L’intelligence artificielle est une alliée pour la presse et les journalistes

Par Aurélie Jean, Docteur en sciences et entrepreneur. Billet invité

La data, les algorithmes, les simulations numériques et plus généralement l’intelligence artificielle (IA), impactent tous les métiers, et le journalisme n’y échappe pas. L’IA influence fortement le monde de la presse en l’alimentant pour permettre aux rédacteurs de revenir aux sources de leur métier et de se concentrer sur leur forte valeur ajoutée, qui est de produire du contenu éditorial de qualité.

Pour comprendre ce raisonnement il est important de sortir d’un prisme déformant qui présente l’IA comme source de troubles, qui vole les compétences des journalistes et qui réduit une salle de rédaction à un amas algorithmique. L’IA intervient dans trois piliers principaux présentés dans cet article : la consommation personnalisée soutenue par une captation intelligente des usages du lecteur, la rédaction automatisée d’articles factuels sans valeur ajoutée éditoriale, et enfin l’investigation soutenue par la collecte et l’analyse de données pertinentes. À l’issue de cet article entièrement rédigé par un humain, on s’accordera sur un point : l’IA est une alliée pour la presse et les journalistes !

Le mythe du journalisme numérique déshumanisé et dématérialisé

L’intelligence artificielle nourrit un grand nombre de mythes et de légendes urbaines largement inspirés par une sorte de sophisme enrobé de truisme paralysant. Les capacités des algorithmes et plus largement de l’IA sont très souvent surestimées pour ne pas dire déformées. Le journalisme n’échappe pas non plus à ces nombreux a priori. L’IA ne remplacera jamais le journaliste et ne lui fera jamais perdre le sens profond de son métier. Au contraire, elle lui donne les clés pour l’assister et rassembler son énergie et ses compétences autour de tâches nobles.

Le journalisme numérique n’est en aucun cas déshumanisé, mais au contraire met en avant les qualités humaines d’un bon journaliste : la curiosité, la surprise, le style éditorial, l’analyse fine des raisonnements humains, la confiance chez les autres, ou encore l’empathie. Le devenir du journalisme est aussi une question de choix culturels. En effet, même si certains pays envisagent déjà de robotiser le présentateur télévisuel d’actualités, on est loin d’une adoption universelle de ce genre de pratiques. Mais envisager le potentiel positif d’une certaine « numérisation du journalisme » est une bonne chose pour permettre d’en dégager les bénéfices rapidement et de manière durable pour les équipes de rédaction et de reporters.

Les trois piliers de développement : Rédaction, Investigation et Consommation

Trois piliers se dégagent des actions de l’IA sur le journalisme. Ces domaines n’ont bien évidemment pas le même niveau de maturité technologique et d’adoption, mais leur compréhension par tous les journalistes peut en améliorer significativement leur utilisation.

1La consommation personnalisée

Depuis de nombreuses années déjà, les journaux et les magazines utilisent leurs sites web intelligemment architecturés comme des capteurs à grande échelle des comportements de leurs lecteurs exigeants afin de leur proposer du contenu personnalisé. Ce pilier est sûrement le plus avancé aujourd’hui technologiquement et aussi en termes d’usage. On peut mesurer la popularité d’articles par le nombre de clics, de « like », de partage ou encore par le nombre et le contenu des commentaires. On peut également établir de façon explicite ou par des techniques d’apprentissage une classification des profils de lecteurs pour mieux identifier leurs goûts et leurs attentes. Enfin les algorithmes de captologie permettent de diriger plus finement un lecteur vers un article qui a de fortes chances de lui plaire, ou encore d’allonger son temps passé à lire les contenus du journal.

2La rédaction automatisée de contenus factuels

Même si rien ne remplacera la plume d’un humain de chair et d’os, il existe du contenu éditorial qui ne nécessite aucune sensibilité humaine dans la description des faits. C’est le cas de la description factuelle des actualités sportives, de la météo ou encore des tendances de la Bourse. Chez Bloomberg par exemple, des scientifiques et développeurs travaillent en étroite collaboration avec des journalistes économiques pour construire des modèles et des algorithmes capables de capter les signaux révélateurs dans les flux officiels de données et de générer un article factuel d’un titre et d’une ou deux phrases décrivant l’évolution d’une grandeur. Cet article automatisé permet de capter plus rapidement et en premier l'intérêt du lecteur, mais aussi et surtout de laisser plus de temps au journaliste d’écrire un article de fond et d’analyse sur le phénomène observé. Le nombre de lectures de l’article du journaliste économique s’en trouve augmenté par une publication automatique anticipée du fait économique ou financier.

3L’investigation efficace et réalisable par la data

Le film Spotlight (2015) retrace l’histoire réelle d’un groupe de journalistes atypiques du journal Américain The Boston Globe, qui investigua et résolut l’une des plus grandes histoires de pédophilie de l'église catholique et ce, grâce à la data. C’est en particulier le journaliste analytique autodidacte Matt Carroll qui réussit, aidé de son équipe, à relier les différentes affaires en croisant les profils des victimes et des possibles suspects. Cette histoire est exemplaire dans l’utilisation des données pour une investigation efficace et parfois rendue possible par la voie analytique. L’augmentation toujours grandissante de la puissance de calcul et de la performance des algorithmes va permettre de collecter et de traiter encore plus rapidement des données de plus grande taille. Les outils numériques et analytiques valorisent fortement le travail du journaliste qui se concentrera sur des interviews et des échanges privilégiés avec des individus mieux identifiés.

Où en sommes-nous et comment faire ?

Il existe des journaux tels que le New York Times et le Washington Post qui utilisent déjà des algorithmes avancés pour présélectionner des unes, recommander efficacement des articles ou produire du contenu rédactionnel sans valeur ajoutée éditoriale. La presse française, de son côté, a entamé depuis quelques années une transformation digitale profonde par la construction et l’utilisation ingénieuse de plateformes web lui permettant d’attirer et de retenir ses lecteurs ainsi que de mesurer leur niveau de satisfaction. Cela étant dit, il reste un domaine encore largement sous-exploité qui est l’usage de la data dans l’investigation et la rédaction automatisée. Ce changement de paradigme se réalisera par une collaboration étroite et proactive entre les gens de lettres et ceux des chiffres et des bits. La culture journalistique va se modeler en conséquence. Bientôt les CTO et CIO des grands journaux, comme Sacha Morard (Le Monde), encore méconnus du grand public et du milieu journalistique, deviendront des stars et des alliés forts des directeurs de rédaction et de journaux.

Il est fondamental, pour ne pas dire indispensable, que la presse saisisse l’ensemble des opportunités des technologies numériques et analytiques pour transformer ses métiers. Sans cela, les journaux et magazines verront surement leurs influences et leurs impacts diminuer pour ne pas dire disparaître. Du reste, cette nouvelle est une bonne chose pour la presse : même si elle ne peut pas échapper à cette transformation pour survivre, elle ne gagnera pas non plus en ayant les meilleurs outils d’IA. Au contraire, la différence entre les journaux s’inscrira dans la qualité éditoriale, des analyses et des enquêtes approfondies et intelligemment articulées. Écrit autrement, l’intelligence artificielle va permettre de revenir aux origines même du journalisme de qualité, et de soutenir ces vrais génies du verbe et de l’information !