Diversité dans les médias : l'audiovisuel public a des cartes à jouer

Par Mathilde Caubel, MediaLab de l'Information à France Télévisions

La première édition du rapport de l’EBU sur la diversité dans les médias publics a été révélé fin mai, dans un contexte de demande grandissante pour des contenus plus inclusifs. 

L'étude fait intervenir des sources académiques, des cabinet d'études privés (Nielsen, Reuters), autorités de régulation de l'audiovisuel (CSA), ainsi que des ONG. Elle se concentre sur 5 piliers qui sont la diversité raciale et ethnique, l'orientation sexuelle, le handicap, l'âge et le genre. Chacun des piliers est analysé selon leurs représentations à l’écran et sur les ondes, mais aussi au sein des organisations.

Ce rapport fait état de la représentation de la diversité dans le secteur de l'audiovisuel européen et les problèmes que pose le manque de diversité pour l'identification des publics et la cohésion sociale. Il expose aussi les actions menées par les médias membres de l'EBU pour être plus inclusifs et pour brosser un portrait plus fidèle de la société.

Constat général : les progrès sont timides

Généralement l'augmentation de la représentation médiatique de la diversité est très lente. La part de personnes issues de minorités ethno-culturelles ou sexuelles reste toujours de loin inférieure dans les contenus audiovisuels par rapport à la composition réelle de la population. Cependant, les études et données chiffrées viennent parfois à manquer pour identifier cet écart, comme par exemple pour les LGBTQI+.

Malgré une hausse de la diversité dans les castings, la composition reste parfois déconnectée des réalités démographiques nationales. Par exemple, malgré une grande diversité des casting sur la télévision britannique, les personnes métisses et noires sont surreprésentées par rapport aux asiatiques.

De façon générale, la représentation de la diversité dans l'audiovisuel souffre d'un vice d’essentialisation : l'homme noir ou métisse reste sur-représenté par rapport aux femmes et aux hommes d'autres minorités ethniques, l'homme gay compose une grande majorité des représentations LGBTQI+ et le handicap est souvent uniquement montré comme lourd et moteur. De cela découle une invisibilisation de certaines populations s'identifiant comme faisant partie de la diversité. Comme le montre les chiffres du Royaume-Uni ci-dessus, c'est souvent les asiatiques qui sont le plus sous-représentés dans les médias européens. 

Le pilier de la diversité qui voit le moins de progrès est la représentation du handicap à l'écran, alors même que l'on considère aujourd'hui que 15% de la population mondiale vit en situation de handicap. Par exemple, le handicap est nettement sous représenté à la télévision française (0,7% des personnages) et britannique (7%), alors que 18% de la population de ces pays souffre d'un handicap. Cependant, il faut garder à l'esprit que beaucoup de handicaps sont invisibles dans de courtes expositions médiatiques.

Suivre la demande des publics

Le besoin de représentation de la diversité dans les médias va au-delà de la cohésion sociale et de l'objectivité des contenus d'informations car elle compose aussi un argument commercial de poids. En effet, selon le rapport, 45% des téléspectateurs citent la diversité comme une caractéristique importante pour le choix d’un programme.

La demande pour des contenus plus divers n'a jamais été aussi forte à l'échelle internationale. Par exemple, aux États-Unis, entre 2017 et 2019, la demande de fictions au casting hautement diversifié à augmenté de 211%.

Les médias ont déjà généralement identifié cette demande, en particulier dans l'audiovisuel public. En effet, selon l'EBU, 53% des médias de service public ont déjà mis en oeuvre au moins une politiques DE&I (Diversity, Equity & Inclusion) au sein de leur organisation ou dans la production de leurs programmes originaux. Par exemple, Radio France à lancé le programme "Égalité 360°" qui comporte 60 mesures pour plus de diversité au sein des effectifs du groupe ainsi que dans ses programmes. De même, la BBC investit 100 millions de livres pour encourager la diversité dans ses programmes et s'engage à une part minimale de 20% dans ses effectifs derrières les caméras.

Mais, comme il est visible ci-dessus, le Streaming, et notamment les plateformes de SVOD, ont su répondre plus rapidement à cette hausse de la demande que les acteurs historiques de l'audiovisuel. En terme de représentation LGBTQI+, le rapport prend l'exemple de la série norvégienne SKAM et de ses adaptations pour montrer le succès rencontré par des programmes en phase avec la diversité auprès des jeunes. Le fait que Nielsen ait décidé d'intégrer les ménages et les couples homosexuels dans ses mesures d'audiences montre aussi l'importance d'identifier la diversité au sein des publics pour pouvoir répondre à ses demandes. 

La demande de contenus représentants le handicap est aussi très forte : 53% des téléspectateurs américains souhaiteraient voir plus d'acteurs handicapés dans des rôles principaux. Cette demande émane principalement des publics vivant avec un handicap et des jeunes publics. Ces publics sont d'autant plus susceptibles d'être abonnés à des plateformes de streaming (Netflix, Hulu, Amazon Prime Vidéo), sur lesquelles la représentation du handicap est supérieure au linéaire.

Dans les programmes de flux, plus de diversité contre les stéréotypes

Représentation des personnes racisées dans différents types de contenus audiovisuels

Le rapport fait état d'un manque de représentation dans les contenus "non scénarisés" comme les informations, les documentaires et magazines. En comparaison, c’est dans les contenus pour enfants que la représentation est la plus variée. En particulier, le manque de diversité dans les programmes d’information et l’inégalité de la représentation des communautés favorisent des storytelling stéréotypés, ce qui menace l’objectivité des contenus ; et in fine, la cohésion sociale.

La diversité dans les contenus d’information est cruciale quand les publics qui ne sont pas ou peu en contact avec des minorités dans leur vie quotidienne se reposent presque exclusivement sur les médias pour se faire une image de certaines communautés.

