[Étude] Digital News Report 2020 : quel impact du coronavirus sur l’information en ligne ?

Par Diana Liu, MediaLab de France Télévisions

Selon le Digital News Report 2020, le rapport annuel du Reuters Institute qui met en exergue des données récentes sur la transformation numérique des médias d’information, la pandémie a été en quelque sorte une arme à double tranchant. La digitalisation s’accélère, tandis que la crise économique se creuse, exigeant de nouveaux modèles économiques. La pandémie a influencé de manière positive la confiance et la valeur accordée aux médias d’informations, même si cette tendance n’est probablement que temporaire. Mais d’autres changements nous dirigent vers un paysage médiatique plus digitalisé, plus multicanal et plus dominé par les plateformes.

L’enquête principale a été menée dans 40 pays en Europe, Amérique du Nord et Amérique latine, Asie et Afrique au début de l’année 2020, donc avant que la crise n’éclate. Des enquêtes supplémentaires ont été ajoutées en avril pour comprendre l’impact du coronavirus sur la consommation des médias dans 6 pays — le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Allemagne, l’Espagne, l’Argentine et la Corée du Sud. Il faut donc comprendre l’étude comme un mélange entre tendances historiques et tendances suscitées / accélérées par la pandémie.

1La digitalisation de l’information s’accélère

Les informations télévisées et les informations en ligne en hausse

La pandémie a fait considérablement augmenter la consommation d’information dans les 6 pays où les enquêtes ont été menées avant et après l’éclatement du coronavirus. La consommation des informations télévisées, auparavant en déclin par rapport aux informations en ligne, affiche une hausse de 5 pour cent en moyenne.

Source : Reuters Institute

Cependant, cette hausse de la consommation de l’information à la télévision est certainement temporaire. Une tendance à long terme à observer : l’essor de la consommation des informations en ligne et via les réseaux sociaux.

Source : Reuters Institute

Les données indiquent une hausse du trafic importante sur les sites d’information en ligne, surtout pour les médias de référence. Par exemple, le BBC a enregistré 70 millions de visiteurs uniques au début du confinement, un record pour les audiences britanniques.

Avant et pendant la pandémie, les sites d’information ont fortement innové en matière de formats et « produits d’information » : journalisme de données, « explainers » visuels, newsletters et des podcasts. Une stratégie pour tisser les liens avec les lecteurs hors des plateformes et pour améliorer la proposition de valeur avec l’objectif d’inciter à l’abonnement (beaucoup de contenus Covid-19 étaient disponibles gratuitement). Les podcasts connaissent un succès majeur (31 % en écoutent chaque mois), malgré une légère baisse en écoute due à la pandémie. 59 % des personnes qui écoutent les podcasts aux États-Unis considèrent que le format permet « une compréhension meilleure et plus approfondie des sujets complexes ».

La « distribution » des informations : les réseaux sociaux deviennent une source encore plus importante

Malgré les tentatives des éditeurs de fidéliser les internautes hors des plateformes des GAFAs et les inquiétudes liées à la désinformation, les internautes continuent à utiliser les messageries et les réseaux sociaux pour discuter, trouver et partager des informations sur la Covid-19. 24 % (+ 7 après la pandémie) des individus sondés durant la crise utilisent WhatsApp pour trouver et partager des informations sur le virus, et 18 % ont rejoint un groupe de soutien ou de discussion avec des inconnus sur Facebook ou WhatsApp pour parler de la Covid-19.

Chez les jeunes, Instagram, Snapchat et même TikTok deviennent des plateformes importantes pour accéder aux informations sur le virus. En Argentine, 49 % des personnes sondées entre 18-24 ans se tournent vers Instagram, et 38 % en Allemagne. Aux États-Unis, 11 % accèdent aux informations Covid-19 via TikTok, et 9 % en Argentine.

Source : Reuters Institute

Même si les réseaux sociaux sont en général utilisés en combinaison avec d'autres sources d’information, il ne faut pas ignorer l’essor de ces plateformes en tant que source d’actualité. 11 % des personnes sondées dans 12 pays utilisent Instagram pour les informations au cours de la semaine, et 64 % des personnes ayant moins de 25 ans utilisent la plateforme régulièrement. Avec ses formats visuels innovants (stories, IGTV), Instagram est devenue une source d’information presque aussi populaire que Twitter.

Source : Reuters Institute

Pour atteindre les jeunes, qui sont moins sensibles aux sites des grands médias et plus dépendants des réseaux, les éditeurs devraient continuer à améliorer leur visibilité sur ces plateformes.

2La crise économique des médias se creuse, exigeant de nouveaux modèles économiques

Les médias locaux, appréciés par le public, sont pourtant les plus touchés

Si la consommation d'information a fortement augmenté, il n'en va pas de même pour les revenus des médias d’information, fortement dépendants des revenus publicitaires et événementiels. À l’horizon : l’accélération de la réduction des coûts, de la concentration des médias et du changement des modèles économiques.

