Réalité virtuelle : attention, un média nouveau est en train d’émerger

Cette année, à South by SouthWest, il fut bien sûr beaucoup question du broadcasting vidéo live de Meerkat (tout le monde devient une télé via Twitter !), mais plus frappant encore fut, pour moi, l’affirmation grandissante de la réalité virtuelle comme nouveau média à part entière, ralliant geeks et producteurs.

« La réalité virtuelle est un média entièrement nouveau, un média d’un autre type, une expérience entièrement nouvelle », résume la cinéaste américaine Nancy Bennett, qui dirige le studio Two Bit Circus« Une nouvelle frontière », renchérit Jeffrey Marsilio, vice-président distribution média de la NBA. « Un média qui n’a jamais existé jusqu’ici », pour Thomas Wallner, producteur numérique canadien.

Bien plus disruptive, pour les industries de l’image, que l’arrivée au début des années 80 des vidéos musicales qui avaient déjà fait bouger tout le secteur de la TV !

A Austin, Texas, les queues pour essayer les casques étaient décourageantes. Il fallait souvent prendre rendez-vous et courir après avoir reçu le texto. Mais les démos étaient partout dans la ville.

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Car il y a, en matière de réalité virtuelle, deux catégories de personnes : ceux qui ont essayé (effet super waouh garanti !) et qui n’en reviennent toujours pas*; et les autres.

A ces derniers, nous proposons deux types de descriptions imagées :

La réalité virtuelle c’est LA réalité

« Tant que vous ne l’avez pas mis sur la tête, l’expérience est impensable », estime Jason Rubin, le patron des Studios mondiaux d’Oculus. « Jamais aucune autre technologie n’avait permis de rendre compte des sentiments et de l’émotion comme la réalité virtuelle ». 

Pour Thomas Wallner, « Vous êtes dans le film comme jamais cela n’a été possible, et en plus, vous contrôlez la caméra ! Ni les jeux vidéo, ni le cinéma n’ont encore réussit cela. » (…) « Le cinéma est une métaphore de la réalité, une juxtaposition de fragments de réalité. La réalité virtuelle, c’est LA réalité ! ».

Plus personne derrière la caméra !

La réalité virtuelle permet de raconter mieux une histoire en plaçant la caméra du point de vue de l’utilisateur qui n’est plus le témoin du récit d’un autre. La disparition de la distance entre le spectateur et la scène filmée offre une présence instantanée dans un autre monde et provoque un fort sentiment d’immersion, mais aussi de vulnérabilité.

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L’utilisateur peut regarder tout autour de lui, être –depuis chez lui– au bord d’un parquet de Basket-ball ou dans la peau du joueur au cœur de l’action, vivre l’expérience d’un camp de réfugiés en Syrie ou se retrouver à manifester à Ferguson. En différé, et bientôt, en direct. Dans un monde virtuel, image fidèle du monde réel, ou dans un espace créé de toute pièce, type jeu vidéo.

Les gros casques hideux ne dureront pas 

A terme, l’espoir est de proposer une expérience d’immersion avec de simples lunettes de soleil. Après-demain, via des lentilles de contact.

 casque VR Les appareils bénéficient de la miniaturisation constante des écrans et des composants, provoquée par la concurrence du secteur des smart phones.

La réalité virtuelle n’isole-t-elle pas encore plus les individus ?

« Non, assure le dirigeant de la NBA, elle permet une connexion encore plus grande avec le sujet de la captation. Autant, vous pouvez être dissociés de la violence montrée à la TV, autant vous serez impliqués dans celle montrée en réalité virtuelle ».

Des mondes virtuels, type “second life”, permettront aussi aux spectateurs de vivre ces expériences virtuelles à plusieurs.

Comment expliquer le soudain décollage d’une techno vieille de 20 ans ?

En résolvant tout un tas de problèmes techniques, et en s’appuyant sur les améliorations techniques liées au smart phone et à celles de l’économie du hardware, liées au crowdfunding, Oculus Rift, racheté par Facebook, a donné le top-départ. Tout le monde a pu commencé à en faire. Et tous les écrans vont être sollicités : web, mobiles, TV, lunettes.

