Kelsey Russel, le nouveau visage de l’influenceuse info sur TikTok

Kelsey Russel, 23 ans, est étudiante en sociologie à Columbia - et pendant son temps libre, elle lit le journal à ses 90 000 abonnés sur TikTok. Armée d’un surligneur, elle décrypte l’actualité avec son regard et sa compréhension des événements. De manière très décomplexée, elle n’hésite pas à exprimer sa surprise, son désaccord ou parfois son incompréhension face à un jargon trop technique et une actualité chaotique. Du conflit israélo-palestinien aux troubles dissociatifs de l’identité en passant par la politique de son pays vis-à-vis de l’Equateur, elle s’empare de l’actu, même la moins glamour.

Nombreux sont les internautes qui témoignent de l’intérêt qu’elle a fait naître en eux pour la presse papier : « C'est tellement rafraîchissant de lire le journal » ou les journalistes qui la remercient pour son travail : « Nous tous, professionnels des médias, essayons de comprendre comment amener les gens à s'intéresser à l'actualité et elle vient de sauver le journalisme dans une vidéo de 30 secondes ». Source d’inspiration pour les journalistes de The Verge, elle a également été invitée à visiter les locaux du New York Times, et reçoit gratuitement des exemplaires du Washington Post. Nouveau visage de l’influence de l’info, elle réconcilie les supports médias traditionnels avec la Gen Z. Interview.

Par Aude Nevo du MediaLab de l'Information de France Télévisions

Comment avez-vous commencé à créer du contenu autour de l'actualité sur TikTok ?

J’ai commencé à m’y intéresser à mes 23 ans lorsque j’ai reçu en cadeau un abonnement au New York Times. J’avais besoin de connaître davantage le contexte et les événements dans lesquels j’évolue pour participer aux conversations en toute confiance. A l’époque, je ne suivais pas beaucoup les informations. Alors j'ai décidé de revenir à la manière dont je consommais les news enfant, en lisant le journal avec mon père. J'habite également à New York, une ville très dépendante des transports en commun, où il faut toujours avoir un livre, un journal ou un magazine avec soi. Tous ces éléments m’ont motivé à demander un abonnement au New York Times.

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Vous avez opté pour une approche singulière en intégrant des supports médias traditionnels, tels que les journaux papier, sur la plateforme TikTok. Quelles ont été vos motivations et quel impact pensez-vous que cela puisse avoir sur l'intérêt des jeunes ?

Ce qui m'a conduit à choisir TikTok, c'est sa popularité au sein de ma génération. L'idée d'introduire des médias traditionnels sur cette plateforme m'est apparue comme une démarche naturelle afin de créer un pont entre l’information et les jeunes. En outre, je considère qu’il s’agit d’une manière de changer la perception négative de l’application parmi ceux qui ne l’utilisent pas. Montrer que la Gen Z peut et veut également l’utiliser pour s’informer.

Selon le Reuters Institute, 36% des personnes évitent l’actualité considérée trop anxiogène. Au contraire, vous affirmez qu’il s’agit d’un moyen de lutter contre votre anxiété. Comment trouvez-vous votre équilibre face à la violence des informations ?

Personnellement, ce n'est pas l'information que je consomme qui me rend anxieuse, c'est la manière dont je la consomme. Par exemple, si je lis un article sur mon téléphone, je le lis sur un appareil qui me rend déjà anxieuse de bien d'autres manières, que cela soit en me comparant à d'autres personnes sur les réseaux sociaux ou en étant bombardée d'appels et de messages. Le téléphone n'est pas un endroit paisible. Au contraire quand je lis le journal, j'ai beaucoup plus de contrôle sur mon anxiété car le journal en lui-même ne me cause aucune anxiété. Je peux le lire dans une safe place, que cela soit mon salon ou en plein air. Cela me rend moins anxieuse parce que j'ai simplement plus de contrôle sur ce que je lis.

Mais n'y a-t-il pas un paradoxe à lire la presse écrite sur TikTok, une plateforme qui contribue à la surstimulation dont vous parlez ?

Absolument, c'est un paradoxe. Cependant, le dispositif peut avoir un effet bénéfique et j'espère être très claire dans mon message : mon objectif est d'utiliser TikTok comme un pont pour montrer aux jeunes la réalité des actualités. Cela dit, je ne me considère pas comme une autorité en matière d'actualités et je le précise sur mon compte. Je ne suis pas journaliste. Je partage simplement avec les gens ce que j'ai trouvé dans les médias imprimés et j'espère les inciter à trouver la forme de média imprimé qui les met à l'aise. J'ai reçu plusieurs messages d’abonnés comme :« Je viens de souscrire à un abonnement de journal» ou «Je viens d'acheter ce magazine».

@kelscruss we're doing themes every week, it's all about love🥰 #fyp #newyorktimes #nytimes #fatphobia #modernlove #fatcouple #fattok ♬ original sound - kelsey russell🤎

Pensez-vous que les médias traditionnels ne sont pas assez accessibles et trop techniques ? Comment faites-vous pour attirer les jeunes ?

