L’information à l’ère des créateurs : “fragmentée et chaotique”

Le Reuters Institute publie un nouveau rapport, “Mapping News Creators & Influencers in Social and Video Networks”, qui analyse l’audience et l’influence des news creators et des influenceurs par rapport aux médias traditionnels. C’est-à-dire un espace “en constante évolution et, par nature, un peu flou”.

Par Alexandra Klinnik, MediaLab de l’Information de France Télévisions

Sur les réseaux sociaux et les plateformes vidéo, les créateurs d’actualités et les influenceurs s’imposent face aux médias traditionnels. D’après le Reuters Institute Digital News Report, ces news creators attirent souvent davantage l’attention des publics en ligne. Le Pew Research Center note que 21 % des adultes américains, et plus d’un tiers des moins de 30 ans, s’informent désormais directement auprès d’eux. Leur force ? Leur capacité à rendre l’actualité plus accessible et à mieux faire comprendre les événements et les enjeux civiques. L’étude réalise un tour d’horizon de ce “monde bruyant et difficile à définir”, en se concentrant sur les news creators, “ce segment encore peu étudié et souvent mal compris”. L’objectif : comprendre où, et surtout comment, les audiences concentrent leur attention sur les réseaux sociaux.

1. Les créateurs ont moins d’impact en Europe qu’ailleurs 

Les news creators occupent une place importante au Brésil, au Mexique, en Indonésie, aux Philippines, en Thaïlande, ainsi qu’aux États-Unis, au Nigeria, au Kenya et en Afrique du Sud. Dans ces pays, les internautes déclarent accorder plus d’attention aux créateurs et influenceurs qu’aux marques de presse traditionnelles et à leurs journalistes lorsqu’ils naviguent sur les réseaux sociaux.

À l’inverse, en Europe du Nord et au Japon, l’impact des news creators reste beaucoup plus limité : les médias traditionnels y captent davantage l’attention. Ainsi, l’attention portée aux news creators est quinze fois plus élevée au Kenya qu’aux Pays-Bas. En France, Hugo Travers a reçu l’un des plus grands nombres de mentions pour un individu dans cette étude. Il est suivi par plus de 15 millions de personnes. Parmi les autres news creators les plus cités, on retrouve Salomé Saqué, Hugo Clément, Gaetan Gabriele ou encore Camille Aumont Carnel. 

L’attention portée aux news creators est quinze fois plus élevée au Kenya qu’aux Pays-Bas.

Cette variation s’explique par des différences culturelles, la taille du marché et la puissance ou la faiblesse des médias traditionnels. « Il existe un ensemble de pays où les médias traditionnels sont sous pression et où l’usage des réseaux sociaux est élevé, dans lesquels les news creators ont un impact significatif et où quelques individus atteignent un nombre important de personnes », écrivent les auteurs du rapport. « À l’autre extrémité, nous trouvons des pays avec des marques fortes et un usage plus faible des réseaux sociaux (principalement en Europe du Nord et de l’Ouest), où les news creators réussissant sont l’exception plutôt que la règle. »

2. La majorité des créateurs reste dans l’ombre

Atteindre des millions de personnes n’est pas automatique”, constate le rapport. À l’instar des médias traditionnels, seuls quelques news creators se distinguent réellement par leur visibilité. Certains atteignent des audiences colossales, cumulant plusieurs millions d’abonnés sur différentes plateformes. Parmi eux figurent des commentateurs américains comme Joe Rogan (20 millions de followers sur YouTube) ou Tucker Carlson, des “infotainers” tels que Leo Dias (19 millions de followers sur Instagram) au Brésil, ou encore des “explainers” comme Dylan Page (17,5 millions de followers sur TikTok) au Royaume-Uni.

Dans les pays au marché plus restreint, même les créateurs les plus suivis ont rarement plus d’un million d’abonnés sur une seule plateforme.

Pour autant, ces succès restent l’exception. La majorité des créateurs se situe dans la « longue traîne » : ils connaissent parfois des pics de popularité, mais leur visibilité retombe rapidement. Dans les pays au marché plus restreint, même les créateurs les plus suivis ont rarement plus d’un million d’abonnés sur une seule plateforme, et leurs vidéos dépassent en moyenne seulement quelques dizaines de milliers de vues.