Nous suivons cette tendance qui se déploie mois après mois: en début d’année, le festival de cinéma indépendant Sundance avait déjà été un terrain de jeu surprenant des médias. Le CES de Las Vegas, puis le Congrès mondial des mobiles à Barcelone l’ont confirmé, tandis que des solutions de production vidéo à 360° faisaient timidement leur apparition à l’IBC.

Mais nous n’en sommes qu’au tout début et la pente est raide. Les taux de rafraichissement d’images et l’assemblage d’angles multiples restent encore trop lents. La post-production longue et effroyablement compliquée. A l’image, il faudra encore que le paysage ne bouge pas quand le sujet bouge et qu’on puisse voir ses mains, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. 

Mais la vitesse de progression est spectaculaire comme en témoignent les nombreuses améliorations apportées par chaque nouvelle version proposée par Oculus (DK1, DK2, Crescent Bay…) en quelques mois seulement !

La fusion de deux cultures

« Il faut penser comme un développeur ET comme un cinéaste », prévient le cinéaste canadien Wallner. Or on oublie bien souvent qu’à ses débuts le cinéma fut, à ses débuts, très technique !

Les journalistes en profitent et expérimentent

Notamment les plus modernes, comme ceux de Vice News qui ont récemment réalisé une captation 360° lors d’une manifestation à Ferguson avec l’aide du cinéaste Spike Jonze.

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Journalisme et divertissement vont d’ailleurs servir de passerelles vers d’autres secteurs, où les marques seront demain les grandes gagnantes de cette immersion.

Pour l’instant, les rédactions se posent encore beaucoup de questions : quelle est la pertinence ? Quel avantage pour l’utilisateur ? Quelle plus-value ? Dans quel format ? Mais la réalité virtuelle, c’est aussi la fin du journalisme de surplomb au profit de l’engagement littéral du public dans l’événement, prisé par les jeunes générations.

Prudence persistante à l’an 2 du cinéma muet ! 

Echaudés par la 3D, les professionnels se méfient. Mais la 3D à la télévision constituait seulement une amélioration incrémentale, et finalement peu immersive, alors que la réalité virtuelle est une révolution.

« L’immersion est le nouvel engagement », dit la cinéaste Bennett.

Mais le mode exploratoire reste de mise. Et c’est le bazar ! Chacun bricole, de son côté. Les contenus sont rares. Les caméras isolées, les standards inexistants. Le direct n’est pas encore au point. Un seul vrai casque est commercialisé auprès du grand public (la Gear VR de Samsung) et cible uniquement les “early adopters”.

« Nous n’en sommes qu’au début du début. A l’an 2 du cinéma muet ! » décrit le patron d’Arte Deutschland, Wolfgang Bergmann. Aujourd’hui, tout le monde veut en fait la même chose : « se retrouver en haut de l’Everest, plonger sous les mers, vivre au milieu des dinosaures ou piloter un avion de chasse ».

Demain, les possibilités seront infinies. Et déjà certains pros imaginent les résultats époustouflants que donnera la combinaison d’images 16K en 360° avec l’ultra-haut débit ! Aujourd’hui, en permettant de voir et entendre dans toutes les directions, elle joue sur deux sens. Les yeux permettent aussi de contrôler des fonctions. Demain, le toucher et l’odeur seront peut-être au rendez-vous ,comme avec ce prototype de Feelreal !

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Par où commencer ?

Déjà des communautés pro/am fleurissent dans les grandes villes US, souvent proches du mouvement des « makers ». De petites équipes se montent. Les budgets ne sont pas nécessairement lourds.

Avant la commercialisation – à une date encore inconnue – d’Oculus par Facebook, le mieux, conseillent les pionniers, est de se doter du kit de 6 caméras GoPro mises ensemble ou d’aller picorer sur Reddit qui publie une liste déjà importante. Des caméras 360° à 500 $ sont pour bientôt. Il faudra également réunir la “dream team” réunissant tous les talents nécessaires à ce nouveau média.

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Ne restera plus qu’à la placer sur un trépied et à filmer !

Quant à moi, je retourne voler au dessus de San Francisco !

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* Comme toujours il y a aussi les grincheux : ceux qui ont essayé mais qui n’aiment pas ou n’y croient pas.

