#UseTheNews : Comment regagner la confiance de la Génération Z ?

Par Chrystal Delfosse, MediaLab de l'Information de France Télévisions 

Il n’est pas nouveau d’apprendre que la Gen Z délaisse les médias traditionnels au profit des réseaux sociaux et autres médias numériques. Les plus jeunes affirment ne pas se retrouver dans l’offre dite traditionnelle. Pour tenter de comprendre cette nouvelle génération et pour susciter son intérêt pour le journalisme et l'information, la Deutsche Presse-Agentur (dpa) a lancé, en 2020, un projet d’envergure nommé #UseTheNews. En collaboration avec le Sénat de Hambourg, des professionnels des médias, des écoles et des établissements d’enseignement, ce projet est parti d’une question : "Comment (re)gagner la confiance et construire des démocraties plus saines ?"

Il existe de nombreuses pistes à explorer pour reconquérir les jeunes, qui passent notamment par la façon de s'exprimer, le choix des thématiques, de nouveaux formats et canaux ou encore l'implication interactive des publics, résume le document, partagé sous forme de livre blanc. À destination des journalistes et éditeurs, #UseTheNews donne des éléments de compréhension des nouveaux usages médiatiques de cette génération tant convoitée. Grâce à une étude menée auprès de 1.500 personnes par l’Institut Leibniz pour la recherche sur les médias, le document fournit des connaissances de base sur les changements d’attitude et sur les usages du jeune public. Depuis fin 2020, la mise en place d’un laboratoire d’initiation à l’information, composé d’une trentaine de professionnels des médias, a permis d’explorer des projets innovants et des bonnes pratiques éclairant ainsi les enseignements de l’étude. 

La Gen Z n’est pas un public cible uniforme

Il ne faut pas voir la génération Z comme un public cible unique, tant les habitudes, besoins et intérêts en termes d’informations diffèrent au sein de ce même groupe. L’étude révèle que si la manière de s’informer des adolescents et jeunes adultes peut varier selon l’âge et le niveau d’éducation, elle peut également différer entre deux personnes venant d’un même milieu social. 

Plus précisément, l’étude identifie quatre groupes. Certains vont s’informer presque exclusivement grâce à des sources journalistiques, en considérant que cela forge leur opinion - principalement les plus âgés et ayant un niveau d’éducation élevé. Tandis que d’autres vont se tourner vers des “acteurs privés”, que sont les célébrités et les influenceurs. Certaines personnes vont combiner ces deux sources - et seront considérées comme "bien informées". Enfin, il existe également un groupe de personnes n’éprouvant aucun intérêt pour l’actualité et n’utilisant aucune source d’information. 

La majorité des adolescents et jeunes adultes considèrent le journalisme comme pertinent, pour s’informer et pour forger leur opinion

Ce serait une erreur de penser que la Gen Z est complètement insensible au journalisme professionnel. L’étude, menée en Allemagne, montre qu’en plus de trouver le contenu journalistique pertinent, ces jeunes le consomment principalement via l’offre numérique des médias connus, mais aussi à travers les canaux plus traditionnels comme la radio, la télévision et la presse écrite. Les adolescents et jeunes adultes ne consommeraient finalement que peu de contenu journalistique sur les médias sociaux. 

Ces derniers faisant partie de leur vie quotidienne, ils représentent évidemment une source d’information, mais principalement à travers des biais non-journalistiques tels que les publications d'amis, de la famille, de stars et d'influenceurs et non pas via les comptes officiels des médias.

Sur les réseaux sociaux, le contenu journalistique cohabite avec une multitude d'autres messages. Pour attirer le jeune public, il est alors essentiel pour les médias de s’adapter au contenu natif des réseaux sur lesquels ils publient. Le journal télévisé allemand Tagesschau donne l’exemple avec sa présence sur TikTok. Présente depuis novembre 2019 sur l’application, la rédaction explique que l’objectif est de réussir à interpréter la Tagesschau pour la plateforme grâce au divertissement, à l’auto dérision - et évidemment grâce à sa fiabilité et l'information vérifiée

La Gen Z se sent éloignée des sujets traités par les médias

C’est un constat à maintes fois répété : les adolescents et les jeunes adultes ne trouvent pas de lien entre les contenus journalistiques et leur propre vie. Ils ne comprennent souvent pas la hiérarchie des médias et ne trouvent pas d’arguments permettant d’expliquer pourquoi telle actualité traitée est importante. Aussi, de nombreux jeunes déplorent l’omniprésence de certains sujets dans les médias.

D’une manière plus générale, la Gen Z se dit rarement intéressée par l’actualité politique et par les “hard news”. Les 18-24 ans sont tout de même davantage intéressés par les sujets internationaux, locaux et environnementaux, que les 14-17 ans. Ces deux groupes sont unis par un intérêt commun pour les informations insolites et divertissantes

L’étude relève également que les jeunes attendent du journalisme qu’il leur fournisse des informations factuelles, plutôt que des opinions personnelles

Ici, la présence de tagesschau sur TikTok permet une nouvelle fois de montrer l’exemple. Le chef du service, Andreas Lützkendorf, affirme que “l’actualité et la politique peuvent fonctionner sur TikTok”. Il explique que c’est notamment grâce à leurs vidéos explicatives, brèves et faisant référence à la vie quotidienne. Enfin, il fait également remarquer que les vidéos les plus partagées, et donc celles susceptibles d'attirer un nouveau public, sont les vidéos à charactère humoristique

Les jeunes s’informent pour s’intégrer dans leur environnement social

Peu importe leur attitude et leurs habitudes d’information, les jeunes se retrouvent sur un point :s’ils s’informent, c’est principalement pour pouvoir participer aux conversations avec leur entourage social. Plus précisément, les adolescents font mention du fait de pouvoir prendre part aux débats menés dans leurs salles de classe, tandis que les jeunes adultes citent le désir d’assumer leur rôle de “bon citoyen” et de pouvoir “contribuer à la société démocratique”

Pour répondre à ce besoin, il est nécessaire de fournir aux jeunes une information compréhensible, qui leur donnera les clés pour forger leur opinion personnelle. Ladpa a lancé en juin 2020 Easy News, un projet visant à rendre l’actualité intelligible pour tous, en particulier les personnes ne sachant pas bien lire et comprendre la langue allemande. Les articles sont écrits de manière factuelle, chronologique et concise, les termes techniques sont systématiquement expliqués. 