3. Une consommation principalement nationale, mais des créateurs à portée internationale

La plupart des internautes suivent surtout des créateurs de leur propre pays. Pourtant, certains profils dépassent ces frontières, en particulier dans les marchés anglophones. Des commentateurs américains comme Joe Rogan, Tucker Carlson ou Ben Shapiro trouvent un large public dans certains pays européens anglophones, en Australie, au Canada, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, révélant l’influence de la droite américaine à l’international. “Même si ces personnalités américaines figurent encore largement dans nos listes de tête dans ces pays, les chiffres restent relativement faibles”, nuance le Reuters Institute. 

Certaines personnalités jouissent d’une audience mondiale. Elon Musk est cité dans les 24 pays étudiés, grâce à son contrôle de la plateforme X et à ses 225 millions d’abonnés, et Donald Trump bénéficie également d’une large visibilité. Andrew Tate, “misogyne autoproclamé, est mentionné dans la moitié des pays, avec une audience plus restreinte mais engagée.

D’autres créateurs, comme le spécialiste du football et des transferts Fabrizio Romano, attirent des fans passionnés aux quatre coins du monde, de l’Afrique du Sud à la Norvège. Ces exemples montrent que, même si la consommation reste majoritairement nationale, certains créateurs parviennent à fédérer des communautés autour de leurs contenus.

4. (Presque) que des hommes devant “de très gros micros”

Sur les réseaux sociaux et plateformes vidéo, les news creators restent majoritairement des hommes. Dans 24 pays étudiés, 85 % des 15 personnalités les plus citées sont masculines. Au Canada, le top 15 est entièrement masculin, tandis qu’aux Philippines, les femmes représentent une majorité (54 %) dans le classement, la proportion d’hommes tombant à 46 %.

Le commentaire politique, en particulier, reste un bastion masculin, avec “des animateurs s’adressant souvent à un public masculin devant de gros micros”. Cette dominance se reflète dans l’audience, majoritairement masculine. En revanche, les contenus lifestyle attirent davantage de créatrices et un public féminin, à l’image de la Brésilienne Virginia Fonseca.

L’âge joue aussi un rôle : les moins de 35 ans privilégient les créateurs d’actualité (48 %) plutôt que les médias traditionnels (41 %), tandis que les 35 ans et plus continuent de suivre les médias traditionnels (44 %) plutôt que les créateurs (35 %).

5. YouTube, terrain de jeu privilégié des news creators 

Si Facebook conserve une place importante pour l’accès à l’information, ce sont surtout les plateformes vidéo et celles fréquentées par les jeunes qui s’imposent comme les principaux terrains pour les créateurs de contenu. Au Royaume-Uni, par exemple, les médias traditionnels conservent une audience significative sur Facebook et X, mais les news creators obtiennent de meilleurs résultats sur YouTube et d’autres réseaux. Les organisations de presse peinent particulièrement à capter l’attention sur TikTok et Instagram, qui favorisent le contenu court et visuel.

Les usages varient cependant selon les pays. En Asie (Thaïlande, Philippines) et en Afrique (Kenya), Facebook reste un canal majeur pour l’actualité, tandis que X et YouTube dominent globalement pour les commentateurs politiques. Les créateurs qui expliquent ou vulgarisent l’actualité privilégient YouTube, TikTok et Instagram, en grande partie en raison de la jeunesse de leur audience.

X s’impose comme une plateforme clé pour suivre les politiciens aux États-Unis, au Japon, au Nigeria et en Afrique du Sud. Instagram, quant à lui, est largement utilisé pour le contenu politique au Brésil et en Indonésie, et rencontre un fort succès en Inde. Aux côtés de YouTube, Instagram est aussi le réseau de choix pour le lifestyle et l’infotainment.

La plupart des créateurs adoptent une stratégie multi-plateforme. Mo News, par exemple, a commencé sur Instagram et s’est développé en podcasts et newsletters, tout en réussissant sur YouTube.Cette étude, centrée sur l’audience et portant sur 24 pays, montre à quel point l’écosystème de l’information est devenu “fragmenté, chaotique, mal défini pour beaucoup de personnes”. Politiciens et médias traditionnels évoluent désormais dans un espace où ils rivalisent avec une multitude de news creators : certains se concentrent sur le commentaire, l’investigation ou l’explication, d’autres sur des niches spécifiques, l’infotainment ou le lifestyle, et beaucoup participent malgré eux à des débats politiques et culturels en raison de leur audience. Le résultat, amplifié par les algorithmes, est un “mélange parfois déroutant, mais aussi étonnamment créatif, divertissant et informatif – même si toute l’information produite ne peut pas toujours être considérée comme fiable”.

Illustration : Steve Gale sur Unsplash

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