3 tendances pour les expériences en réalité virtuelle

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, MediaLab et Prospective

La réalité virtuelle poursuit sa lente démocratisation. La technologie et les équipements progressent tous les jours mais restent encore relativement inaccessibles. Côté contenu, on voit naître des expériences vraiment convaincantes, au storytelling bien plus abouti.

Nous nous sommes entretenus avec Voyelle Acker, Fondatrice de Virgules, une agence de conseil en création numérique, pour décrypter les évolutions de ce marché. Trois grandes tendances se dégagent : l’hybridation des expériences, l’utilisation des technologies immersives dans l’animation et l’intérêt pour des expériences installatives et immersives à grande échelle.

1Des expériences de plus en plus hybrides

Les œuvres de réalités virtuelles n’ont pas peur de mélanger les genres : danse, théâtre, animation, cirque, BD, jeu, fiction, info. Les frontières se brouillent si cela sert la narration et l’expérience. La créativité explose, explique Voyelle Acker :

« Il y a deux ou trois ans, on ne pouvait pas aller à une conférence sur la VR sans entendre le mot « empathie ». Cette année, ce mot a disparu des discours et l’on voit fleurir une incroyable créativité. Contrairement à la télé qui est très formatée, plus personne ne se pose la question de la durée, du format, du genre, de la techno… Tout est hybridé, y compris les arts. »

2L’utilisation des technologies immersives dans l’animation

De nombreuses œuvres immersives sont réalisées en animation, qui a l’avantage de proposer une bonne qualité d’image et prémunir l’utilisateur contre la cinétose (ou « motion sickness »).

Si l’on trouve toujours des contenus 360° ou 270°  en 2D ou 3D, le « parallax shifting » est désormais répandu. Cette technologie permet à l’utilisateur de se mouvoir dans un petit périmètre. Ces expériences nécessitent l’utilisation de casques de VR dotés de traqueurs (Oculus, Playstation VR…).

  • Dear Angelica (Oculus story Studio)

Le spectateur est plongé au cœur des rêveries de Jessica, une jeune fille qui a perdu sa mère comédienne (Angelica).  C’est l’un des premiers films à avoir été entièrement dessiné dans la réalité virtuelle elle-même. Il commence à dater, mais cela reste une réussite incontestable du mariage animation et VR.

  • Allumette (Penrose Studios)

Inspirée de « La petite fille aux allumettes » de Hans Christian Andersen, Allumette raconte l’histoire d’une jeune orpheline qui vit dans une ville fantastique dans les nuages.

  • Arden’s wake (Penrose Studios

Arden’s wake raconte le naufrage d’une famille dont seuls réchappent le père et la fille Meena. Le prologue a reçu un Lion d’Or à Venise l’année dernière. Le 2e épisode Tide's Fall, présenté au dernier festival du film de Tribeca et auquel Alicia Vikander (Tomb Raider) prête sa voix, est déjà salué par la presse.

  • Wolves in The Walls (Fable Studio, anciennement Oculus Story Studio)

Dans cette adaptation très poétique du livre pour enfant de Neil Gaiman, l’utilisateur est invité à aider Lucy à découvrir ce qui se cache derrière les murs de sa maison.

  • Gloomy Eyes (3dar)

Premier épisode d’une série dans un univers à la Tim Burton, où un petit garçon vivant dans un monde sans soleil, va tenter de retrouver la lumière. Lors du dernier festival de Cannes, ces Argentins ont annoncé une co-production avec le studio français Atlas V.

3Intérêt pour des expériences installatives et immersives à grande échelle

Les expériences « room-scale » et « large-scale » sont caractérisées par le fait que l’utilisateur peut se déplacer dans l’espace, jusqu’à 500 mètres carrés pour les plus grosses installations, et ainsi choisir son point de vue. Les casques sont sans raccordement et parfois complétés par des manettes ou des gants qui permettent à l’utilisateur de saisir des objets et/ou de se téléporter.

