Les formats traditionnels d'information réinventés sur Twitter, la communauté en plus

Par Laure Delmoly, France Télévisions, MediaLab

Journalistes et producteurs s’inspirent des formats journalistiques traditionnels pour créer de nouveaux formats sur Twitter. L’objectif : sortir l’internaute de la torpeur du snacking pour l’inciter à prendre le temps de s’informer en profondeur. Un usage contre-intuitif de la plateforme qui revalorise l’échange de qualité. Décryptage.

 L’Analyse via le #thread

Utilisé en mai 2014 par le cofondateur de Netscape Marc Andreessen, le thread (ancien « tweetstorm ») est un enchainement de tweets successifs qui, pris dans leur ensemble, développent une idée.

L’ingénieur, souhaitant s’affranchir de la limite de caractère imposée par la plateforme, a d’abord utilisé les balises html <THREAD> >/THREAD>. En décembre 2017, le thread est devenu une fonctionnalité officielle de Twitter permettant à chaque utilisateur de publier en une seul fois un fil de tweets.

Identifiable en un instant, le thread suscite la furieuse envie de dérouler pour poursuivre la lecture. Il s’impose vite comme le format idéal pour traiter des sujets qui nécessitent un temps long : l’affirmation d’une pensée politique, l’analyse d’un document vidéo ou le décryptage d’une situation géopolitique. Subtile mélange entre précision et art du storystelling, le thread associe l’urgence et le point de vue. Il séduit d’abord les esprits politiques. Pour la journaliste américaine de Politico Virginia Hefferman, le thread a l’avantage de donner au lecteur la satisfaction d’un long-format de magazine tout en pouvant être lu rapidement.

Les thread ne sont pas seulement factuels. Ils suscitent un débat. L’internaute a l’impression d’avoir eu un nouvel éclairage sur un sujet via un expert ou un provocateur.

L’épique thread d’Eric Garland en décembre 2016 présente la “théorie du jeu”. En 127 tweets, l’analyste politique développe sa théorie en abordant des sujets aussi variés que le KGB, Wikileaks, la guerre en Irak, les Médias conservateurs et les relations de Barack Obama avec la Russie.

Le thread permet également à des insiders d’affirmer un point de vue. C’est le cas de l’agent du FBI Asha Rangappa qui s’inquiète en décembre 2017 du possible départ du procureur général adjoint des Etats-Unis Rod Rosenstein.

Cet enchaînement de tweets offre l’espace nécessaire pour analyser des vidéos virales. Le thread de la BBC sur les exactions de l’armée dans le Nord du Cameroun permet d’authentifier la vidéo virale et de dénoncer la position du gouvernement qui la qualifiait de fakes news, à l'aide de formats aussi variés que pédagogique (infographie, podcast, videos, photos...), faisant de ce fil un reportage à part entière. 

Si le thread réintroduit le temps long nécessaire à l’analyse, il continue de bénéficier des avantages de la plateforme : la spontanéité. Les internautes réagissent à chaud : ils remercient, partagent et expriment leur point de vue.

Le thread de Jules Grandin, journaliste aux Echos, analysant les problèmes frontaliers entre le Soudan et l'Égypte, obtient ainsi plus de 1000 likes et 700 retweets.

« C'est le grand avantage de construire un fil de tweets : lorsqu’il fonctionne, c'est gratifiant. Ça m’a permis de comprendre que les gens aimaient beaucoup les cartes”.

Le rendez-vous d’information 

Créé en mars 2015 par la journaliste française Emmanuelle Leneuf pour remédier à l’infobésité, le flashtweet propose chaque matin dix tweets sur la transformation numérique.

« Je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup d'infos sur Twitter et que si on les détectait rapidement on pouvait avoir un temps d'avance sur les autres médias » affirme la journaliste.

Le format fait penser à une matinale : des informations sélectionnées, hiérarchisées et éditorialisées publiées chaque matin à 7h30.

Le flashtweet est construit comme un vrai journal : les informations “chaudes” sont présentées en ouverture renvoyant les sujets d’analyse à la fin. Organisé autour de rubriques régulières (Tech, Start-up, Réseaux Sociaux, Blockchain, Infographie, Marketing, TransfoNum, Intelligence Artificielle), le flashtweet fournit l’essentiel de l’actualité aux professionnels du digital.

