#SXSW2021 : Les "Tech Trends" d'Amy Webb, bienvenue dans votre épisode de Black Mirror

Par Kati Bremme, Direction de l'Innovation et de la Prospective, France Télévisions  

Disruption du monde oblige, cette année, Amy Webb ne propose pas un « Tech Trends Report » mais douze, à l’occasion d’un festival SXSW entièrement en ligne. Le choc de la pandémie a révélé 500 tendances technologiques et scientifiques, que la fondatrice du Future Today Institute a mis à disposition du grand public gratuitement sur sa plateforme, afin de donner à tout le monde les clés de compréhension de ce « New World Disorder ».  

Pilotée par la data en avance sur son temps, "l’Institut de l'Avenir d'Aujourd'hui" incite les entreprises et gouvernements du monde entier à intercepter les signaux forts et faibles pour mieux se préparer à l'avenir. Mais détecter des signaux n’est pas suffisant pour survivre dans un monde en perpétuelle disruption.  « Lean into uncertainty » (S'adapter à l'incertitude) est le deuxième leitmotif d’Amy Webb, qui prévient : « Survivre à une pandémie globale […]  ne nous rend pas immunisés face au chaos de l’avenir », avec une « Roue des disruptions » qui continue à tourner sans que nous n'ayons de grande influence sur les macroforces externes.


Future Today Institute, Wheel of Disruption

Les tendances détectées sont le résultat de l'intersection des macroforces et des signaux faibles, qui se développent sur une période plus ou moins longue, et qui ont été, pour la plupart, accélérés l'année dernière par la crise du COVID-19.

Des 500 pages du rapport 2021, Amy Webb extrait 3 idées clés :

  • YoT, le "You of Things", avec notre corps comme partie intégrante du réseau,
  • Le "Mixed Reality World", un monde qui crée une nouvelle réalité en s'alimentant du YoT et des informations sur nos comportements,
  • Le "New World Disorder", une nouvelle vie marquée par les applications au service d'une élite privilégiée.

1YoT, le "You of Things"

En 2018, le Future Today Institute avait annoncé la fin des smartphones. En effet, les ventes de smartphones sont en baisse depuis plusieurs années, remplaçées petit à petit par des appareils connectés d'un nouveau genre, que nous allons soit porter sur nous, soit même implanter dans notre corps, comme c'est déjà le cas avec des pacemakers connectés. Des "smart glasses" qui augmentent la réalité, des bracelets qui détectent nos émotions, ou encore des écouteurs qui mesurent notre température, capables de croiser nos données biométriques avec nos comportements, sont autant de points d'entrée pour de possibles attaques sur notre vie privée.

Vendus comme des outils qui nous permettent de mieux vivre, en régulant la température de notre literie pour un sommeil réconfortant (Ooler Smart Sleep Technology), en simulant une respiration pour nous calmer (Somonex Sleep Robot) ou en traquant notre métabolisme (Lumen), ils sont de nouveaux partenaires bien-être alimentés en permancence par nos données.

La pandémie a accéléré la télémédecine, et poussé à standardiser les données de santé électroniques. Face à une population qui se méfie du traitement de leurs données, les vendeurs de ces appareils connectés prônent des réseaux protégés et fermés de proximité, des "Mesh Network", comme Amazon Sidewalk. De nouvelles interfaces homme-machine se développent, et notre moyen d'interaction actuel, la voix, sera remplacé par des "BCI", des Brain Controlled Interfaces, avec des machines directement pilotées par nos cerveaux (Neuralink).

Le problème de ces appareils de plus en plus présents dans notre vie quotidienne ? Ils appartiennent presque exclusivement aux "Big Nine" : les GAFAM du côté des Etats-Unis, et les BAT en Chine. A terme, ces outils seront capables non seulement d'améliorer notre vie, mais aussi de potentiellement la manipuler, à travers des propositions commerciales en rapport avec nos émotions, ou peut-être même en "hackant" directement nos cerveaux...