 

Photo de Une : Crédit Edith Carron

Washington Post : Jeff Bezos a triplé le nombre de développeurs dans la rédaction

« En 2011, quand un nouveau directeur technique est arrivé, nous avions 4 développeurs qui travaillaient pour la rédaction. Celle-ci en a alors réclamé 2 supplémentaires. Nous en avons mis 16. Depuis Jeff Bezos est arrivé, et ils sont aujourd’hui 47 ingénieurs qui travaillent avec les journalistes ».

« Et dans quelques semaines, ils seront physiquement tous intégrés au sein même de la rédaction », a ajouté dimanche soir à Austin, Texas, le directeur de l’information, Marty Baron.

La priorité a donc été donnée à « la coopération entre éditeurs et ingénieurs ». Mieux : dans cette période de crise de la presse, le Washington Post a embauché 100 personnes l’an dernier (70 jobs nets), essentiellement pour le web, a ajouté Baron au Festival numérique South by SouthWest.

Le quotidien va répliquer cette démarche de coopération poussée avec les développeurs dans les équipes de la publicité.

Des résultats déjà probants

L’an dernier, le nombre de visiteurs unique du Washington Post a progressé de 71 % et les pages vues de 88 % ! 

Dans les pages vues, les mobiles ont fait un bond de 230 % en un an !!! Et les visiteurs uniques mobiles de 112% !  

Sur mobiles, le Post va lancer dans quelques semaines des fonctions de « read later« , de playlists d’articles mis de côté et envoyés par email et de sélection de vidéos. La vidéo, qui fait l’objet de nombreuses ressources, a connu aussi une progression de 66 % !

Bezos a imposé ses méthodes

Et notamment un contrôle de « la qualité des contenus » qui n’a pas manqué de provoquer des questions de la salle peuplée du journalistes hier à Austin.

Ce contrôle qualité se fait chaque mois auprès d’un échantillon de 300 personnes à qui on soumet des articles et à qui on demande « voudriez-vous lire ça ? « . 

Les dirigeants du quotidien se sont félicités du classement du magazine tech Fast Co qui vient de les classer média le plus innovant de l’année : « nous sommes le Washington Post, quand même ! ». 

On ne les changera pas !

 wp2 (Martin Baron, executive editor, à droite; Shailesh Prakash CTO, à gauche)

Pour survivre, les médias doivent devenir des commerçants

Et si la seule solution pour les médias passait par leur transformation en vrais commerçants ? Dans le nouveau paysage numérique, vendre des contenus et louer de l’audience ne suffira jamais à pallier l’exode accélérée de la publicité, bientôt incapable de faire vivre des rédactions. Il leur faut absolument profiter du lien unique qu’ils ont avec leur public pour gérer directement des transactions autour de produits et de services, et en tirer des revenus.

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« C’est inévitable. Dans 10 ans, 100% des médias seront passés par cette mutation. C’est le seul moyen de remplacer la pub, qui en devenant beaucoup plus efficace, va les quitter », assure avec conviction Ben Lerer, fondateur de Thrillist Media, groupe de magazines lifestyle en ligne.

« Il s’agit donc de penser à prendre non seulement une part de l’attention du public, mais aussi une part de son portefeuille ! « , a expliqué hier soir au Festival South by SouthWest à Austin au Texas, le jeune patron talentueux dans une énorme salle comble.

tumblr_mij4dqtZvn1r39155o1_400 « Nous allons tous devenir des +millenials+ dans nos usages. Or cette génération ne consomme pas les médias comme avant (…) Elle interagit différemment. L’actif principal d’un média est sa relation unique avec son audience et son influence. Et pour la première fois avec Internet, cette audience consomme des médias et achète au même endroit ! La distance entre le lieu d’inspiration et d’achat a disparu ».

« L’objectif est de transformer le lecteur en acheteur et l’acheteur en lecteur. Passer du storytelling au storyselling! Ne pas produire seulement la conscience du produit ou du service mais une intention. Grâce aux données ».

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Oui, mais c’est quand même plus facile pour un média de lifestyle !

« Certes, répond Lerer, mais cela se passera quand même dans toutes les catégories de médias ». Il n’y pas d’autres solutions visibles pour garder une taille suffisante.

Il donne des exemples: par affinités d’audience, la chaîne sportive ESPN devrait racheter la plateforme de tickets de spectacles et de rencontres sportives SeatGeek, voire la marque de vêtements pour hommes Brooks Brothers. Le New York Times devrait acquérir le vendeur en ligne de lunettes Warby Parker et incuber certains e-commerçants qui ont des parentés avec son lectorat haut de gamme. Evidemment en gardant des distances fortes entre éditorial et marketing. Mais les données feront la passerelle.