En ce sens, une représentation forte mais négative des minorités peut être préjudiciable car elle crée et cimente des préjugés contre différents groupes. Voici quelques conclusions issues des recherches qualitatives de la VRT (Belgique flamande) pour contrer cet effet :

  • Les minorités sont trop souvent représentées comme des groupes homogènes, sans montrer les disparités au sein des communautés. Pour contrer cela, les rédactions doivent être acculturées aux thématiques de l'intersectionnalité, à l’hétérogénéité culturelle et à la pluralité des voix.
  • Les stéréotypes viennent d'une représentation cataloguée des minorités, trop souvent cantonnée à des sujets en lien avec leur identité ethno-culturelle. La solution serait donc de diversifier les panels d’experts, et d’ouvrir la représentation des minorités au-delà des sujets centrées sur leur ethnie. 
  • Contrer la tendance des récits dichotomiques opposant la minorité à un groupe majoritaire et dominant grâce à un vocabulaire plus inclusif, et une prise de conscience d’une certaine “normativité blanche” dans nos médias. 

Au delà des rôles secondaires et stéréotypies

C'est dans la fiction que la diversité représentée progresse le plus vite. Mais les personnes issues de minorités ethniques y incarnent statistiquement moins de rôles principaux et de figures de leader. Par exemple, à la télévision française, seulement 15% des rôles sont attribuées à des personnes racisées, et 36% de ces rôles sont au mieux secondaires.

Dans le cas des LGBTQI+, malgré une normalisation de l'homosexualité dans les fictions, on observe une prévalence de stéréotypes dans les rôles. Les personnages LGBTQI+ sont représenté comme moins intelligents, plus sexualisés et ayant une espérance de vie plus faible que leurs homologues hétérosexuels. D'après un rapport de l'Ofcom sur la BBC, une représentation plus juste et nuancée des LGBTQI+ est essentielle pour lutter contre les discriminations et les violences homophobes.

L'intersectionnalité est aussi un sujet à intégrer pour des fictions plus inclusives. L'incarnation de la diversité à l'écran repose le plus souvent sur un seul des 5 piliers choisis pour ce rapport. Par exemple, 70% des personnes handicapées visibles à la télévision sont des hommes et seulement 15% sont racisées.

Représentation du handicap dans différents types de programmes audiovisuels

Comme pour la diversité raciale et ethnique, le handicap est statistiquement plus présent dans les programmes de stock et notamment dans les contenus jeunesse. Cependant l'auto-représentation est presque remarquablement faible. La fiction a beau plus représenter le handicap, elle ne donne pas pour autant plus de visibilité aux acteurs souffrants eux-mêmes de handicaps : en 2016, 95% des personnages handicapés de séries américaines étaient joués par des valides. Les personnages handicapés sont souvent défini uniquement par leur handicap dans le storytelling et présentés comme dépendants et fragiles. Ils sont donc rarement représentés dans des rôles principaux.

Le progrès commence par les organisations

Avant d'apparaître à l'écran, la diversité devrait être incarnée dans les effectifs des organisations du secteur médiatique.

Présentement et malgré de légers progrès, les rédacteurs en chef des médias d’information issus de minorités sont très peu nombreux. Ces postes ont une influence directe sur les rédactions mais aussi sur l’image des médias auprès des publics. Ainsi, la diversité dans le leadership des rédactions est aussi importante car elle impacte directement le choix des sujets, des angles et donc la représentation de la diversité à l’écran. 

D'après l'EBU, les médias de services publics européens détiennent un avantage comparatif pour porter le progrès vers un audiovisuel plus inclusif. En effet, les membres de l'EBU administre actuellement 225 services de TV, radio ou streaming qui visent en priorité les minorités ethniques, linguistiques et les citoyens issus de l'immigration.

Du côté des minorités sexuelles, il y a peu de statistique à propos de la part de LGBTQI+ dans les effectifs des médias. C'est justement du côté des médias de services publics que l'on peut en trouver, ainsi qu'une représentation plus forte que la moyenne du marché. Par exemple, on voit ci-dessus que les LGB ont une forte contribution créative chez la BBC. Cependant, la représentation des personnes transgenre dans les médias britanniques reste anecdotique (seulement 0,2% des employés).

 

Le handicap est de son coté sous-représenté au sein des effectifs des médias publics. Parmi les membres de l'EBU ayant pu partager des statistiques à ce sujet, la part de personnel handicapé va de 1,7% en Bulgarie et république Tchèque jusqu'à 10% au Royaume-Uni. La BBC se différencie justement sur ce point par rapport aux autres antennes de télévisions britanniques : en 2020, elle avait en moyenne 30% de plus de représentation du handicap que la concurrence. La présence d'handicapés au sein des organisation est de plus un fort apport pour l'accessibilité des médias et pour la mission d'inclusivité des médias de service public. Ainsi, 56% des médias de services publics déclare cette année qu'inclure davantage d'handicapés dans leurs effectifs et une de leur hautes priorités.

Toucher une audience plus large

La conclusion finale que l'on peu tirer de ce rapport est l'injonction à la réactivité et à une meilleure connaissance des publics pour les MSP. L'inclusivité et l'accessibilité sont nécessaire pour toucher un public plus large, mais aussi pour enrichir et diversifier les effectifs des médias publics. On retiendra aussi que les jeunes publics sont particulièrement sensibles à la représentation de la diversité dans les contenus qu'ils choisissent de consommer. Ce public étant une cible capitale pour l'avenir de l'audiovisuel public et des médias historique, il est important de réagir rapidement à cette demande. Des acteurs privés de la SVOD comme Netflix ou Amazon Prime Vidéo l'ont déjà compris.