À chaque fois qu’un reporter se trouve sur les lieux d’une actualité, on streame. »

Et cette tendance est amenée à se consolider pour les médias locaux. Après avoir annoncé une modification de l’algorithme de son newsfeed donnant la priorité aux contenus des amis, Facebook a fait une nouvelle mise à jour pour favoriser, à son tour, l’information locale.

Restaurer la confiance

Ce succès du live s’explique aussi par une autre tendance de fond : pendant des années, le public est resté dans l’attente d’une plus grande transparence des reportages. Une attente à laquelle le live peut répondre aujourd’hui et sur laquelle les chaînes s’efforcent de travailler, notamment en incluant plus souvent le public, en l’incitant à participer, à commenter, à poser des questions, etc. C’est dans cette même logique que les contenus « behind-the-scenes » dédiés aux coulisses fleurissent sur la scène locale américaine.

« La crédibilité et la confiance seront les clés du succès à l’avenir » estime Hank Price, general manager of WVTM-TV à Birmingham. « Ce sont les valeurs principales qui sous-tendent le journalisme. Sans elles, nous ne sommes plus des journalistes, et nous ne faisons plus partie du marché de l’information. »

Renforcer la dimension communautaire et le lien de proximité sera donc la planche de salut de la télé locale. Mais cette stratégie ne doit pas rester cantonnée au numérique : elle doit aussi conquérir les antennes, dont la ligne éditoriale pourrait être révisée à l’aune de ce qui a été appris au contact du public sur les réseaux sociaux. De la même manière, des contenus « behind-the-scene » accompagnés d’une généralisation de l’implication des téléspectateurs dans les formats diffusés permettraient de rétablir une confiance indispensable à la bonne santé d’une chaîne. Après avoir été chercher le public là où il était, et avoir compris ce qu’il attendait, il faut changer ce qui doit l’être. Partout.