« Je fais en sorte que l’information soit présente dans le tweet lui-même afin que l’internaute n’ait pas à se rendre sur le site source » explique Emmanuelle Leneuf.

Chaque tweet du flash adopte la structure suivante : [émoticone],[rubrique],[source],[flashtweet],[photo] .

Le flashtweet réintroduit une logique de rendez-vous d’information. Le flash est programmé, récurrent mais aussi conversationnel.

« Je veux maintenir un ton de proximité avec mes followers. Ils se connectent, disent bonjour et remercient à la fin. » raconte la journaliste qui utilise des émoticones et LOLCATs pour animer son rendez-vous matinal.

Un pari réussi. Dès le début les internautes se sont mobilisés pour jouer le rôle d’éclaireurs et d’ambassadeurs de ce nouveau format. Chaque flashtweet est retweeté entre 20 et 100 fois. Le succès du format est dû à la qualité de sa communauté qui comprend des chief digital officers, des directeurs d’entreprise, de journalistes et des experts. « Certains professionnels sont plus experts que moi, ils réagissent à chaud et enrichissent l’information en apportant leur propre éclairage ».

Le format répond à une demande d’information spécialisée le matin avant de se rendre au travail. Au fil du temps, la communauté de professionnels du digital s’est consolidée grâce à un flash info conversationnel accordant une grande valeur à l’expertise et la spontanéité.

Depuis, d'autres rendez-vous ont vu le jour sur Twitter, souvent sous forme de curation de contenus à destination d'une communauté précise, comme la  de Patrice Hillaire, la sélection de Eficiens Tweet'Café ou celle en 3 étoiles de Méta-Média. Enfin, on trouve aussi des rendez-vous autour de hashtags que tout à chacun peut s'approprier, tel que .

Le direct (vidéo ou audio) interactif

Dernière fonctionnalité proposée par Twitter, le live audio permet depuis septembre 2018 de prendre l’antenne avec un simple smartphone. Un terrain de jeu que journalistes et producteurs se sont empressés de tester.

Pierre Philippe Cormeraie (aka @PPC), "chief digital evangelist" du Groupe BPCE, a crée fin septembre un podcast interactif. Les ingrédients de ce format : un sujet envoyé dans la « conversation room » et un rendez-vous en direct sur Twitter. L’animateur prend l’antenne tous les matins sur la plateforme à 7h35 et 7h58. Plus besoin de hashtag pour commenter l’émission en direct : audio et conversation se rejoignent dans une seule interface.

Le thème est choisi la veille en totale collaboration avec les auditeurs. Les sujets traités, sur un ton proche de la libre-antenne, incluent le darkweb, l’industrie 4.0, les Fakenews, la Foodtech et l’ASMR.

Le podcast interactif permet une réelle interaction entre la « conversation room » et l’animateur. Les auditeurs-internautes font bien plus qu’enrichir le débat. En intervenant massivement en live, ils co-construisent l’émission.

Un format qui plait puisque le podcast de #PPC cumule 20 000 écoutes un mois après son lancement. Il est disponible en réécoute sur Twitter mais également sur iTunes, Google play et Spotify.

Plus facile à produire que le live vidéo, le podcast interactif est idéal pour couvrir des événements, faire des interviews ou même créer un talk-show improvisé avec des spécialistes. Le journaliste Damien Douani profite ainsi du MIPCOM à Cannes pour créer un plateau d’experts sur les série TV en invitant Romain Nigita et Alain Caraset à répondre en live aux questions des internautes.

 

 

Analyse, Flash info, live interactif, Twitter se renouvelle via l’inventivité et le savoir-faire de ses utilisateurs. On retrouve ce qui a fait le succès de la plateforme dès 2006 : l’échange. Désormais c’est la qualité de la communauté qui permet d’enrichir le format initial. Un mariage prometteur rendu possible par des moyens de production de plus en plus léger et une plus grande maturité des usages.

 

Crédit Une : Photo de Marten Bjork via Unsplash