VivaTech 2023 : Implants neuronaux, 500 millions pour l'IA française et la "dividende du menteur”

Cette année, le grand salon de la tech européenne, VivaTech, a détrôné le CES de Las Vegas, notamment grâce à la présence d'Elon Musk, qui a fait de sa visite un événement. Méta-Media fait le point sur cette 7ème édition.

150 000 visiteurs à la Porte de Versailles, 405 00 visiteurs en ligne, 2 800 exposants. La 7ème édition de VivaTech a franchi un record d'affluence, dépassant désormais le CES de Las Vegas. Organisé par Publicis et les Echos, le grand salon de la tech européenne s'est tenu du 14 au 17 juin et a vu défiler Elon Musk, grande star de l'événement, Emmanuel Macron, ou encore Yann Le Cun, prix Turing et responsable de l'intelligence artificielle chez Meta. Retour sur cette édition très fournie.

Par Alexandra Klinnik et Myriam Hammad, MediaLab de l’information 

Elon Musk, la « rockstar » de VivaTech

Ce vendredi 16 juin, VivaTech a déroulé le tapis rouge au fantasque inventeur de Tesla, des satellites Starlink, et des fusées Space X. Reçu au sein du Dôme, une salle généralement réservée aux spectacles, Elon Musk a été acclamé par une foule conquise et accueilli par un Maurice Levy, très enthousiaste, et prêt à « poser les questions qui ne fâchent pas », selon François Saltiel. Le co-organisateur de VivaTech et Président du conseil de surveillance du groupe Publicis avait ainsi des allures de « chauffeur de salle d’une émission de télé et franchement c’était gênant », a ainsi estimé le journaliste Cyril Lacarrière sur France Inter.

Ici, pas de contradiction, ni de grandes annonces face au « défenseur autoproclamé de la liberté d’expression », connu pour être également un adepte des théories complotistes et un troll tout puissant aux 144 millions d’abonnés sur Twitter. Aucun journaliste n’a été convié sur scène. « On ne saura donc pas, par exemple, si Musk tient en laisse ses investissements en France pour faire plier l'Europe sur certains sujets. Ni si les actions judiciaires des salariés de Twitter, virés dans le mépris du droit du travail, ont avancé », remarque Geneviève Petit.

Quelques bribes d’informations ont été lâchées, au milieu de rires sardoniques. Elon Musk souhaite ainsi doter dès 2023 un être humain d’implants neuronaux de sa société Neuralink qui vient d’obtenir le feu vert pour débuter des tests aux Etats-Unis. « Plus tard, cette année nous ferons notre première implantation d’une puce chez l’humain, pour quelqu’un qui a une forme de tétraplégie », a-t-il expliqué.

The « Lord of Twitter » a également annoncé vouloir renforcer sa stratégie autour des annonceurs pour le réseau social à l’oiseau bleu. A la directrice numérique et marketing chez l’Oréal, Asmita Dubey, qui l’interpellait sur la diminution prochaine des revenus publicitaires cette année, Elon Musk a annoncé avoir mis en place une nouvelle équipe « comprenant parfaitement les attentes des annonceurs qui veulent que leurs publicités soient placées à côté de contenu qui leurs conviennent. Et pour certains contenus plus problématiques, il n’y aura pas de publicité ». L’arrivée de Linda Yaccarino, ancienne présidente en charge de la pub chez NBC Universal, en tant que CEO de Twitter, confirme par ailleurs l’importance de la publicité comme pilier financier du réseau.

D’après le journaliste Nicolas Thompson, la présence même d’Elon Musk à VivaTech, temple de la réclame et du marketing (tout comme le CES concurrent), organisé par Publicis, numéro deux du secteur mondial de la pub, témoigne d’une volonté de voir les annonceurs revenir sur la plateforme, après avoir cru pendant un temps au modèle par abonnement. « Il réalise que la publicité est la voie que Twitter doit suivre. Le modèle basé sur l’abonnement est extrêmement difficile à mettre en place », ajoute le directeur de The Atlantic.

