Par Anne-Catherine Nanopoulos, direction de l'International, et Lisa Rodrigues, MediaLab de l'Information
2020 a été une année particulièrement riche en expérimentations sociales et numériques, et l’audiovisuel n’est pas en reste. L’industrie se retrouve face à un tout nouveau public aux pratiques et attentes changées. A partir de ces observations, l’agence Accenture Interactive-Fjord a publié ses prévisions et tendances de fond pour 2021, décrite comme l’année de « la renaissance du XXIe siècle » dans l’audiovisuel.
Sept grands chantiers ont été identifiés par l’étude. Certains sont particulièrement intéressants pour l'audiovisuel : accompagner le public durant cette période de grands changements, montrer plus d’empathie et prendre parti, recréer une véritable expérience interactive, et aider à mieux s’adapter au nouveau contexte social.
Prendre en compte les grands bouleversements collectifs
Avec la pandémie, nous avons dû revoir nos habitudes pour consommer, travailler, se détendre ou s’informer. Notre mobilité a été fortement réduite, nous forçant à rester chez nous avec des contacts limités et essentiellement digitaux. L’audience d’avant 2020 n’est plus celle d’aujourd’hui, et elle va encore évoluer avec la situation sanitaire.
Au lieu de chercher à revenir en arrière, l’audiovisuel doit prendre en compte ces changements de long terme des comportements du public. Une grande partie des expériences plus réduites dans le temps et en audience se feront désormais à distance. Il faudra également intégrer de l’immersion, une possibilité de connectivité avec autrui dans les productions audiovisuelles. Accenture-Fjord donne ainsi trois piliers indispensables pour ce projet : la texture – ce ressenti particulier issu des relations physiques, y compris au sens métaphorique du terme –, la transparence et le contrôle.
Des initiatives en ce sens ont déjà été lancées par les entreprises de l’audiovisuel, comme le recours à des technologies de réalité virtuelle ou des aides pour faire l’école à la maison. L’étude conseille toutefois de garder en tête la volatilité des comportements du public. Même si des tendances de long terme ont été identifiées, le contexte peut encore changer. Les expériences proposées doivent plutôt se concentrer sur le positif de la situation, avec des ajustements à envisager si besoin en fonction de la situation. Enfin, les marques doivent repenser leurs contenus pré-pandémie, plus physiques, pour s’adapter à une demande plus individualisée.
Comprendre sa raison d’être pour mieux prendre parti
L’année écoulée a vu les inégalités exacerbées – voire de nouvelles apparaître – entre différentes communautés. Certaines communautés ont soulevé ces problèmes, faisant remonter à la surface des dysfonctionnements latents dans notre société, à l’image du mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis. En parallèle de ces prises de positions fortes, la désinformation n’a jamais été aussi forte, en particulier sur les réseaux sociaux. Le public est beaucoup plus polarisé.
Rester silencieux sur les enjeux sociétaux du moment n’est plus possible pour les entreprises de l’audiovisuel. Il faut donc prendre position, montrer son soutien et son empathie. Il ne s'agit pas simplement de satisfaire tout le monde, ni de cocher toutes les cases. L’étude recommanderait ainsi de viser un public précis dont on partage les valeurs, sans pour autant poursuivre un objectif purement marketing de hausse du chiffre d’affaires. Une solution peu adaptée à l'audiovisuel public qui doit s’adresser à l’ensemble de l’audience et pas seulement à une partie.
Mais l'idée de la raison d’être de la marque, son identité, son rôle et ses valeurs, souvent résumés en quelques mots, est à reprendre pour l'audiovisuel public. Pour définir la raison d'être, l’étude conseille d’intégrer les membres de l’entreprise dans sa construction, tout en respectant les divisions internes. L’image renvoyée au public et la défense de cette raison d’être n’en seront que plus fortes. Attention toutefois à ne pas aller dans tous les sens. Il faut se concentrer sur une courte liste d’engagements qu'il s'agira de respecter. Et pour avoir encore plus d’impact, ces prises de position doivent se transcrire dans les paroles, mais aussi dans les gestes de l’industrie audiovisuelle.
Recréer de l'interaction sociale
2020 a été une année solitaire pour beaucoup d’entre nous. L’écran de notre ordinateur ou de notre téléphone est devenu notre nouvelle fenêtre sur le monde. Avec la multiplication d’outils à notre disposition, de nouveaux standards digitaux sont apparus. Pour autant, le nombre d’heures passées en ligne a explosé menant à des externalités négatives comme la dépression liée à la solitude et au manque de contact humain, ou des symptômes de fatigue numérique.
L’audiovisuel devra prendre en compte cette nouvelle réalité en 2021. Beaucoup de contenus vont très certainement rester en ligne, mais la demande pour des expériences in-vivo et plus immersives devrait aussi se développer en parallèle. Les marques devront réfléchir à un moyen de recréer digitalement de l’interaction et les émotions ressenties lors de moments de partage en live, comme pour les évènements sportifs par exemple. Le travail sur les données est ici une priorité. Par contre, cela devra se faire dans le respect de l’environnement, devenu un impératif pour tous les secteurs d’activité, et pour le public.
L’étude conseille de trouver un équilibre entre expériences numériques et expériences réelles. Et même en trouvant la bonne formule, encore faut-il pouvoir se démarquer. Les entreprises de l’audiovisuel devront rechercher davantage de design innovant et relayer une certaine forme d’expérience sensorielle pour mieux capter l’audience. Accenture-Fjord encourage à explorer les fonctionnalités des outils à disposition pour mieux les prendre en main et créer sa propre identité. Les marques ne doivent pas avoir peur de tenter des choses, et cette prise de risque peut même faire partie de leur stratégie de communication.
Réinstaurer du sens et des rituels
Même avec la distance physique, les rituels sociaux forts – anniversaires, mariages, repas de famille – ont réussi à se maintenir en 2020 en se réinventant sous une forme plus digitale. Cela reste un bouleversement sans précédent dans nos vies, et le besoin de retrouver une certaine spiritualité, une conscience de ce qui nous entoure a traversé la société. Cette recherche de sens a amené le public à se créer de nouvelles habitudes, de nouveaux rituels.
L’audiovisuel peut, et doit, aider le public à reprendre une forme de contrôle et à s’émanciper de ces nouvelles contraintes. Pour cela, les marques doivent se poser un certain nombre de questions. Sont-elles plutôt un rituel pour le public, une expérience ancrée dans leur vie, une habitude, ou un acteur dont on peut se passer ? L'objectif de cette introspection : proposer des contenus et formats instaurant des liens entre les individus, mais aussi un sentiment d’appartenance à une collectivité bénéfique pour soi-même : se retrouver pour un concert à distance, regarder ensemble un film même en étant séparés … Tout cela, bien sûr, en respectant ses engagements et ses prises de position.
L’étude préconise une enquête poussée des rituels du public pour mieux comprendre les raisons de leur existence. Ils différeront certainement en fonction du marché et du format – numérique ou linéaire – et pourront encore être amenés à se modifier avec le contexte sanitaire. Le rôle de l’audiovisuel est aussi d’aider le public à retrouver une forme de normalité à travers les expériences proposées.
Pour mieux répondre à ces nouvelles attentes de l’audience, l’attitude conseillée par Accenture-Fjord est l’authenticité. Les entreprises sont dans le même cas que leur public, elles ne connaissent pas la forme future des relations sociales, mais elles peuvent participer à leur renouveau et aider les gens à créer des rituels significatifs dans ces nouvelles circonstances.