Liens vagabonds : « Your Brain on ChatGPT », vérité scientifique ou emballement médiatique ?

ChatGPT rendrait-il bête par nature ? « Nous n’avons jamais conclu que les LLM rendaient nos sujets “stupides”… Nous avons trouvé d’autres choses. Lisez l’étude », rétorque Nataliya Kosmyna, co-auteure d’une étude de 206 pages réalisée par le MIT (pour ceux qui veulent lire plutôt que liker : voici le lien vers le texte à l’origine du débat). Pourtant, dès la publication de ce préprint, les médias ont multiplié les titres alarmistes : « Comment ChatGPT grille notre cerveau », « ChatGPT est-il en train de casser le cerveau humain ?» . L’étude « Your Brain on ChatGPT » s’intéresse aux effets cognitifs liés à l’utilisation du célèbre chatbot et d’outils similaires, notamment sur la mémoire, l’attention et la créativité.
L’étude en question
Une cinquantaine d’étudiants de Boston ont été réunis en plusieurs groupes, invités à rédiger un essai sur des questions types comme « Nos réussites doivent-elles bénéficier aux autres pour nous rendre réellement heureux ? » : un groupe avec leur cerveau comme seule arme, un autre avec Google, et un dernier avec ChatGPT. Résultat : les utilisateurs d’IA affichaient une activité cérébrale plus faible, une moindre mémorisation et peu de sentiment d’appropriation. 80 % d’entre eux étaient incapables de citer leur propre rédaction. Ce constat illustre ce que Nataliya Kosmyna appelle le « coût cognitif » de l’externalisation des tâches intellectuelles à l’intelligence artificielle. Autre point notable : les textes produits via l’IA avaient tendance à converger vers des mots et idées similaires, réduisant la diversité créative (un phénomène déjà mis en lumière par d’autres recherches, comme le Human–Generative AI Collaboration Experiment mené par BCG).
Pas de mention de “brain rot”
Malgré ces observations, l’étude ne parle ni de « pourriture cognitive » ni de « stupidité », insiste Nataliya Kosmyna, visiblement exaspérée par les raccourcis médiatiques : « En effet, nous n’avons jamais utilisé des termes comme « cerveau pourri » ou « stupide », mais malheureusement, beaucoup de médias et de résumés générés par l’IA s’en emparent. Merci également de souligner qu’il s’agit d’un préprint ainsi que les éléments concernant l’échantillon de population et la tâche ! Pour rappel à tout le monde, nous avons aussi une section Limites très détaillée ! » L’équipe n’a pas promu cette étude devenue virale sans leur intervention. L’auteure principale explique avoir publié ce préprint par crainte que des décideurs politiques poussent un usage précoce de l’IA, notamment chez les jeunes enfants : « Je crains que dans 6 à 8 mois, un décideur dise : “Faisons une maternelle avec GPT.” Ce serait vraiment mauvais et préjudiciable. Les cerveaux en développement sont à leur plus haut niveau de risque. »
Une reprise à l’aide d’outils IA
Ironie du sort, de nombreux articles ont résumé cette étude sans même la lire, souvent à l’aide d’outils d’IA. Steffie Kieffer, experte IA, s’en désole : « Sommes-nous tombés si bas ? Une étude sur le fait que l’IA nous rend intellectuellement paresseux devient virale… parce que l’IA facilite son partage sans lecture préalable. » Nataliya Kosmyna s’y attendait : elle a intégré des « pièges » dans le papier, comme des instructions demandant à l’IA de ne lire qu’un tableau spécifique, limitant ainsi la pertinence des résumés générés. Résultat : de nombreux résumés générés par IA ont été incomplets ou biaisés. Audrey Henson, experte en technologies créatives, analyse : « Nataliya Kosmyna du MIT Media Lab a non seulement dirigé une étude sur le délestage cognitif, mais elle l’a aussi conçue pour délester activement votre cognition en temps réel. Entre des pièges intégrés via des modèles de langage et des indices de priorisation délibérément trompeurs, l’article a été structuré pour être mal interprété — à la fois par des machines et des humains. Et la plupart d’entre nous sont tombés dedans à pieds joints »
L’étude a piégé beaucoup de monde, mais pas de manière malveillante, poursuit l’experte : « à mon avis, elle l’a fait pour montrer à quel point il est facile de se faire piéger. Ce faisant, elle a offert l’un des avertissements les plus clairs et intelligents à ce jour sur la manière dont l’IA affecte notre cognition — pas seulement en théorie, mais dans l’érosion subtile et quotidienne de notre attention, de notre appropriation des idées et de notre mémoire. » L’étude met en évidence le « coût cognitif » associé à un usage passif de l’IA. Il ne s’agit pas de dire que ChatGPT « rend idiot », mais de souligner les risques liés à une délégation totale de la réflexion, sans implication intellectuelle de l’utilisateur au préalable. À l’heure où, selon le rapport 2025 du Forum économique mondial sur l’avenir des emplois, les compétences les plus recherchées d’ici 2030 seront la pensée analytique, la résilience et la créativité — précisément celles que l’étude montre comme vulnérables face à une dépendance excessive à l’IA. Mal dosée, l’IA ne décuple pas notre potentiel — elle l’érode…
CETTE SEMAINE EN FRANCE
- Panne à France Télévisions : le groupe évoque un «acte de malveillance» et porte plainte (Le Figaro)
- Pub, réglementation : les recettes de l’audiovisuel tricolore pour mieux rivaliser avec les Gafam (Les Echos)
- Radio France : la suppression du plafond publicitaire fait hurler les radios privées (Les Echos)
3 CHIFFRES
- D’après une étude du Pew Research Center fondée sur des données Ipsos de mars 2025, 58 % des Américains interrogés ont consulté une page de résultats contenant un résumé généré par l’IA, et 13 % ont visité un site lié à un chatbot, un générateur d’images ou un autre outil d’IA générative.
- Selon Ampere Analysis, le nouvel accord permettant à Canal+ de proposer Netflix à ses abonnés en Afrique subsaharienne pourrait permettre à la plateforme de gagner 8,2 millions d’abonnés supplémentaires.
- De nouvelles prévisions d’Accenture indiquent que les émissions de carbone des centres de données liés à l’IA pourraient être multipliées par 11 au cours de la décennie, représentant 3,4 % des émissions mondiales totales de CO₂ d’ici 2030 dans le scénario de base.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE
La plupart du temps, les Américains qui rencontrent des paywalls essaient d’abord de trouver l’information ailleurs