Selon le milliardaire controversé, le boycott publicitaire de la part des annonceurs, serait d’ailleurs pratiquement terminé. « Presque tous les annonceurs ont déclaré être revenus ou qu’ils reviendront. Dans l’ensemble, je suis assez optimiste pour l’avenir », a-t-il déclaré. Mais Twitter a encore beaucoup de chemin à parcourir. « L’application est toujours truffée de contenus douteux, manque de personnel et n’a pas de proposition convaincante pour monétiser tout l’engagement des utilisateurs qu’elle a indéniablement », observe Digiday.

Emmanuel Macron : son plan d’investissement pour développer l’IA en France

« Comment consolider nos champions de l’IA ? On va continuer d’investir, beaucoup plus », a annoncé Emmanuel Macron.  Il s’agit d’entamer la « deuxième génération du plan IA », lancé en 2017 et doté de 1,5 milliard d’euros. En visite à VivaTech, Emmanuel Macron a ainsi annoncé 500 millions d’euros supplémentaires pour le développement de l’intelligence artificielle en France, dans le cadre du dispositif « IA-cluster ». « Nous devons faire émerger cinq à dix clusters pour avoir deux ou trois pôles d’excellence », au niveau mondial, et « créer des champions », a-t-il ainsi poursuivi.

L’objectif est de consolider des pôles de formation et de recherche d’excellence nationaux et leur conférer une envergure de leaders européens et internationaux. Le Président souhaite également développer des IA génératives, fondés sur des bases de données en langue française, les modèles actuels ayant « un biais anglo-saxon », a-t-il déploré. Un fond d’amorçage de 50 millions est alloué pour ce projet. Pour l’heure, la France mise sur ses startups pour croître rapidement. La startup française Mistral AI créé il y a seulement quatre semaines, a levé 105 millions d’euros pour financer l’entreprise.

Le jour-même de l’adoption de l’IA Act au Parlement européen, Emmanuel Macron a également souligné l’importance de réguler « sans brider l’innovation », tout en rappelant que « l’IA ne doit pas devenir une arme de destruction massive, il faut travailler avec les acteurs de maintenant, créer le bon cadre ». Pour le président, « le pire scénario serait une Europe qui investit beaucoup moins que les Américains et les Chinois et qui commencerait par créer de la régulation. Ce scénario est possible, ce ne serait pas celui que je soutiendrais », a-t-il estimé.

Pour le journaliste Nicolas Thompson, le type de règlementation choisi par les gouvernements aura un impact considérable sur l’avenir : « Y aura-t-il un petit nombre de grandes entreprises d’IA qui contrôlent la plupart des logiciels à la base des produits que nous utilisons ? Ou y aura-t-il de nombreuses entreprises et produits en source ouvertes à différents niveaux ? ». Le débat est ouvert.

Yann Le Cun, optimiste face à l’IA générative

« Nous aurons bientôt tous un assistant personnel basé sur l’IA », a affirmé Yann Le Cun, responsable de la recherche en intelligence artificielle chez Meta. Le père du deep learning et titulaire du Prix Turing en 2018 s’est montré très optimiste face à son interlocuteur, Jacques Attali, quant aux possibilités offertes par cette technologie. « L’IA est un amplificateur de l’intelligence humaine et lorsque les personnes sont plus intelligentes, de meilleures choses se produisent : elles sont plus productives, plus heureuses et l’économie prospère », a-t-il assuré, en pensant certainement à la nouvelle architecture d’intelligence artificielle de Meta, baptisée «Image Joint Embedding Predictive Architecture» (I-JEPA). Cette technologie de vision par ordinateur apprend en créant un modèle interne du monde extérieur, en comparant des représentations abstraites d’images, et «reflète mieux la façon dont les gens comprennent le monde» (selon Mark Zuckerberg).

 Les innovations présentes à VivaTech : entre IA, immersion et solutionnisme technologique

« IA de la joie dans l’industrie », telle était la devise de la Banque Publique d’Investissement (BPI) à Vivatech cette année alors que la France commençait à prendre part à la course mondiale à l’IA générative après l’annonce de Mistral de la levée de fonds de 105 millions d’euros pour bâtir une alternative à OpenAI (vaorisé 25 milliards de dollars et soutenu par Microsoft).

