“Un bout du Monde”, pour une reconquête citoyenne des médias

Par Mathilde Caubel, France Télévisions, MediaLab.

Créée en Juillet 2020, l’initiative Un Bout du Monde contribue à faire évoluer le modèle économique des médias.

Celle-ci encourage les lecteurs et journalistes à participer au financement de leur média. En septembre 2020, la première campagne intitulée “Entrez dans le monde” est lancée.

Un remède malin à la crise du secteur mais également un moyen de renouveler la confiance des lecteurs via une plus grande indépendance, des prises de décision collectives et des conférences de rédaction ouvertes.

Un modèle alternatif citoyen en voie de pérennisation ? Analyse.

Un remède à la crise du secteur

Le dispositif de “Un bout du monde” s’inscrit dans l’écosystème de solutions proposé par Julia Cagé dans son ouvrage de 2015 “pour Sauver les Médias”. L’économiste, et présidente de la Société des Lecteurs du Monde, préconise un changement radical du modèle économique pour restaurer la confiance des lecteurs et l’indépendance des médias. Celui-ci passe par la fin du modèle basé sur les recettes publicitaires et par l’inclusion des citoyens dans la gouvernance des médias. 

Elle critique également le système d’aides publiques à la presse qu’elle considère comme opaque et obsolète.

Les revenus publicitaire sont en chute constante, au même titre que le nombre d’abonnés et les achats en kiosques. Julia Cagé pointe du doigt une erreur historique de la presse française dans le développement de son offre digitale. Pour l’économiste, le modèle de la gratuité a contribué à réduire l’importance de l’abonnement dans le modèle économique des médias conduisant inexorablement à une montée en puissance de l’actionnariat.

Plus d’indépendance 

L’association “Au bout du Monde” est née d’un partenariat entre la Société des lecteurs du Monde et la Société du Pôle d’Indépendance du groupe Le Monde. Elle vise à créer les conditions d’une plus grande d’indépendance des médias vis-à-vis des pouvoirs économique et politique. Son plan d’action ? Soutenir les initiatives de salariés qui souhaitent financer leur média, organiser des levées de fonds et acquérir des actions et parts sociales pour l’ensemble des adhérents. 

 

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Plus de transparence dans les prises de décision

L’adhésion à l’association est possible à partir de 5 euros. Chaque adhérent participe aux assemblées générales et dispose d’une voix. Les membres de l’association participent aux décisions du groupe Le Monde. Les membres les plus actifs (et ayant cotisé au minimum 15€) sont éligibles pour siéger au conseil d’administration de l’association.

Un modèle économique citoyen 

L’association “Au bout du Monde” bénéficie du soutien d’économistes, de journalistes et de personnalités politiques. Leur soutien est décisif dans la promotion de l’activité de l’association qui souhaite promouvoir ce nouveau modèle économique alternatif. Dans un contexte de défiance, l'objectif est d’associer les lecteurs à la production d’une information de qualité.

« Si on veut une pérennité et avoir des médias qui s’inscrivent dans le temps, qui peuvent recruter des journalistes dans le long terme, on a besoin d’un modèle qui repose beaucoup plus sur les citoyens, les lecteurs, » Thomas Piketty

Une première levée de fonds pour La Société des Lecteurs du Monde 

La première levée de fonds de l’association intitulée “Entrez dans le monde” s'est fait via un financement participatif sur la plateforme KissKissBankBank. L'objectif ? réunir 500 000€ pour défendre l’indépendance du groupe Le Monde. Un choix stratégique ayant eu lieu après l'entrée de Daniel Kretinsky dans le capital du groupe. Son refus de signer le droit d’agrément demandé par le pôle d’indépendance du Monde avait suscité de vives réactions et un débat sur la concentration des médias.

À terme, les fond récoltés seront utilisés pour le rachat de plus de 17 000 actions tombées en déshérence de la société des lecteurs du Monde. Ces actions - non réclamées par leurs propriétaires - seront vendues aux enchères par la SDL. Cette acquisition représente donc une chance pour "Un bout du monde" et ses adhérents d’entrer dans l’actionnariat du groupe Le Monde. 

 

Le financement participatif, exception ou solution ?

Le système d’appel aux dons des lecteurs n’est pas nouveau puisqu’il est régulièrement utilisé par la presse écrite en difficulté économique. L’impact du financement citoyen est plus fort quand les salariés des médias y participent également comme cela a été le cas pour Nice-Matin.

Certains modèles de financement alternatifs peuvent être proposés pour l'indépendance des médias. Le Scott Trust de The Guardian est un modèle unique dans lequel un “Trust” est propriétaire du média et assure son autonomie financière et éditoriale. Plus récemment, Médiapart a aussi eu recours à la création d’un Fonds pour une presse libre pour se protéger d’un éventuel rachat. 

L’association "Un bout du Monde" n’a pas l’ambition d’acquérir Le Monde dans son intégralité mais de re-solidariser les citoyens avec leur média. Malgré une médiatisation forte du projet, les contributions de la première levée de fond ne s’élèvent qu'à 20% de l’objectif de 500 000€ visé. La perspective d’acquisition des actions en déshérence est aussi mise en difficulté par des oppositions du côté de la Société des Rédacteurs du Monde

Crédit Photo de Une : Roman Kraft, Unsplash