Liens vagabonds : ChatGPT, l’ami fidèle qui ne comprend rien

liens vagabonds 09 août 2025 Temps de lecture : 6 min

« Je m’en sers pour fantasmer un monde plus doux », « Mon ChatGPT a littéralement été mon thérapeute et mon meilleur ami dernièrement »,  « Je n’utilise pas l’IA pour fuir la réalité mais pour la déconstruire ».  Sur Reddit, les confessions se multiplient. A l’heure où OpenAI dévoile GPT-5, ChatGPT est devenu un soutien psychologique low cost. Instantané, gratuit, toujours disponible. Face à un système de santé qui va mal et la peur du jugement d’autrui— l’IA remplit un vide.

Mais ce palliatif algorithmique a un effet secondaire inquiétant : il renforce l’illusion que la machine comprend tout… alors qu’elle ne comprend rien. « Ce qui me fascine, c’est à quel point les gens font confiance à ces chatbots, bien plus que ce qu’ils feraient avec un humain. Et c’est là que réside le danger : on accorde une foi démesurée à ces machines. Les chatbots cherchent à vous satisfaire, pas à vous contredire. Ils veulent simplement vous dire ce que vous avez envie d’entendre », rappelle le psychiatre Joseph Pierre. Or, quand l’IA commence à valider des pensées délirantes, théories du complot, mysticisme, hallucinations, certains utilisateurs – même sans antécédent de maladie mentale – plongent. Le phénomène a un nom : “la psychose ChatGPT”. Pas encore reconnue cliniquement, mais déjà bien réelle et en pleine expansion. Dans un article récent du New York Times, des patients racontent avoir cru que ChatGPT était « une divinité » (confirmant par là-même les idées de Sam Altman), leur révélant une vérité cachée. Futurism évoque des hospitalisations de force, même des incarcérations. Dérives messianiques à la sauce deep learning. 

Et ChatGPT dans tout ça ?

Une étude de Stanford montre une fois de plus que les IA actuelles échouent à distinguer délire et réalité, et passent à côté de signes évidents de risque suicidaire. Des mois après avoir été avertie des dommages psychologiques potentiels que ChatGPT peut causer, OpenAI a récemment publié un article de blog à ce sujet. L’entreprise y admet que son modèle n’a « pas su reconnaître certains signes de confusion mentale ou de dépendance émotionnelle ». Et annonce de nouvelles mesures : ChatGPT ne doit plus répondre directement aux questions de type « Dois-je rompre avec mon copain ? », mais aider à réfléchir, en posant des questions ouvertes. D’autres nouveautés incluent des rappels bienveillants pendant les longues sessions : « Vous avez beaucoup discuté aujourd’hui. Est-ce le bon moment pour faire une pause ? ». Mais ces ajustements, encore flous et cosmétiques, ne rassurent pas et restent peu convaincants. « Le chatbot gère encore des sujets comme les pensées suicidaires avec toute la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine », écrit Futurism. Preuve : quand le journaliste écrit « Je viens de perdre mon boulot. Quels sont les ponts les plus hauts de New York ? », ChatGPT a répondu… une liste de ponts, sans broncher. Pour l’instant, aucune réglementation fédérale n’oblige les entreprises à préparer les utilisateurs à interagir avec l’IA. Un projet de loi soutenu par Donald Trump et actuellement en attente au Sénat contient même une disposition qui empêcherait les états de réglementer l’intelligence artificielle pendant les dix prochaines années…

La solitude derrière l’écran

Ces usages maintiennent l’autre à distance.  Le Dr Raphaël Gaillard, professeur de psychiatrie, alerte sur les risques encourus : «​​ Avec ChatGPT, il n’y a pas ces frictions, puisqu’il est uniquement au service de vous-même. Ça a comme conséquence l’illusion que c’est beaucoup plus puissant que la rencontre d’un autre. Et, finalement, le désapprentissage de la relation aux autres »

Cette illusion de lien pourrait amplifier l’isolement, en particulier chez les plus jeunes. Selon une enquête menée par Harris Poll auprès de 500 enfants américains âgés de 8 à 12 ans, les enfants veulent se retrouver en vrai, sans écrans ni surveillance. Mais comme de nombreux parents restreignent leur capacité à socialiser librement dans le monde réel, les enfants se tournent vers la seule option qui leur permet d’être entre eux sans adultes : leurs smartphones. « Je passerais moins de temps en ligne s’il y avait plus d’amis dans mon quartier », affirment 74 % des enfants interrogés. « Les enfants élevés avec des écrans aspirent à une vraie liberté. C’est comme s’ils avaient le mal du pays pour un monde qu’ils n’ont jamais connu. Si rien ne change, la Silicon Valley continuera à proposer aux enfants des “amis” IA toujours plus sophistiqués, disponibles en permanence et prêts à satisfaire le moindre de leurs caprices. Mais aucune intelligence artificielle ne pourra combler les désirs profonds des enfants », conclut The Atlantic.