L’IA était affichée sur de nombreux stands d’exposition, et comme à son habitude, le salon était l’occasion pour de nombreux groupes et startups de faire découvrir au grand public, les développements technologiques de l’année, mais aussi les derniers partenariats noués. Au sein de son “Food & Retail Park” Carrefour présentait la puissance de son Data lake qui permet d’afficher les données sur les produits de manière très visuelle (illustration du produit, nombre d’unités vendues par magasin, prix etc..) et dont la solution s’appuie sur le cloud de Google. Le groupe faisait aussi découvrir Hopla, un agent conversationnel (toujours en phase de test) basé sur ChatGPT, qui permet d’associer des idées de menus à des listes de course, pour ensuite passer au paiement des produits. 

Les nouvelles technologies s’illustrent particulièrement à travers le secteur du luxe qui multiplie les expériences virtuelles, aussi bien dans les process que dans la relation client et qui montrent aussi les changements stratégiques de certains acteurs. Tmall ouvrait aux participants son “pavillon de luxe” - Tmall Luxury Pavilion - qui regroupe des grandes marques de luxe - celles-ci peuvent se servir des technologies et des données d’Alibaba pour personnaliser le contenu éditorial et proposer des expériences en ligne de boutiques 3D. VivaTech aura été l’occasion pour le groupe, d’annoncer le développement de Tmall sur le continent européen ainsi que la présentation via Cainio, de ses robots autonomes, les plus grands à ce jour existants au monde.

D’autres dispositifs immersifs, à l’instar de celui développé par l’opérateur Verizon à travers l'innovation BlueJeans, dessinent les contours du monde du retail de demain : une cabine holographique permettant de connecter près de 150 000 personnes au même moment. Ses usages peuvent être nombreux : en passant d’un mannequin présentant une tenue complète, au détail très précis des vêtements, mais aussi simplement pour faire passer un message à l’ensemble de son entreprise si l’on est à la tête d’un grand groupe, amorçant ainsi les visio-conférences de demain.

@Proto

Plusieurs acteurs ont aussi fait la démonstration de nouvelles technologies au service de la protection de nos ressources planétaires. La startup Quatrevingt Treize propose une hydrolienne houlomotrice en matériaux biosourcés - autrement dit des hydroliennes de type “île artificielle” pour produire de l’énergie à partir de la force des courants existants en eau douce et en haute mer. La société Notpia quant à elle, propose des emballages biodégradables en deux semaines, conçus à partir d’algues.

Point sur l’utilisation de nos données : notre vie privée existe-t-elle encore ?

Si VivaTech est un salon de déploiement de la technologie, les différentes conférences proposées invitent aussi les visiteurs et les panélistes à s’interroger sur ses usages. Nia Castelly (Legal Lead, Google),  Andy Yen (Proton) et Clara Hainsdorf (White & Case LLP) partageaient l’une des scènes pour évoquer les enjeux liés à notre sécurité, interrogés par Julia Sieger (France 24). Dans un monde où nous évoluons de plus en plus à travers les réseaux sociaux, où nous partageons des détails de nos vies et où les codes entre espaces publics et privés ont pu se confondre au cours de la pandémie, il apparaît important de se demander quelles pratiques adopter en tant qu’utilisateurs, mais aussi quelles responsabilités émergent du côté des fournisseurs technologiques et des plateformes. 

Pour Andy Yen, nous sommes déjà dans des univers “où nous n’avons pas vraiment le choix”, en démontrant le fait qu’il pouvait être ironique de renoncer à Facebook pour rejoindre TikTok par exemple. Pour lui, ces deux plateformes utilisent nos données pour créer de puissants modèles économiques autour de la publicité ciblée. Si l’on veut ainsi changer la façon dont celles-ci sont utilisées, il s’agit du côté utilisateurs de reprendre le pouvoir en renonçant à l’utilisation de ces outils et en appelant à plus de transparence auprès des actionnaires.Notre vie privée existe si on souhaite qu’elle existe. Ce constat appelle aussi des réactions en lien avec la régulation qui s’applique aux réseaux sociaux. Pour faire exister notre vie privée, ou la protéger, faut-il encore connaître l’utilisation qui est faite de nos données, et savoir comment les protéger. Or, si une partie de l’action peut reposer sur le pouvoir des consommateurs, il s’agit aussi d’agir au niveau des géants de la tech, comme le souligne Clara Hainsdorf. 