Certes, ajoute aussi Lerer, nous aurons de plus en plus de médias numériques qui réussiront sur leur niche (comme Vox, Vice, Mashable, Quartz, Business Insider, Gawker, …). Ce n’est pas si difficile, car ils ont tous compris le mode d’emploi d’Internet :

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Mais leurs modèles de revenus reste étroit et pas « scalable » et les empêchera de grandir, sauf peut-être BuzzFeed.

« Car la publicité va être d’ici quelques années à plus de 80% programmatique : elle quittera les publications pour aller, via le big data, donner le bon message à la bonne personne où qu’elle se trouve. C’est terrifiant pour un média dont même les meilleurs vont voir partir la pub ».

 « Il faut donc monétiser directement son audience — qu’on connait mieux que personne– et engager avec elle des transactions directes ».

Les médias ont compris comment créer la demande, il leur faut s’organiser pour assurer l’offre de produits et de services. Et au besoin les fabriquer. Cette mutation passe par « une approche techno centrée sur l’exploitation très fine des données », une agilité dans l’auto-promotion sérieuse dans les pages des sites ». 

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« Les commerçants deviennent des médias (Redbull, GoPro, Starbucks…),  les média doivent devenir des commerçants »

Thrillist, créé il y a 9 ans, n’est pas seul, indique Lerer: déjà de nouveaux médias en ligne s’organisent en vrais commerçants de produits : Into The Gloss (beauté), Lucky Shop (Condé Nast) ….

Pas d’idées nouvelles des champions d’avant

Un peu plus loin, dans une autre salle, les responsables du New York Times et du Guardian tentaient d’assurer que leur média n’était pas encore mort !

A condition d’être « Digital First » !

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« Avec 350 millions $ de revenus tirés du numériques, nous sommes sur le chemin qui va nous permettre de faire vivre du journalisme de qualité dans un modèle digital first », a prédit Meredith Levien, patronne de la pub au NYTimes qui mise énormément sur la pub native bien séparée de l’éditorial et la fourniture d’outils de storytelling aux marques.

Eamonn Store, pdg du Guardian USA, où il n’existe qu’en ligne, fut plus direct : « Nous ne sommes pas là pour faire survivre l’imprimé. Nous sommes ici un pure player et nous comptons beaucoup apprendre pour ramener cette expérience au Royaume Uni ! ».

Mais peu de pistes nouvelles sont sorties de ce panel de champions, où le Guardian a reconnu que déjà 20 % de la publicité était réalisée en programmatique…

Liens vagabonds old et new media (SVoD quasi majoritaire, Free box mini 4K, Periscope vs. Meerkat…)

A RETENIR CETTE SEMAINE :

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“MUST READ”

SAUVONS LA NEUTRALITE DU NET !

SURVEILLANCE vs. CONFIANCE :

NOUVEAUX USAGES, COMPORTEMENTS:

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DISRUPTION, REVOLUTION, DISLOCATION :

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MOBILITES / WEARABLES :

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ROBOTS, INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, AUTOMATISATION, BIG DATA, MACHINE LEARNING :

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NOUVEAUTES :

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REALITE VIRTUELLE

SMART TV / STREAMERS / VIDEO / MULTI-ECRANS :

NETFLIX :

YOUTUBE, FACEBOOK, ….

4K / U-HD

STORYTELLING :

PUB

JOURNALISME 2.0 :

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 Print

 

 

Liens vagabonds old et new media (HBO Now, France TV, BuzzFeed …)

A RETENIR CETTE SEMAINE :

“MUST READ”

A VOIR

SAUVONS LA NEUTRALITE DU NET !