Source : Pew Research Center
NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ
- Le fossé mondial de l’intelligence artificielle (The New York Times)

- Bien utiliser l’IA dès maintenant : petit guide express (One Useful Thing)
- Substack ne l’avait pas vu venir (AMC All The Time)
DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION
- Taxation mondiale des multinationales : Trump impose au reste du monde l’exemption des entreprises américaines (Le Monde)
- La fin de l’édition telle que nous la connaissions (The Atlantic)
- Des cadres d’Apple auraient discuté en interne du rachat de la start-up d’IA Perplexity (Bloomberg)
- Ce photographe utilise l’IA pour reconstruire des récits effacés par la censure (The Verge)
- AI at Work, le dernier rapport du BCG : « Le Sud global affiche de nouveau un taux d’adoption de l’IA plus élevé. L’Inde est en tête avec 92 % d’utilisateurs réguliers » (BCG)
DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION
- Trump menace de poursuivre The Times et CNN à propos de leur couverture sur l’Iran (New York Times)
LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION
- YouTube contre-attaque face au projet d’interdire les réseaux sociaux aux moins de 16 ans en Australie (The Guardian)
- Un juge donne raison à une entreprise d’IA sur l’utilisation de livres protégés par le droit d’auteur (BBC)
- Gmail : la CNIL menace Google d’une amende record (Les Echos)
- Le Danemark va accorder aux citoyens des droits d’auteur sur leur propre image et leur voix afin de lutter contre les deepfakes générés par l’IA (New York Post)
JOURNALISME
- Ce qu’il faut pour poursuivre OpenAI en tant qu’association de journalisme à but non lucratif (NiemanLab)
- Anna Wintour quitte son poste de rédactrice en chef de Vogue Amérique (Wall Street Journal)
- Le Washington Post demandera à certaines sources d’annoter ses articles (The Washington Post)
- La BBC confirme le lancement de son offre numérique payante pour le public américain (Financial Times)
STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS
- Netflix devrait adopter la vidéo courte et concurrencer YouTube, selon un analyste de Wall Street
ENVIRONNEMENT
- Une nouvelle étude révèle la trajectoire des émissions de l’IA — et comment infléchir la courbe (Axios)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS
- Ceux qui modèrent vos fils TikTok commencent à relever la tête (Rest of World)
- Les gangs en Colombie recrutent des enfants via TikTok et Facebook, alerte l’ONU (The Guardian)
STREAMING, OTT, SVOD
- La bataille de l’information grand public s’invite sur YouTube : comment se comparent Fox News, CNN et MSNBC (The Wrap)

Capture d’écran The Wrap
- Neal Mohan de YouTube répond sèchement à la pique du PDG de Netflix sur le “temps à tuer” (Adweek)
AUDIO, PODCAST, BORNES
- Le programme de podcasts vidéo de Spotify reçoit des éloges de la part des créateurs — et du scepticisme de la part des chaînes (Digiday)
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION
- Comment l’IA s’est immiscée dans le monde du parfum (The Verge)
- Baromètre de l’engouement pour l’IA : les jouets dopés à l’intelligence artificielle arrivent (MIT Tech Review)
- Alors que l’IA réduit le trafic de recherche, Google lance Offerwall pour augmenter les revenus des éditeurs (TechCrunch)
- Le NYT a recensé les nombreux contenus générés par IA qui déstabilisent les processus électoraux partout à travers le monde (New York Times)
MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ
- Peu d’Américains paient pour accéder aux actualités lorsqu’ils rencontrent des paywalls (Pew Research Center)
- Une publicité vidéo générée par l’IA fait sensation : serait-ce l’avenir de la pub ? (NPR)
Kalshi hired me to make the most unhinged NBA Finals commercial possible.
— PJ Ace (@PJaccetturo) June 11, 2025
Network TV actually approved this GTA-style madness 🤣
High-dopamine Veo 3 videos will be the ad trend of 2025.
Here’s how I made it in just TWO DAYS 👇🏼 (Prompt included)pic.twitter.com/XcT3m7CROL
Par Kati Bremme, Alexandra Klinnik et Océane Ansah