Professionnels des médias : relever le défi de la confiance (Médias en Seine)

Par Diana Liu, France Télévisions, MediaLab

La deuxième édition de Médias en Seine organisée aux Echos et à la Maison de la Radio était l'occasion de faire partager un regard optimiste sur l'industrie, mais également une tendance de fond - à laquelle les professionnels ont fait référence tout au long de la journée - la méfiance du public vis-à-vis des médias.

La crise de confiance : les chiffres

« On est à la trente-deuxième édition du baromètre de La Croix et la confiance est battue en brèche » affirme le rédacteur en chef François Ernenwein. Cela concerne tous les médias : de la radio, perçue par 50% des personnes sondées comme étant crédible (-6 points sur un an) jusqu'à Internet, qui comme l'année précédente se situe à 25%.

Source : Baromètre médias de La Croix, 2019

Fake news, deepfakes, clickbait, autopublication sur les réseaux sociaux, comment  garantir une information vérifiée à l'heure ou les informations les plus falsifiées se trouvent à portée de clic ?

« La confiance est importante mais elle peut également être dangereuse. Nous souhaitons que les gens fassent confiance aux choses dignes de confiance et doutent du reste » explique Rasmus Kleis Nielsen, directeur de l’Institut Reuters pour le journalisme.

Selon le Reuters Digital News Report 2019, 42% des gens interrogés se fient aux informations. En France, seulement 24% des gens interrogés disent pouvoir faire confiance aux informations. 

Source : Reuters Digital News Report 2019

La confiance n’est pas accordée de façon égale aux médias. Les Américains par exemple se fient davantage aux chaînes locales (avec une note de confiance de marque de 6,41 / 10) qu'aux chaînes de diffusion nationale (entre 5,8 et 6,09 /10) selon le Reuters Digital News Report 2019.

62% des gens interrogés considèrent que les médias les tiennent informés de l'actualité, mais seulement la moitié (51%) considère que les médias les aident à comprendre l’actualité. Enfin, 42% des gens interrogés estiment que les médias remplissent leur rôle de décryptage des enjeux politico-économiques.

Penser les facteurs de confiance de manière globale

On aurait tendance à penser que ce sont les pratiques éditoriales qui font pencher la balance dans la relation avec le public. Mais R.K. Nielsen souligne que la relation médias - audience doit être repensée de manière globale. Après avoir interrogé les consommateurs, R.K. Nielsen a regroupé les facteurs de confiance dans 3 catégories :

  • Les pratiques et valeurs éditoriales. On parle ici d’impartialité, de transparence, de précision, et d'indépendance. Mais il faut également mieux communiquer et expliquer les méthodes journalistiques à l’audience, comme le rappelle Albert Moukheiber, docteur en neurosciences. « Il y a un effet du messager. Si je je trouve qu’il y a des conflits d’intérêt avec le messager, c’est perdu d’avance. Il y a tout un travail à faire pour expliquer comment fonctionne le journalisme. »
  • Les valeurs, qu’elles soient sociétales ou politiques. Un média renvoie à des valeurs et des idéaux auxquels les personnes s’identifient… ou pas. Un exemple est le réel écart de confiance dans les médias entre les démocrates et les conservateurs sous l’ère Trump. Peu importe les pratiques éditoriales de certains journaux réputés, les conservateurs voient une presse qui éveille l’hostilité contre un personnage qu’ils aiment.
  • Les identités, aussi bien individuelles que collectives. Un individu pourrait être amené à consulter un média par la recommandation ou le partage d’un article par un ami, ou bien en étant influencé par les habitudes de ses parents. L’effet du réseau (social) sur la consommation d’information est particulièrement prononcé chez les jeunes. En effet, 57% des consommateurs entre 18-24 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni ont leur premier contact avec une information via les réseaux sociaux (Digital News Report 2019). Résoudre cette fragmentation reste une question compliquée. « Nous pourrions refléter les valeurs, les aspirations et les idéaux de certaines parties de la population qui se sentent attaquées, mais cela peut impliquer des questions inconfortables » dit R.K. Nielsen.