NOUVEAUX USAGES, COMPORTEMENTS:

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DISRUPTION, REVOLUTION, DISLOCATION :

MOBILITES / WEARABLES :

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ROBOTS, INTELLIGENCE ARTIFICIELLE, AUTOMATISATION, BIG DATA, MACHINE LEARNING :

NOUVEAUTES :

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REALITE VIRTUELLE

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SMART TV / STREAMERS / VIDEO / MULTI-ECRANS :

NETFLIX :

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4K / U-HD

STORYTELLING :

PUB

JOURNALISME 2.0 :

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La 5G pourrait faire rebondir l’économie, mais l’Europe est en retard

Nous osions à peine l’évoquer il y a un an. Aujourd’hui, tout le monde en parle, car chacun réalise, qu’avec l’arrivée de l’Internet industriel des objets, la 5G devrait permettre de débrider les prochaines grandes étapes de la transformation numérique de l’économie et de la société : voitures autonomes, villes intelligentes, télémédecine, cloud, smart grids, gestion du big data, éducation, finance, assurance, …

Avec l’espoir de nouveaux services, et surtout de nouveaux jobs. Une transformation pilotée par le mobile qui assure déjà la moitié du trafic Internet et se trouve désormais au centre du jeu.

L’Internet des objets permettra un nouveau type d’innovation : après l’amélioration des performances et de l’efficacité, celle qui arrive créera de nouveaux marchés que nous ne connaissons pas encore. Par des combinaisons et des usages qui vont s’inventer.  

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« Le rythme actuel des changements est lent par rapport à ce qui nous attend dans les 5 prochaines années », a assuré cette semaine à Barcelone, le pdg d’Ericsson.

Mais l’Europe risque bien — comme pour la 4 G – d’être en retard pour cette prochaine grande disruption et donc ses nouvelles opportunités.

Car l’ultra haut débit, 5e génération de standards pour la téléphonie mobile, arrivera par l’Asie d’ici 3 ans, puis devrait passer par l’Amérique, selon les différents responsables qui ont parlé au Congrès mondial des mobiles.

Et Günther Oettinger le redoute. Le nouveau commissaire européen à l’économie numérique est donc venu haranguer les troupes en donnant des gages.

Echange investissements 5G contre neutralité du net affaiblie ?

Capture d’écran 2015-03-06 à 06.45.15« L’Europe est déjà en retard en 4G et pourtant il nous faut encore un nouveau réseau de communication auquel on pourra accéder facilement partout, comme l’air qu’on respire. C’est lui qui servira de fondement aux développements des réseaux des autres industries désormais connectées. L’infrastructure 5G est appelée à devenir le système nerveux de la société et de l’économie numériques », prévient Oettinger.

Un réseau programmable qui va servira l’internet des dizaines de milliards d’objets connectés. Les voitures communiqueront entre elles, avec les parkings, les panneaux de signalisation, les stations services.

Mais pour cela il faut des investissements. Il propose donc un partenariat public/privé et lâche du lest sur la neutralité du Net redoutée par les telcos qui, douchés par deux années de crise et effrayés par l’arrivée de Google– veulent pouvoir créer des voies rapides plus chères.

A entendre les éléments de langage repris mot à mot à Barcelone par tous les opérateurs européens mais aussi par Oettinger lui-même, on sent que les choses s’organisent. Et que certains services spécialisés seront prioritaires, rapporteront plus et vont se développer.

Les deux mêmes exemples sont ainsi repris inlassablement, jour après jour ici : « les voitures autonomes et connectées devront pouvoir réagir dans la milliseconde ; la télémédecine va sauver des vies. Comment prendre le risque de laisser ce type de services au milieu du trafic avec comme seule garantie l’obligation du +best effort+ ? ».

« La neutralité du Net doit permettre l’essor de ces services spécialisés », confirme le commissaire européen.

Tout indique donc que le principe de neutralité du Net sera consacré en Europe, mais avec des exceptions pour les services spécialisés à définir dans chaque pays. Autant dire un web à plusieurs vitesses où certains utilisateurs seront prioritaires ! L’inverse de ce qu’ont retenu les USA la semaine dernière.

La définition de la neutralité du Net doit changer, estime le nouveau patron de Nokia, au nom de la sécurité des gens et de la qualité du réseau.

« La priorisation est inévitable. Elle arrivera ! », assure le telco norvégien Telenor.

5G kezako ? Le support de l’Internet de tout !

Le standard 5G ressemble encore à un agrégat de normes multiples et de bonnes intentions : personne n’est encore d’accord sur sa définition, aucune norme n’est en vue, mais la 5G sera bien différente de tout ce qui a précédé :

« Elle permettra 100 milliards de connections, un délai de latence d’un milliseconde et un débit de 10 gigas par seconde. Un film pourra être téléchargé en quelques secondes », assure le pdg de Huawei qui d’ici là va proposer une 4,5G intermédiaire pour faire la jonction. Rappelons que la 4G permet des débits moyens de 15 à 17 mégas.