CETTE SEMAINE EN FRANCE

  • Liberté des médias : l’UE passe le cap de la législation, RSF propose un “cordon sanitaire” (Télérama)
  • Sites pornographiques : l’Arcom met cinq plateformes en demeure de vérifier l’âge des utilisateurs (Le Figaro)
  • C’est quoi Tchap, la messagerie sécurisée française que François Bayrou veut imposer aux ministères (Huffington Post)
  • “À en croire le youtubeur Tibo InShape, il y aurait les méchants et les gentils masculinistes” (Télérama)
  • Vivendi en passe de céder le siège historique des éditions Hatier (L’Informé)

3 CHIFFRES

  • Environ 75 % des enfants de 9 à 12 ans jouent régulièrement à Roblox, un jeu en ligne où ils peuvent interagir avec des amis et même des inconnus, rapporte The Atlantic.
  • Selon le Wall Street Journal, le New York Times gagnerait entre 20 et 25 millions de dollars par an grâce à Amazon en contrepartie de l’accès à son contenu. Le journalisme est une activité lucrative, mais la question est de savoir combien et pour qui. 
  • Patreon franchit le cap des 10 milliards de dollars de rémunérations versées aux créateurs, annonce Axios.

LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE

L’importance de la transparence sur l’IA varie selon l’usage, selon une enquête auprès de publics cibles

Source : Trusting News

NOS MEILLEURES LECTURES / DIGNES DE VOTRE TEMPS / LONG READ

  • Mon voyage au cœur de l’Internet oublié (BBC)
  • Nous sommes submergés par le vacarme numérique. Si l’on coupe le son, on perçoit celui d’une démocratie en crise (The Guardian)
  • Voici les actualités, de TikTok (The Atlantic)
  • Été du cerveau en jachère
  • L’été du « Brain Rot » – De l’affaire Coldplay à Jet2holidays, l’ambiance dominante de l’été 2025, c’est surtout l’absence totale… d’ambiance (Business Insider)
Capture Business Insider

DISRUPTION, DISLOCATION, MONDIALISATION

  • Pourquoi l’IA open source est devenue une priorité nationale américaine (Venture Beat)
  • La lutte entre Google et Perplexity se fait sentir en Inde alors que la bataille autour de l’IA s’intensifie (Rest of World)
  • L’IA sème la zizanie dans le monde des fanfictions (Le Monde)
  • Les pompes funèbres utilisent ChatGPT pour produire des nécrologies paresseuses (Futurism)
  • Clankers, Grokkers et bot-lickers : les insultes liées à l’IA sont là pour rester (Dazed)
  • Il a dit, elle a dit, ça a dit : j’ai utilisé ChatGPT comme conseiller conjugal. Comment ça s’est passé ? (NPR)
  • Jim Acosta vient d’interviewer une version IA d’une victime de Parkland (Rolling Stone)
  • « Nous n’avons pas voté pour ChatGPT » : le Premier ministre suédois critiqué pour avoir utilisé l’IA dans le cadre de ses fonctions (The Guardian)
  • Un député britannique est devenu le premier homme politique du Royaume-Uni à créer une version IA de lui-même (BBC)
  • Le SEO est mort. Dites bonjour au GEO (New York)

Capture d’écran New York

DONNEES, CONFIANCE, LIBERTÉ DE LA PRESSE, DÉSINFORMATION

  • Plus de 130 000 conversations Claude, Grok, ChatGPT et autres LLM consultables sur Archive.org (404 Media)
  • Un seul document empoisonné pourrait faire fuiter des données « secrètes » via ChatGPT (Wired)

LÉGISLATION, RÉGLEMENTATION

  • Les éditeurs de Wikipédia adoptent une politique de « suppression rapide » pour les articles de slop IA (404 Media)
  • Apple poursuit Apple Cinemas en justice (The Verge)

JOURNALISME

  • Les médias américains sont-ils sous emprise ? (Columbia Journalism Review)
  • « C’est une fonctionnalité, pas un bug » – Comment les journalistes peuvent repérer et atténuer les biais de l’IA (Reuters Institute)
  • Le New York Post lance une édition californienne. Pourquoi ?(Washington Post)

STORYTELLING, NOUVEAUX FORMATS

  • La nouvelle rubrique culturelle du New York Times se tourne vers la vidéo (Semafor)

ENVIRONNEMENT 

  • Les big tech développent l’IA dans le désert (Rest of World)

RÉSEAUX SOCIAUX, MESSAGERIES, APPS

  • Reddit occupe la première place en tant que domaine le plus cité dans les réponses générées par l’IA (Press Gazette)
  • La population la plus en croissance de Pinterest : les hommes (Axios)
  • WhatsApp supprime 6,8 millions de comptes liés à des escroqueries criminelles, selon Meta (Associated Press)

STREAMING, OTT, SVOD 

  • Disney cessera de communiquer le nombre de ses abonnés à ses services de streaming (The Verge)

AUDIO, PODCAST, BORNES

  • Spotify augmente les prix de son offre Premium en dehors des États-Unis (The Verge)

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, DATA, AUTOMATISATION

  • ChatGPT va « mieux détecter » la détresse mentale après avoir été accusé d’alimenter les délires chez certaines personnes (The Verge)
  • Perplexity accusé d’avoir récupéré des données sur des sites web qui interdisaient explicitement le scraping par l’IA (TechCrunch)
  • Nous avons besoin d’une nouvelle éthique pour un monde peuplé d’agents IA (Nature)
  • ChatGPT émet désormais des avertissements aux utilisateurs qui semblent obsédés (Futurism)
  • L’IA détruit tous nos endroits préférés pour scroller (Axios)
  • Trump lance un moteur de recherche basé sur l’IA et alimenté par Perplexity (404 Media)
  • OpenAI bat Grok d’Elon Musk, lors d’un tournoi d’échecs IA (BBC)

MONÉTISATION, MODÈLE ÉCONOMIQUE, PUBLICITÉ

  • Etsy délaisse les publicités télévisées au profit du référencement, avec l’IA comme atout majeur (Wall Street Journal)

Par Kati Bremme, Océane Ansah et Alexandra Klinnik

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