De la même manière, les formats “décryptages” fonctionnent plutôt bien sur le public jeune. En avril 2021, la NDR a lancé la chaîne YouTube Clip & Clear, à destination des millenials - les personnes âgées de 25 à 35 ans. L'objectif : expliquer le contexte de certaines questions d’actualité d’une manière “divertissante et intelligente”. Les vidéos postées reprennent des codes biens connus du public cible, en usant de mises en scènes amusantes, de GIFs, memes et autres graphiques. “Cela permet au public cible d'appliquer des sujets à l’apparence ennuyeuse à leur propre vie, de participer aux discussions et de retrouver le goût de l'actualité”, affirme le chef de projet. 

Tous les jeunes n’ont pas le même comportement en ligne

Il est important de comprendre qu’une majorité des jeunes utilisateurs sont passifs sur les réseaux sociaux. Bien souvent, ils ne trouvent pas d’intérêt au fait de participer aux discussions et aux interactions sur les plateformes numériques. Cependant, les plus à même de prendre part aux débats en ligne sont ceux étant les mieux informés, ainsi que ceux peu orientés vers les sources journalistiques. Cette minorité, active sur les réseaux sociaux, va ainsi façonner l’image extérieure de la Gen Z, pourtant non-représentative de sa globalité. 

Les médias ne devraient alors pas être trop tentés de correspondre exclusivement à cette minorité visible et aux opinions qu’elle véhicule. Il est plutôt important de prendre en considération les demandes des adolescents qui ne sont pas visibles et d’aborder différents types d’orientation de l’information. 

La solution pour s'adresser à un public le plus large : lui donner la parole. Lorsque la Tagesschau a souhaité développer une version 3.0 de son application, elle a laissé des dizaines de milliers d’utilisateurs accéder à sa version bêta en préproduction. Grâce aux retours formulés, la Tagesschau a pu lancer, quelques mois plus tard, une appli correspondant aux attentes de son public et ainsi bien mieux accueillie que la version 2.0.

 

L’éducation aux médias pour séparer les faits des opinions

Sur Internet, les jeunes sont confrontés à l'abondance de contenus, y compris l’offre journalistique d'information. L'étude #UseTheNews constate que les adolescents et jeunes adultes ne donnent pas forcément plus de crédit aux contenus journalistiques qu’aux déclarations individuelles, souvent parce qu'ils manquent de connaissance sur le journalisme et ses méthodes de travail.

La dpa relève alors l’importance primordiale de l’éducation aux médias pour les plus jeunes, comme pour les plus âgés. En effet, en 2016 une étude du Stanford History Education Group indiquait que la quasi-totalité des lycéens américains interrogés ne tient pas compte de la validité d’une source lorsqu’ils s’informent. Dans le même temps, une étude du Pew Research Center révélait que seule une minorité d’adultes étaient capables de différencier les faits des opinions. 

Estimant que ce manque de culture de l’information est une menace à la démocratie, la dpa souligne, à travers son projet, que l’éducation aux médias est plus qu’importante, pour donner aux jeunes certains éléments essentiels pour comprendre l’actualité et les médias, discerner une information fiable et débusquer les fake news

Quelles leçons le journalisme peut-il tirer de cette étude ?

  • Parce que leurs informations cohabitent avec d’autres contenus non-journalistiques sur les plateformes numériques, les journalistes doivent d'autant plus mettre le poids sur la pertinence quotidienne de leurs offres pour les adolescents et les jeunes adultes, en partageant de manière transparente leurs méthodes de travail pour fournir une information vérifiée et de qualité, qui les différencie d'autres acteurs sur les réseaux sociaux.
  • La plupart des adolescents s’intéressent aux contenus insolites ou drôles. Un moyen de véhiculer de l'information auprès de cette cible sera donc d'adapter non seulement les formats mais aussi la tonalité des contenus, et d'ajouter une touche d'humour, y compris dans l'information. Pour répondre à la critique formulée par le jeune public, suggérant que certains sujets qui ne les concernent pas sont omniprésents dans les médias, il serait pertinent de leur proposer des expériences plus personnalisées.
  • Il ne faut pas se méprendre sur cette cible jeune, qui est loin d'être uniforme. Si une petite partie est très active et visible sur les réseaux sociaux, il s'agira aussi de donner la parole à la Gen Z plus passive. Face à des contenus extrêmement polarisés sur les différentes plateformes, la Gen Z  recherche une information impartiale qui met l'accent sur les faits et sur des analyses approfondies d’événements d’actualité. C’est de cette manière, en partie, que le l'information journalistique pourra se distinguer d'autres contenus mis en avant sur les plateformes.
  • Enfin, il s'agira d'ajouter une nouvelle capacité dans le catalogue de compétences des journalistes s'ils veulent toucher la cible Gen Z : l'innovation.

 

 

Photo de couverture : Mahbod Akhzami via Unsplash