Censure, désinformation, et résistance des internautes chinois à l’ère du COVID-19

Par Diana Liu, MediaLab, France Télévisions

La crise du COVID-19 en Chine qui a infecté plus de 81 000 personnes (dont 3 200 morts) a entrainé la dissimulation par l’Etat d’informations essentielles et la punition de huit lanceurs d’alerte. De quoi attiser la colère des citoyens qui se sont livré à une résistance numérique sans relâche sur les réseaux sociaux depuis le décès du médecin lanceur d’alerte Li Wenliang.

Source : New York Times

Les médias et les réseaux sociaux chinois – un système de censure complexe

Depuis le début des « rumeurs » sur le Covid-19 fin décembre, le gouvernement chinois s’efforce de contrôler le flux d’informations sur les réseaux sociaux et les médias d’informations chinois. Un rapport du Citizen Lab de l’Université de Toronto fait état d’une censure de plus de 500 combinaisons de mots-clés liés au virus sur YY - l’un des principaux services de streaming en direct - et WeChat - la messagerie utilisée par le médecin Li Wenliang pour alerter ses collègues le 30 décembre 2019 sur la dangerosité du virus. Le 31 décembre, YY censure les messages liés au virus. WeChat emboite le pas le 1er janvier.

Selon Lotus Ruan, chercheuse au Citizen Lab, une censure aussi radicale provoque des effets néfastes sur la santé publique. « Le fait de bloquer des réponses à si grande échelle limite la capacité des citoyens à partager leurs inquiétudes sur les réseaux ainsi que des informations relatives à la prévention contre le virus. »

Source : Citizen Lab

Les médias chinois ont d’abord bénéficié d’un répit par rapport à la censure. En janvier et début février, Caixin - magazine de business - et Caijing - magazine de finance - publient des enquêtes qui dénoncent la réaction tardive du gouvernement face à l’épidémie, le délai dans l’annonce de l’existence d’une transmission interhumaine du virus et les failles du système médical chinois.

Pourquoi cette attitude ambivalente vis-à-vis des enquêtes journalistiques et des réseaux sociaux ? Pour Lotus Ruan, il faut analyser le fonctionnement du système de censure chinois.

« Les plateformes chinoises doivent se conformer aux réglementations gouvernementales sur le contrôle des contenus alors que des consignes spécifiques sur les contenus à censurer ne leur sont pas forcément fournies. En essayant d’interpréter des lignes de conduite floues, les utilisateurs ou les plateformes s’autocensurent parfois à l’extrême. »

 Le gouvernement chinois est souvent plus flexible concernant les enquêtes à charge en début de périodes de crise. Celles-ci peuvent en effet aider le gouvernement à mieux diagnostiquer le problème.

En milieu de crise, le département de propagande redouble d’efforts pour « renforcer l'orientation de l'opinion publique », déployant plus de 300 journalistes pour « raconter des histoires émouvantes » et « montrer l’unité du peuple chinois face à la pandémie ».

Le département supprime tous les contenus critiques, suspend certains comptes sur les réseaux sociaux et attaque des services VPN. Des méthodes éprouvées qui se heurtent cette fois-ci à une résistance numérique intense.

La résistance inventive des internautes chinois

Pour contourner la censure, les internautes chinois utilisent trois méthodes : le chiffrement des messages et des articles, l’archivage des reportages et le journalisme citoyen.

1Le chiffrement des messages

Pour ralentir et brouiller les censeurs, les internautes créent des vocabulaires codés. Wuhan et Hubei sont remplacés par « wh » et « hb », Xi Jinping par l’homonyme « laver des bouteilles à col étroit », et les services VPN permettent franchir la Grande Muraille numérique via l’acronyme « nouilles vietnamiennes pho ».

Ces techniques permettent de soutenir le travail des journalistes chinois, victimes d’une censure de plus en plus importante. Mi Mars, le magazine Ren Wu publie une interview de Ai Fen, directrice des urgences à l’Hôpital central de Wuhan qui relaye le diagnostic du Covid-19 aux 8 lanceurs d’alerte. L’article est supprimé peu de temps après sa publication. Mais pour les internautes chinois, la censure est l’occasion d’être créatif. En 24 heures, ils traduisent l’article en anglais, allemand, coréen, japonais, en emoji, en braille et en anciens pictogrammes chinois. Ces différentes traductions ont permis d’attirer plus de lecteurs que l’article original.

Source : WeChat

2Un archivage organisé des reportages

Dans un pays familier avec la modification d’événements historiques après les faits, l’urgence de « préserver ce souvenir collectif » se fait ressentir. Des groupes d’ « archivistes bénévoles » se constituent à l’intérieur et à l’extérieur de la Grande muraille numérique. Ces internautes - étudiants, traducteurs, chercheurs – récupèrent des articles, reportages et contenus sur les réseaux chinois avant que ceux-ci ne soient supprimés. Ils les remettent en ligne sur des plateformes non-censurées (GitHub, Google ou Internet Archive) afin de toucher un public international. « Si les preuves disparaissent, on ne pourra pas demander des comptes » écrit la journaliste et archiviste Shen Lu.

3Journalisme citoyen

On assiste également à la multiplication des journalistes citoyens, qui prennent la responsabilité de révéler au grand jour certaines vérités sur la pandémie. Ces « self-médias » (en chinois zi meiti) se rendent à Wuhan pour tourner des reportages « sans propager de rumeurs ou dissimuler la vérité ». Ils enquêtent dans les coulisses d’hôpitaux improvisés, de parkings souterrains, ou simplement dans la rue, interpellés par des personnes en quarantaine dans les immeubles. Les trois « self-médias » les plus connus, Chen Qiushi, Fang Bin et Li Zehua, publient sur Facebook, Twitter et YouTube pour échapper aux censeurs. Mais après quelques semaines, ils cessent de publier (ils sont sans doute détenus par le gouvernement).

Source : Li Zehua, un journaliste citoyen qui a réalisé des enquêtes à Wuhan

La censure en Chine peut être un moyen de lutter contre la désinformation sur le virus. Le nouveau règlement sur la censure en ligne - entré en application le 1er mars - vise les contenus sensationnalistes perturbant l’ordre public ainsi que les contenus s’opposant à l’idéologie de l’État. Mais le musellement des lanceurs d’alerte a conduit à une méfiance généralisée vis-à-vis des autorités. Alors que l’État chinois sévit contre la liberté d’expression des journalistes, la désinformation – y compris des théories du complot  - risque de combler le vide laissé par ces derniers.

Note : A suivre sous #Nousvoulonslalibertedexpression (en chinois, #我们要言论自由).

Crédit photo : Kenny Zhang - Unsplash