Mieux lutter contre la désinformation sur les plateformes sociales

Les plateformes sociales et leur algorithme de distribution de contenu ont un impact sur la diffusion des Fake News. Il faut donc réguler de manière plus efficace.

Paul Nemitz, conseiller principal à la DG Justice & Consommateurs de la Commission européenne, dénonce "l’idéologie de la Silicon Valley" selon laquelle "si on fait disparaître tous les intermédiaires entre un individu et une information, tout sera résolu."

D'un point de vue réglementaire, Paul Nemitz considère que la mise en oeuvre de la directive européenne sur le droit d’auteur n'est pas claire.

"Il y a trop de place laissée au faux compromis" explique Paul Nemitz.

En effet, Google a annoncé le mois dernier qu’il appliquera la directive européenne dans ces termes : ils enlèveront tous les extraits optimisés d'articles ("featured snippets") des éditeurs. Les éditeurs qui souhaitent avoir un extrait optimisé sur le moteur de recherche pourront en faire la demande mais ne seront pas rémunérés. 

Christophe Leclercq, fondateur d'Euractiv rappelle les bonnes pratiques recommandées par la Commission Européenne contre la désinformation :

- Mettre en place des indicateurs de confiance sur les plateformes afin de déterminer la crédibilité qu’on peut accorder à telle ou telle source d'information. 

- Promouvoir les contenus de qualité. Mais Christophe Leclercq rajoute avec ironie que pour les promouvoir, il faudrait déjà les financer… d’où la nécessité de la poursuite des négociations entre les éditeurs et ces plateformes.

Rasmus Kleis Nielsen cite également des “projets de confiance” tels que le DocumentCloud, une plateforme qui aide les journalistes à faire une recherche de fond sur un sujet et à trouver de sources primaires. « Les gens aiment la transparence et veulent savoir que les médias ont bien fait leurs recherches. » explique-t-il.

 Etre dans un dynamique relationnelle

Renouer la relation avec le public reste l’enjeu primordial. Selon le baromètre de La Croix, seul un quart des personnes interrogées pensent que les journalistes sont indépendants du pouvoir politico-économique.

Les médias doivent procéder à une auto-évaluation. « Nous pouvons choisir d’être digne de confiance en étant professionnel. Mais la confiance est avant tout relationnelle. Nous devons nous connecter avec notre audience et démontrer ce en quoi nous croyons. » affirme R.K Nielsen.

Selon Albert Moukheiber, spécialiste en neurosciences,  " Il y a un travail d’adaptation à faire aux nouveaux moyens d’information que ce soit Instagram, Twitter ou TikTok.  "Pendant longtemps, les journalistes n'ont pas pris en charge la dimension cognitive et sociale de l’audience. On pensait qu’il fallait juste bien rapporter les faits, mais il y a aussi les récits que l'on en fait, l’identité du journaliste qui rapporte les faits et le média qui en rend compte"

La crise de confiance dans les médias est peut-être plus profonde que ce que nous avons imaginé, mais tout n’est pas perdu. Le plan de sortie de crise recommandé par les professionnels du secteur : repenser les facteurs de confiance, lutter avec les plateformes contre la désinformation et tisser une dynamique relationnelle avec l'audience. Cela impliquera une négociation avec toutes les parties prenantes, des pouvoirs publics jusqu'aux consommateurs, en passant par les grandes plateformes. Un chemin semé d'embûches, mais aussi d'opportunités - aux médias de s'en saisir.

Visionnez le Talk du Media Lab de France Télévisions sur la confiance dans les Médias à l'occasion de Médias en Seine :

Invités : Albert Moukheiber, docteur en neurosciences et François Ernenwein, rédacteur en chef de La Croix

Crédit photo : Krish Jones, Unsplash