Par Olivier Dessibourg, journalistique scientifique et co-fondateur de Heidi.news, un nouveau pure player basé à Genève et lancé au printemps 2019. Il fait du journalisme scientifique un axe fort de son offre éditoriale. Billet invité.
Les sciences et les technologies sont partout autour de nous. Il y a peu, l’annonce de la naissance de bébés modifiés génétiquement en Chine – encore non publiée scientifiquement – a montré une fois de plus à quel point les avancées scientifiques façonnent nos sociétés, nos économies et même le futur de nos démocraties. A quel point elles nous questionnent sur les plans éthique, philosophique voire surtout personnel – qui d’entre nous resterait totalement insensible à la possibilité de pouvoir choisir certaines caractéristiques physiques ou mentales de ses futurs enfants ?
Pour le meilleur et parfois le pire, les sciences sont un moteur fondamental de l’évolution du monde. Or souvent, dans les médias, la couverture de l’actualité scientifique est considérée comme « nice-to-have » ; autrement dit, ce sont tout aussi souvent les journalistes scientifiques qui sont les premiers à souffrir des restructurations dans les médias.
Il est urgent et crucial qu’elles retrouvent leur juste place dans les médias. Et pas de n’importe quelle manière ! Voici pourquoi.
Il faut parler de science, ce sujet passionne les lectrices et lecteurs !
Lorsqu’on lui pose la question – notamment via ces vastes sondages que sont les Eurobaromètres ou le Baromètre scientifique suisse – une grande majorité du public se dit (très) intéressée par les sciences et les technologies. Or ces mêmes personnes expriment aussi leur difficulté à être bien informées sur ces sujets.
Eurobaromètre, 2013
Aux journalistes de recadrer les promesses extravagantes.
Régulièrement, des extrapolations sensationnelles s’adossent aux projets scientifiques. Comme dans le cas de « percées » annoncées dans la lutte contre le cancer, jusqu’à scander la fin de cette maladie. Des annonces qui se répandent aussitôt comme trainée de poudre sur les réseaux sociaux. Au-delà de l’écho médiatique qu’elles suscitent, ces exagérations desservent le plus souvent la science. Comme elles ne se confirment pas (toujours), elles entament la confiance du public envers tous les scientifiques. Il arrive qu’elles soient le fait de scientifiques avides de notoriété – comme peut-être dans le cas des bébés modifiés génétiquement en Chine.
Le plus souvent, elles résultent d’équipes de communication de plus en plus pléthoriques dans les institutions scientifiques, qui proposent des résumés très simplifiés car devant être compris par des journalistes de moins en moins spécialisés. Or la complexité de la science mérite d’être prise à bras le corps et expliquée. Encore davantage l’heure de la concision imposée par l’ère numérique.
En science, les «fake news» existent aussi et doivent être combattues.
Il est vrai qu’elles sont d’autant plus difficiles à repérer et vérifier qu’elles concernent justement des domaines ardus. Et pour les contester, il faut connaître les «codes de fabrication» des savoirs scientifiques. Les dégâts des «fake news» scientifiques n’en sont que plus graves, comme le montrent les incessants mais trompeurs débats sur la vaccination. Nombre de rédactions, notamment dans les nouveaux médias en ligne, ne sont pas ou plus en capacité de décoder ces fausses informations, et de ce fait leur servent de caisse de résonance.
Le «copier-coller» de communiqués de presse scientifiques dans les médias est une plaie.
Il se produit pour deux raisons. La première, c’est l’appréhension des journalistes généralistes à traiter des sujets considérés comme abscons. La seconde tient probablement aux réminiscences d’une époque où la science – celle des blouses blanches – faisait autorité. Et où les communications scientifiques étaient prises pour argent comptant.
Les journalistes ne doivent pas devenir des « passe-plats » ou des porte-voix des scientifiques.
Et ceci encore moins à l’ère du numérique et des réseaux sociaux. Ils doivent au contraire garder un scepticisme sain, ne pas faire de la science un dogme, mais toujours s’interroger, creuser, confronter, enquêter, contextualiser et citer leurs sources – ce que permet magnifiquement Internet. Au même titre qu’ils le font dans d’autres domaines, de l’économie à la politique en passant par le sport. La rigueur et les bonnes pratiques journalistiques ne doivent s’arrêter au seuil des laboratoires.
Il faut raconter comment se fait la science.
Expliquer ses règles de fonctionnement, en soulignant les cas où elles ne sont pas respectées. Prenez les études qui confondent corrélation et causalité, comme celle visant à démontrer un lien entre la consommation de chocolat et le nombre de Prix Nobel dans un pays. La Suisse, où l’on engloutit des montagnes de cacao, héberge aussi un grand nombre de scientifiques auréolés. De quoi conclure que manger du chocolat rend intelligent? Reposant sur des statistiques irréprochables, publiée dans un journal de référence, cette étude a été reprise par les médias du monde entier. Or, son auteur avait intentionnellement surinterprété ces chiffres pour, avec la complicité de la revue en question, souligner l’ampleur du problème dans les médias.
Source : The New England Journal of Medicine
De fait, la « publication dans une revue scientifique », argument souvent utilisé pour cautionner l’emballement médiatique, ne suffit pas. Il y a plus de 25'000 revues scientifiques dans le monde, souvent en concurrence les unes avec les autres, dont certaines n’ont pas le sérieux de celles qui font référence, Science, Nature, New England Journal of Medicine, etc. Au journaliste de trier.
La science a ses propres lieux de pouvoirs et intérêts, il faut les décrypter.
Un exemple est celui des revues scientifiques. Ces publications de renoms, qui procèdent à une validation de leurs contenus par un mécanisme dit de « révision par les pairs » (peer-review), sont en concurrence pour obtenir la couverture, par les journalistes, des études qu’elles publient. Les citations dans des grands médias participent en effet à accentuer leur «facteur d’impact», autrement dit le prestige, pour un scientifique, d’y publier ses travaux. Et dès lors l’attrait de ces mêmes revues. Celles-ci n’hésitent ainsi pas à mettre davantage en avant, dans leur communication, des études pour lesquelles elles devinent un impact médiatique assuré, par rapport à des recherches plus fondamentales et fondatrices, mais moins flamboyantes. Là aussi, le discernement du journaliste scientifique est utile et nécessaire.
La dictature de l’embargo maintient dans leur confort les journalistes, avec leur bénédiction.
Les prestigieuses revues, qui font la pluie et le beau temps dans le monde scientifique, proposent aux journalistes de consulter en primeur les études qu’elles publient, mais leur imposent en retour un première date possible de publication, le fameux « embargo ». Cet accord donne aux journalistes quelques jours pour analyser les travaux scientifiques en question, faire réagir des experts, les mettre en contexte – une démarche évidemment positive. Mais qui a l’inconvénient d’uniformiser les contenus diffusés dans les médias, tous les journalistes travaillant en parallèle sur les mêmes percées. Pour qui se donne le temps et les moyens d'être curieux, les milliers de revues recèlent, loin des embargos, des recherches moins clinquantes qui sont autant d’excellents sujets.
Trop discrets, les scientifiques aussi doivent peser dans le débat public.
Ils sont invités à investir les espaces rédactionnels, les tribunes d’opinions, le « courrier des lecteurs », pour contrer eux-mêmes la désinformation scientifique, les coups d’éclat sans lendemain et les théories de charlatans. Le public, les médias et la science auraient beaucoup à y gagner.
Crédit photo de Une : Andrew Neel via Unsplash