Les mots clés du succès sont donc Internet des objets, big data, cloud et convergence.

Mais aussi doublement de la population Internet mondiale dans les trois prochaines années ! Et 80% de la population en Asie dotée d’un smart phone en 2020 ! La croissance mondiale des smart phones est de près de 30% par an en ce moment, selon Intel.

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A terme, c’est un débit d’un tera par seconde qui est visé. Les investissements vont être importants, les cas d’usages très différents, les surprises au coin de chaque nouvelle connexion d’objets, prévient le pdg de Qualcomm.

« Aujourd’hui vous avez Internet dans votre poche, demain il sera partout autour de vous où que vous soyez : il vous suivra d’objets en objet », résume Steve Mollenkopf.

« Nous allons de moins en moins interagir avec les terminaux qui seront toujours +on+», prédit le pdg de Shazam Rich Riley.

Mais encore quelques années à attendre. Un peu plus en Europe

 (illustration 5G de Korean Telekom)

Korean Telekom s’y est engagé à Barcelone : les JO d’hiver de 2018, qui se dérouleront en Corée, seront couverts en 5G. Puis ce sera le tour des JO d’été de Tokyo. L’Américain Qualcomm le voit « possible en 2020 ».

En France, il faudra attendre 2020 ou plutôt 2022, a prévenu le pdg d’Orange. « Il ne faut pas aller trop vite. Elle doit être lancée au bon moment. Profitons bien d’abord de la 4G », a prévenu Stéphane Richard.

La 4G : la Chine déjà plus rapide que les US

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Alors que la Corée a mis deux ans à être couverte en 4G à 100%, les Etats-Unis en sont à 50% aujourd’hui et l’Europe y arrivera en 2020. « La Chine déploie actuellement la 4G deux fois plus vite que les Etats-Unis », a souligné le président de la FCC américaine Tom Wheeler.

La 4G et son très haut débit mobile permet déjà en ce moment de démultiplier les usages de vidéos en quelques années (x14), d’achats (x13) et de banque (x5), estime Korean Telekom.

L’Internet des objets et la 5G seront la prochaine phase :

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Les « screenagers » ont des usages mobiles immédiats et surtout contextualisés !

A Barcelone, les derniers chiffres des usages ont confirmé le basculement sidérant vers les mobiles qui représente 45% des sollicitations via Akamai, la moitié du trafic web en 2014, selon Viacom, la moitié du trafic de Forbes, plus de 80% de celui de Pinterest et 89% de Rhapsody.

« Le mobile n’est pas une des technos, c’est LE moyen par lequel nous utilisons la techno pour améliorer nos vies », résume le pdg de Pinterest, Evan Sharp.

« Nous sommes des screenagers pas des millenials », propose le DJ musicien Will.i.am.

« C’est simple, estime le patron de Vodafone, nous utilisons nos mobiles deux à trois fois plus qu’il y a un an ».

Le mobile a changé pour toujours les attentes des utilisateurs et des clients qui réclament simplicité et immédiateté contextualisées. « Tout, maintenant et en contexte » !

En résumé : la bonne proposition, à la bonne personne et au bon moment !

Le mobile permet aussi ce que tous les médias tradis recherchent : rajeunir l’audience.

82% des lecteurs de Forbes en mobilité ont ainsi moins de 45 ans ! Quand on sait qu’ils sont 17 millions chaque mois à consulter ce média en mobilité ! Forbes va aussi contextualiser les contenus proposés avec une nouvelle page mondiale qui sera d’ici un mois géolocalisée.

Ses résultats mobiles sont impressionnants : « +67% de visiteurs uniques en plus en 2014, + 100% pour les revenus et +27 pour l’eCPM avec un engagement supérieur de 8% avec les marques par rapport au desktop et 7 secondes de temps passés en plus », selon le directeur commercial.

La guerre des OS mobiles est terminée, pourtant d’autres systèmes essaient encore de se faire une place: Jolla Sailfish, Firefox OS, Ubuntu Mobile, Tizen… On peut s’interroger sur l’avenir de ces systèmes dans le mobile.