A ce jour, les outils de protection les plus aboutis sont le RGPD en Europe et la protection de l’intime à travers les droits fondamentaux. L’ANSSI, en France a récemment établi des standards pour éviter que les données issues du sol européen ne soient accessibles depuis un autre continent. Une initiative saluée par Nia Castelly, qui explique qu’en Californie, il existe des règles similaires (à l’instar du CCPA) et que les consommateurs seraient de plus en plus vigilants. Mais ces régulations sont-elles suffisantes et peuvent-elles être universelles ? Comment éviter le choix qui s’impose aux utilisateurs de payer en argent pour des services en ligne, ou bien de “payer” avec leurs données personnelles ? A ces questions, le débat est resté ouvert, en évoquant les solutions freemium, ou bien encore les possibilités de tester et développer des outils avec des données tests. Un équilibre qui semble encore à trouver entre innovation, régulation, éthique et développement économique.

Le rôle des médias à l’ère de l’IA générative

A l’heure où tous les regards étaient tournés vers Elon Musk et ses implants cérébraux, se tenait une conférence sur l’éducation aux médias à l’ère de l’IA, en présence de Claire Leibowicz (Partnership on AI), Charlie Beckett (LSE)  et Sonja Solomun (McGill University Centre for Media). C’est bien la désinformation qui était au cœur de leurs échanges. Comme le soulignait Sonja Solomun, celle-ci produit les mêmes effets sur le cerveau que la cocaïne : la première fois, elle agite, mais à plus long terme, elle altère considérablement et de manière irréversible les capacités à émettre des jugements critiques. Qui, alors, pour prendre la responsabilité de ce qui est produit par IA puis diffusé sur les plateformes ? Et comment “éduquer” les citoyens ?

Une des inquiétudes pointée par Claire Leibowicz est celle de la “dividende du menteur”. En effet, dans un monde où chacun peut générer de plus en plus facilement du contenu par IA, puis le  diffuser et atteindre une audience importante sur les réseaux sociaux, s’ouvre le fait, pour chaque utilisateur d’être confronté à un environnement digital qui soit saturé de (fausses) informations. Or de récentes études ( Chesney & Citron, 2018) ont montré que cet effet pouvait en réalité servir à des fins politiques mensongères et participait de manière manifeste à accentuer la défiance envers les médias.  Sonja Solomun expliquait ainsi que durant le covid-19, les individus au Canada qui avaient été le plus exposés à la désinformation étaient aussi ceux qui avaient le moins suivi les recommandations officielles.

Pour faire face à ce phénomène, qui demeure particulièrement difficile à mesurer, il s’agirait ainsi de se demander : “comment faire en sorte que les individus fassent confiance aux médias ?” Les premières pistes avancées sont celles de la génération de label “fait par IA” ou de la détection de contenus générés par IA, mais une réflexion de fond doit s’engager sur ce que cela signifie aujourd’hui de vérifier les sources et de les rendre accessibles et transparentes. Il faut ainsi regarder du côté des plateformes, envisager leurs changements et en créer de nouvelles.

Une position partagée par Charlie Beckett qui accueille avec plaisir les outils qui permettent de détecter le contenu généré par intelligence artificielle mais qui appelle aussi à la prudence en expliquant que l’idée universelle de vouloir éradiquer l’information fausse est dangereuse. “Les individus ne sont pas rationnels et partagent parfois du contenu non pas parce qu’il est vrai, mais parce qu’il interroge ou qu’il est drôle”. Il s’agit donc de mesurer les exigences pour chacun des acteurs qui participent à la chaîne d’information. Les experts souhaiteraient une concertation avec plusieurs niveaux d'institutions : les médias, les services publics, les constructeurs de ces intelligences artificielles et les utilisateurs. Claire Leibowicz rappelait ainsi que s’il y a quatre ans la doxa était de ne pas paniquer avec l’IA et de se préparer, l’injonction aujourd’hui est celle d’agir, de passer à l’action, et urgemment !

Cette année encore, le salon VivaTech a regorgé d'interventions et d'innovations, tout en laissant ouvert - et parfois en supens - de grands sujets de société liés aux technologies : leurs modèles économiques, leur transparence, nos données personnelles et la nécessité de trouver le "bon point" de régulation.