2"Mixed Reality World", la nouvelle réalité mixte

De plus en plus, les domaines numérique et physique s'entremêlent d'une manière nouvelle dans un monde "phygital". D'un côté, dans la "Réalité assistée", le numérique nous facilite déjà la vie depuis longtemps (GPS). On y trouve aujourd'hui des médicaments sous forme de jeux vidéo, approuvés par la FDA, le régulateur américain, qui améliorent la fonction d'attention chez les enfants atteints de troubles de l'attention (TDAH).

De l'autré côté, dans la "Réalité réduite", on supprime certains stimuli, comme avec les casques réducteurs de bruit. Demain, avec les lunettes et les écouteurs connectés, on pourrait imaginer un monde parfait, où serait gommé tout ce qui ne nous plaît pas (comme les poubelles dans les rues de Paris). Une bulle de filtre poussée à l'extrême, qui, à terme, nous désensibilisera complètement de la réalité.

Les réalités mixtes sont aussi le terrain de jeu des "médias synthétiques", comme les appelle Amy Webb, ou encore des deepfakes. De nouvelles plateformes pour fabriquer son propre deepfake de plus en plus sophistiqué émergent (Synthesia, Alethea), et le numérique, voire même le virtuel a envahi nos vies confinées sous la pandémie. L'industrie de la mode en est un example frappant, avec des vêtements numériques que l'on peut porter dans un monde parallèle digital, alter ego des oeuvres d'art en jpeg qui se vendent désormais aux enchères chez Christie's.

Les deepfakes préfigurent le possible remplacement de l'interaction commerciale humaine par des machines dont on peut programmer la "likeability" (leur capacité de se faire aimer par la personne en face).

Avec une question fondamentale : comment faire confiance dans un monde de réalités altérées, où certains seront capables de se créer une extension numérique parfaitement réaliste de leur personnalité ?

3Le "New World Disorder"

Le virus a radicalement changé notre réalité, et nous a fait accepter des intrusions dans notre vie personnelle autrefois interdites. Aux Etats-Unis, on échange volontairement les données de santé des enfants pour leur permettre un accès à l'école.

Des "hacktivistes" utilisent leurs compétences numériques pour contribuer à façonner les politiques, les conversations et les pratiques commerciales au niveau local, régional, national et international. Cela va des investigations Open Source (Bellingcat) jusqu'à la prise d'influence sur les réseaux sociaux et des attaques coordonnées sur des sites web des administrations, qu'Amy Webb baptise CDoS, Corporate Denial of Service (dérivé de DDoS, Distributed Denial-of-Service). 

Une bonne (et un peu effrayante) nouvelle sur le chemin de la sélection naturelle à la sélection artificielle : grâce à la biologie de synthèse, nous sommes désormais capables de concevoir et construire (« synthétiser ») de nouveaux systèmes et fonctions biologiques, comme avec cette imprimante capable d'imprimer des génomes de synthèse. 

On imagine le scénario d'une conquête de Mars où l'on pourrait envoyer depuis la terre des informations à des imprimantes installées sur la planète rouge, pour y fabriquer des organismes vivants parfaitement adaptés aux conditions locales.

Avec le pouvoir de plus en plus grand des plateformes, la journaliste Molly Wood revendique un besoin de "Cloud Neutrality" face à une infrastructure privée qui pèse plusieurs milliards de dollars et qui est désormais essentielle à l'économie moderne de l'Internet.

En conclusion de la présentation des Tech Trends 2021, Amy Webb ne présente pas de scénario optimiste cette année. Au milieu de cette gigantesque transformation du monde, sa seule recommandation pour 2021 sera de détecter les tendances en laissant de la place à l'ambiguïté, tout en ayant le courage d'agir collectivement pour le bien des futures générations. 

 

Le rapport complet est accessible sur le site du Future Today Institute


Illustration : Fernando Jorge sur Unsplash