« On voit de plus en plus se développer des expériences mêlant mises en scène immersives et VR, solo ou multi-utilisateurs, et dont l’expérience est personnalisée pour chacun. De plus en plus de sens sont sollicités, mêlant virtuel (la vue) et réel (l’ouïe, le toucher et bientôt l’odorat ou le goût). » explique Voyelle Acker.

Une tendance qui rejoint celle du théâtre immersif, sans casque, qui se développe lui aussi, à l’instar de la pièce « Sleep No More », un succès présenté depuis quelques années à New York, Londres, ou encore Shanghai.

« Ces expériences sont encore élitistes, car coûteuses et difficiles à financer en dehors d’une exploitation commerciale, mais c’est ce que le marché recherche. On voit se développer le « Location Based Entertainment » avec la multiplication d’espaces dédiés, comme les salles de jeux d’arcade, les salles de cinéma VR,  ou des installations spécifiques dans des musées, les parcs d’attraction ou mêmes les  centres commerciaux » précise la fondatrice de Virgules. 

Expériences « room-scale »

  • Draw me close (co produit par le National Theatre de Londres et l’Office National du Film du Canada).

Entre théâtre, VR et animation, Draw Me Close est un projet du dramaturge canadien Jordan Tannahill qui raconte sa relation avec sa mère, malade d’un cancer en phase terminale.

  • Alice, the Virtual Reality Play (DV Group)

Alice est une production de théâtre immersif qui plonge le spectateur dans l’œuvre de Lewis Carroll en lui permettant d’interagir avec les personnages et les objets en temps réel, dans un environnement virtuel.

  • The Horrifically Real Virtuality (DV Group)

Présentée à Cannes en 2018, cette expérience de théâtre immersif qui invite le spectateur à assister au tournage d’un film en capture volumétrique puis à littéralement intégrer la scène, aux côtés du réalisateur maudit Ed Wood et de son acteur fétiche, Bela Lugosi.

 

Expériences « large-scale »

  • Eclipse (Backlight Studios)

Eclipse est une expérience virtuelle suivant les codes de l’Escape Game. Les joueurs (jusqu’à 8) embarquent dans un vaisseau spatial en détresse et doivent collaborer pour pouvoir rentrer sur terre. 

  • The Enemy (France Télévisions en co-production international avec Caméra Lucida, l’Office National du Film du Canada, Emissive, le DPT et le soutien du MIT)

The Enemy est un projet documentaire en réalité virtuelle et augmentée. Le photojournaliste Karim Ben Khelifa explore les conflits les plus longs de l’histoire contemporaine. Le projet en VR a été présenté lors d’une exposition itinérante à travers le monde à partir de 2017, dans des espaces de 150 m² où les spectateurs se déplacent librement grâce aux détecteurs de mouvements qui balisent les salles. Le projet a reçu la Rose d’Or en 2017 et vient de recevoir le prix de la meilleure production immersive et le Grand Prix Numix en mai 2018.

  • Carne y Arena (Alejandro González Iñárritu et Emmanuel Lubezki)

Présenté lors du 70e festival de Cannes dans le vaste hangar de l’aéroport de Mandelieu, le spect-acteur se mêle aux migrants à la frontière du Mexique et des Etats-Unis.

 

Alors que le monde de la création est en pleine ébullition, les diffuseurs français n’investissent encore que peu dans la VR. La co-production et l’international sont bien souvent la seule alternative.

Selon Voyelle Acker, « il est très difficile, voire impossible de financer un projet ambitieux uniquement en France. Le marché est totalement international et pousse tous les acteurs à travailler au-delà de leurs frontières. Ce n’est pas forcément à déplorer. La créativité n’en est que décuplée. »

(Disclosure : Voyelle Acker fut, il y a quelques années, responsable du département des Nouvelles Ecritures et du Transmédia à France Télévisions)