Je pense que ce qui attire les gens, c'est que je suis jeune, que je m'exprime de manière simple. J'intègre le jargon de ma génération. Il m’arrive d’admettre que certains éléments m’échappent. Il s’agit d’une combinaison : je vais à la rencontre des jeunes là où ils sont, tout en restant authentique. Ce qui fait défaut aux médias, ce sont des voix plus jeunes, des personnes qui parlent le langage de la génération qu'elles cherchent à toucher. En plus de l'importance d'être compréhensible et accessible, il faut aller les chercher sur une plateforme qu’ils utilisent. Il y a un réel besoin pour les jeunes de discuter des événements mondiaux dans des termes qui résonnent avec leur génération.

Beaucoup de jeunes semblent préférer obtenir des nouvelles auprès d'influenceurs plutôt que des médias traditionnels. À votre avis, pourquoi ce changement se produit-il, et comment les médias traditionnels peuvent-ils s'adapter pour rester pertinents ?

Les médias traditionnels peuvent rester pertinents en laissant de la place aux voix et aux journalistes jeunes. Par exemple, je reçois un journal qui vient d'une certaine partie du Texas. Dans ce journal, ils incluent des articles d'élèves du secondaire. Il s’agit selon moi d’un excellent moyen de rencontrer les jeunes. Si vous voulez qu'ils lisent des médias traditionnels, mettez-les dans des médias traditionnels. Un jeune de 16 ans sera toujours le mieux placé pour dire ce que cela fait d'avoir 16 ans en ce moment. De nombreux articles abordent l'impact des réseaux sociaux sur l'anxiété. Ils citent des sources fiables telles que des psychiatres ou des psychologues qui étudient ce phénomène depuis des années, ce qui est essentiel. Cependant, la voix primordiale à mettre en avant reste celle du jeune de 16 ans qui vit cette anxiété. Les médias traditionnels devraient également tenter de rencontrer les jeunes là où ils sont plutôt que d’attendre qu’ils viennent à eux. Je me demande toujours, par exemple, pourquoi le New York Times n'envoie pas ses journalistes parler devant des classes de collèges newyorkais.

Comment trouver le bon dosage pour rendre les nouvelles divertissantes tout en s’assurant que le public reçoive les informations nécessaires ?

D’abord, je ne partage que les articles qui suscitent mon intérêt. Ensuite, je les rends divertissants lorsque je fais des blagues et que je dis des choses comme "Je n'ai vraiment aucune idée de ce que cela signifie", et que je me montre en train de le chercher. Je parle également beaucoup avec mes mains, ce qui donne l’impression aux gens d’être en visio avec moi. Enfin, j'essaie toujours d'intégrer mon expérience personnelle. Par exemple, je viens de faire une vidéo sur l'Arizona et sur la manière dont l'Arabie saoudite pompe beaucoup d'eau souterraine de l'Arizona pour l'acheminer vers des fermes qu'ils possèdent aux États-Unis. J'ai parlé au début de la vidéo de la façon dont je venais de quitter l'Arizona il y a un mois pour une fête d'anniversaire et les problèmes liés à l’eau que j’ai pu moi-même expérimenter là-bas.

@kelscruss Arizona and Saudi Arabia go waaaaaay back🤞🏾 #fyp #highcountrynews #arizona #saudiarabiatiktok #landgrantuniversity #publiceducation #universityofarizona #morrillact #hatchact #manifestdestiny #nataliekoch #aridempire ♬ original sound - kelsey russell🤎

À l’approche de 2024, comment imaginez-vous l'avenir du journalisme, surtout dans le contexte des influenceurs dans l'évolution du paysage médiatique ? Et comment vous situez-vous dans ce paysage ? Des projets futurs, par exemple ?

Je travaille sur un podcast, qui repose sur des conversations avec mes anciens enseignants. Je faciliterai également des conversations entre d’autres anciens élèves et leurs professeurs. Pour ce qui est de l’avenir du journalisme pour les jeunes, je le vois comme excitant, accueillant et plus orienté vers la communauté. J'aime toujours dire des choses positives en regardant vers l'avenir. Je le vois comme excitant parce que plus la jeune génération grandit, plus sa voix sera amplifiée.

Pour les personnes intéressées à emprunter un chemin similaire au vôtre, quel conseil leur donneriez-vous pour devenir des influenceurs de l’info sérieux, sans compromettre l'intégrité journalistique ?

D’abord, vous devez dire que vous n'êtes pas un journaliste. Vous n’en avez pas eu la formation ni appris les techniques. Vous êtes un influenceur. Si vous voulez être un influenceur sur l’actualité, honnêteté et intégrité sont les mots d’ordre. Des valeurs d’ailleurs défendues par les journalistes. Parlez de ce que vous savez et recherchez ce que vous ne savez pas. Et aussi, si vous approchez des journalistes, demandez-leur à quoi ressemble leur quotidien pour comprendre à quel point il diffère du travail que vous faites.