La crise menace particulièrement les médias locaux, qui ont pourtant plus que jamais montré leur utilité pendant la pandémie. Cependant, le public tient aux journaux locaux — même avant la crise, 47 % des personnes sondées dans les différents pays se disaient très intéressées par les médias locaux.

Source : Reuters Institute

Le soutien des gouvernements et des entreprises comme Facebook et Google seul ne suffira pas pour sauver les médias locaux. Les médias, et surtout les médias locaux, doivent relever avec urgence le défi de trouver de nouveaux modèles économiques viables, d’attirer la nouvelle génération et de réussir la transformation numérique.

Des opportunités émergent dans les revenus lecteurs

Face à la crise, des modèles de paiement en ligne, que ce soit l’abonnement, l’adhésion, les dons ou le micropaiement, continueront à se développer. Certains pays ont vu une hausse importante en matière de paiement pour les informations en ligne, par exemple 20 % (+4) aux États-Unis et 42 % (+8) en Norvège.

Source : Reuters Institute

Cependant, on constate dans ces pays une tendance « winner takes most » — entre un tiers et la moitié des abonnements vont vers les grandes marques nationales. Dans tous les pays, la plupart des personnes qui paient pour s’informer ne s’abonnent qu'à un seul média. Or, aux États-Unis et en Norvège, une minorité (37 % aux États-Unis et 38 % en Norvège) a deux abonnements, voire plus, souvent à un journal local ou une revue spécialisée.

En revanche, il ne faut pas oublier que la plupart des personnes ne paient pas pour accéder aux informations, se contentant des informations accessibles gratuitement. 40 % aux États-Unis et 50 % au Royaume-Uni disent même que « rien ne peut les convaincre de payer ». En essayant de naviguer la récession, les éditeurs doivent donc avoir des attentes réalistes par rapport aux revenus lecteurs. Mais à long terme, ces revenus seront clairement au cœur des nouveaux modèles économiques des médias.

3Post-pandémie, les médias seront-ils mieux armés pour retrouver la confiance du public ?

Une confiance en hausse pendant la crise

Si la pandémie a ravagé les revenus des médias, elle leur aura aussi donné l’occasion de prouver leur utilité et leur valeur. Selon les sondages en janvier 2020, les niveaux de confiance dans les médias étaient au plus bas. Dans tous les pays, seulement 38 % (-4 comparé à 2019) disent pouvoir faire confiance aux informations la plupart du temps. Moins que la moitié des personnes (46 %), affirment faire confiance aux informations qu’ils regardent.

Source : Reuters Institute

Cependant, les sondages menés en avril ont trouvé que 60 % des sondés considèrent que les médias ont bien aidé le public à comprendre la crise. La confiance accordée aux médias à propos des informations Covid-19 était plus de deux fois supérieure à celle accordée aux réseaux sociaux, plateformes de vidéo ou messageries (quatre sur dix estiment que les informations provenant de ces sources ne sont pas dignes de confiance).

Source : Reuters Institute

Il est toutefois difficile de prédire les effets à long terme de cette hausse de confiance. Selon Reuters Institute, cette « aura de confiance » vis-à-vis des médias pourrait vite disparaître, surtout lorsque l’on commence à débattre du « monde d’après ».

Climat, objectivité, désinformation : les inquiétudes du public

Si les médias veulent s'appuyer sur la confiance acquise pendant la pandémie, ils doivent répondre de manière pertinente aux préoccupations des lecteurs.

La majorité (69 %) considère que le changement climatique est un problème sérieux. 47 % des personnes disent que les médias d’information donnent des informations précises sur le climat, mais on les critique également pour une couverture qui ne soit pas assez audacieuse, trop négative ou influencée par des intentions cachées.

La majorité du public (60 %) préfère également des informations objectives et sans point de vue précis. Cependant, les répondants aux États-Unis, en France et au Brésil ont des préférences plus « partisanes ». Les jeunes de mois de 35 ans ont également plus tendance à privilégier des sources qui partagent et énoncent clairement leur point de vue. « Mais il ne faut pas comprendre cela de façon manichéenne — la plupart des personnes aiment mélanger des informations fiables avec des opinions qui mettent au défi ou qui soutiennent leurs points de vue. »

Source : Reuters Institute

Dernièrement, la plupart des personnes (56 %) s’inquiètent des fake news en ligne, avec des chiffres élevés dans des pays où les institutions traditionnelles sont plus faibles comme le Brésil, le Kenya et l’Afrique du Sud. 40 % considèrent les réseaux sociaux comme la source de mésinformation la plus inquiétante, bien au-delà des sites d’actualités, des messageries ou des moteurs de recherche. Cependant, des pays plus polarisés sont plus susceptibles de blâmer les journalistes. Aux États-Unis, 43 % des personnes de droite accusent les journalistes de propager de fausses informations.

La pandémie aura donc permis de prouver l’importance d’une information de confiance pour le public et la société toute entière. Reste aux médias de renforcer la conquête des publics à travers une information vérifiée et des formats pertinents comme moteur essentiel de la démocratie.

Crédit photo : United Nations - Unsplash