Évolution de la profession et attentes citoyennes : quels constats pour le journalisme français en 2021 ?

Par Chrystal Delfosse et Louise Faudeux, MediaLab de l'Information de France Télévisions 

Si les journalistes sont toujours perçus comme étant très utiles par 89% des Français en 2021, ils doivent faire face à de nouveaux défis. Le contexte inédit de la crise sanitaire ainsi que les enjeux sociétaux et environnementaux de plus en plus importants, doivent amener les journalistes, et les rédactions, à repenser leurs pratiques. 

Le baromètre social de la profession, basé sur la dernière enquête de Jean-Marie Charon et Adénora Pigeolat, ainsi que le baromètre ViaVoice, tous deux présentés lors de la 14ème édition des Assises Internationales du Journalisme de Tours, font le point sur la situation professionnelle des journalistes, ainsi que sur le traitement des questions d’actualité.

Qui sont les journalistes qui quittent la profession ?

Comme tous les ans, tel un “rituel des Assises”, le sociologue Jean-Marie Charon a présenté à Tours le baromètre social du journalisme pour l’année 2020. Cette année ne pouvait être qu’une année particulière, compte tenu de la crise sanitaire qui aura poussé les rédactions à repenser leurs méthodes de travail et les journalistes à questionner le sens de leur métier.

En résulte alors une nouvelle année de recul du nombre de journalistes en France. Depuis onze ans, ce chiffre a reculé de presque 10%, passant de 37.392 cartes de presse en 2009  - la période la plus élevée -, à 34.132 en 2020.

L’année a été particulièrement marquée par la baisse du nombre de journalistes entrant dans la profession, avec quasiment 40% de demandes de cartes de presse en moins par rapport à l’année précédente. Pour Jean-Marie Charon, cela témoigne d’un recul des ouvertures de postes.

Surtout, derrière ces chiffres se trouvent des journalistes de plus en plus nombreux à quitter la profession. Pour comprendre ce phénomène, Jean-Marie Charon a mené l’enquête avec Adénora Pigeolat, chercheuse à l'Université Le Havre - Normandie. Publiée le 30 septembre 2021, sous le titre “Hier journalistes, ils ont quitté la profession”, cette enquête s’intéresse au parcours de 55 journalistes en cours de reconversion.

Femmes, jeunes, et précaires

Ces départs peuvent résulter d’une charge de travail jugée trop importante, d’un désenchantement du métier, de phénomènes de harcèlement et aussi - et surtout - d’une précarité grandissante. Parmi les journalistes interrogés, nombreux sont ceux qui ont connu des périodes de précarité : chômage, piges, CDD, statuts non reconnus. Ces situations touchent un nombre grandissant de journalistes. En 2020, 27,6 % d’entre eux étaient en situation de précarité. 

Les femmes sont les premières concernées. Elles représentent deux tiers des journalistes quittant la profession. Leurs témoignages révèlent des situations similaires entre elles : harcèlement en interne et en externe, discrimination dans les salaires et les évolutions de carrière, précarité. Jean-Marie Charon souligne également la part importante de jeunes concernés par ces départs, près de la moitié ayant moins de 35 ans. Ces derniers mettent alors fin à leur carrière après, à peine, dix ans d’exercice. 

Dans leur enquête, les chercheurs donnent une place importante à la compréhension des burn-out. Ces épuisement professionnels liés au stress engendré par le travail sont de plus en plus fréquents chez les journalistes. Jean-Marie Charon les lie à l’évolution récente des organisations et aux nouvelles manières de travailler. La transformation numérique des entreprises de presse aurait dégradé les conditions de travail des journalistes, les poussant à travailler plus vite, à être polyvalents, alourdissant ainsi leur charge de travail.

Perception du traitement de la crise sanitaire dans les médias, un bilan mitigé

Tout comme l’année précédente, les Français sont partagés sur le traitement de l’information en lien avec l’urgence sanitaire. 60% d’entre eux estiment que la crise du Covid-19 a été traitée de façon trop importante dans les médias

D’une part, la fréquence et la tonalité utilisées ont fortement contribué à la mauvaise perception du traitement de l’information. La perception catastrophiste du traitement de la crise s’est alors renforcée depuis l’année précédente. 

De plus, après ces 18 mois de crise, les Français ressentent un sentiment d’inutilité de l’information avec plus d’un tiers des personnes interrogées qui estiment que ces infos ne leur sont pas utiles pour leur vie quotidienne.

Pour les mois à venir, la population attend donc majoritairement (50%) un journalisme de solutions, pour apprendre à se protéger de la maladie par exemple. La notion de véracité de l’information et d’expertise leur tient aussi à cœur, avec 48% d’entre eux qui souhaitent du fact-checking sur les informations qui circulent sur la pandémie, et 45% qui attendent des expertises de spécialistes sur les questions sanitaires.

Les Français veulent être mieux informés sur le changement climatique

Les enjeux climatiques devenant de plus en plus pressants, les Français sont en demande d’information sur ces questions. Même si 61% des Français se sentent suffisamment informés sur le changement climatique, seulement 11% se considèrent tout à fait informés sur le sujet. De l’autre côté, 35% d’entre eux considèrent ne pas être assez informés par les médias sur ce sujet.

Un véritable besoin d’information reste donc à combler. 53% des Français estiment que les médias ne donnent pas assez de place aux questions posées par le changement climatique, un pourcentage en hausse depuis le début de la crise sanitaire. En termes d’attente et de ligne éditoriale, le constat est relativement similaire à celui que l’on peut faire sur la pandémie : les Français trouvent le traitement journalistique du changement climatique trop anxiogène (35%), catastrophiste (33%) et moralisant (25%).  

Ces derniers sont ici encore en attente d’informations constructives proposant des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique (51%) et qu’elles fassent le sujet de vérification (42%).

Finalement, 58% des Français indiquent que s’ils connaissaient les engagements d’un média pour limiter son impact sur l'environnement, ils auraient tendance à le consommer davantage au détriment d’un autre moins respectueux de son empreinte écologique. Les médias auraient donc tout à gagner en adaptant leur ligne éditoriale (et leurs méthodes de production) aux changements climatiques.

La désinformation en temps de crise

Face à ces différents enjeux, les médias font alors face aux défis sous-jacents de la véracité de l’information. Six Français sur dix estiment que les journalistes ne sont pas suffisamment outillés, ou n’ont pas de culture scientifique suffisante, pour fournir des informations scientifiquement fiables. 

On appelle donc à un niveau d’expertise plus important pour les sujets traités avec une utilité jugée importante de la parole des experts par les Français (que ce soit pour l’urgence climatique à 77% et pour la crise sanitaire à 72%).

 

Le journalisme se trouve désormais face à un double défi : continuer à incarner l’institution de l’information qu’il représente aux yeux de l’opinion et proposer aux Français les outils nécessaires pour affronter les enjeux de demain. Cela peut passer par un changement de ton dans la présentation de l’information et par une meilleure écoute des besoins des citoyens. À travers les crises sanitaire et climatique, les Français ont manifesté leur intérêt pour un journalisme de solutions. Avec des rédactions qui doivent répondre à l'épuisement de la profession, un journalisme qui prend en compte les grandes questions sociétales pourrait aider à redonner du sens au métier et réconcilier les aspirations de la jeune génération de journalistes avec la réalité du métier.  

 

Crédit Photo de Une : Blake Cheek sur Unsplash