Android, lui, est partout, sur chaque stand (sous forme de mascotte) et dans chaque hall, symbole de l’omniprésence de Google dans l’industrie qui fait si peur aux opérateurs. Et Apple est comme toujours absent du salon mais dans toutes les poches !

 Capture d’écran 2015-03-06 à 06.46.54 Les nombreux pavillons nationaux (dont les pavillons français de « La french Tech ») montrent que la révolution du mobile au niveau mondial n’est pas qu’une révolution du consommateur, acheteur de téléphones ou d’applications, mais également du producteur, fabricant d’équipements réseaux ou développeurs d’applications. Illustration de la diplomatie du mobile: le pavillon « Iran » situé à quelques mètres du pavillon « Israël ». Les barrières à la création d’entreprises technologiques disparaissent partout grâce au mobile.

Le LTE broadcast, option crédible pour la diffusion de TV hertzienne.

Le mobile et ses plateformes logicielles colonisent aussi les autres écrans connectés, depuis la montre jusqu’à la TV en passant par le frigo.

De nombreuses démonstrations chez Qualcomm, Intel, Ericsson… montraient la possibilité d’utiliser le réseau mobile LTE pour multi-diffuser des contenus vidéos tout en préservant batterie et occupation des fréquences (compter 60% occupés d’une bande de fréquence de 10Mhz pour diffuser une vidéo 4K en direct). On entrevoit ainsi l’utilisation du réseau mobile pour diffuser ponctuellement des émissions sur des zones géographiques définies. Autre utilisation: la possibilité de « pousser » des mises à jour d’applications (ex: Facebook) sur un grand nombre de mobiles en simultané.

Montres connectées et wearables : les autres mobiles !

A quelques jours du lancement de l’Apple Watch, pas étonnant que nous en ayons vues partout ! Les développeurs – qui sont les vrais boss aujourd’hui — les plébiscitent en ce moment !

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Et toujours plus de réalité virtuelle

Très nombreuses démonstrations à Barcelone aussi de casques en réalité virtuelle, principalement « Gear VR », essentiellement de l’ordre du « proof of concept » ou démonstration marketing, mais cela montre l’intérêt porté à ce nouveau média par l’industrie et ses possibles applications dans le mobile.

« C’est le mode de narration émergent actuellement », confirme Akamai. Tous les grands s’y mettent : Samsung et son nouveau masque, LG, HTC, etc…

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Beaucoup pensent que d’ici quelques années, les smart phones seront remplacés par des technos près des yeux. Comme ce casque audio/video Glyph de réalité augmenté :

Avegant Glyph – website – Infographic Video from envisionit on Vimeo.

Les Chinois en force. Que reste-t-il aux « grands  » de la téléphonie ?

Les constructeurs chinois ne maîtrisent plus seulement la fabrication mais également le design de smartphones. Conséquence: l’arrivée d’un grand nombre de smartphones désignés et produits par l’empire du milieu, ayant le même niveau de qualité que les smartphones américains, coréens ou japonais mais à des coûts défiants toute concurrence…

Xiaomi arrive en Europe avec une boutique en ligne, et Huawei, que j’avais vu il y a quelques années dans un camion d’exposition en dehors du salon, avait à Barcelone un hall entier !

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Les livres du président chinois, Xi Jinping, étaient aussi bien en vue dans les kiosques dès l’aéroport !

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Les prochaines étapes importantes ?

L’indien Sundar Pichai, le directeur des produits Google à plus d’un milliard d’utilisateurs (search, mobile, Android, Chrome, …) en voit trois :

A suivre !

(Avec l’aide précieuse de Jérôme Derozard, consultant pour France TV Editions Numériques, et entrepreneur) 

Barcelone : Google effraie, Facebook fayote

Deux « barbares », deux attitudes ! Après avoir posé de la fibre un peu partout aux Etats-Unis (et récemment en Afrique) au nez et à la barbe des telcos, Google est venu confirmer lundi à Barcelone qu’il entendait aussi devenir un opérateur mobile. Dans la même salle, Facebook, un des « autres passagers clandestins » des tuyaux, a préféré faire du zèle en montrant comment il aidait concrètement les opérateurs à gagner de nouveaux marchés dans les zones reculées de la planète. Les telcos tordent le nez. 

Google opérateur mobile

L’indien Sundar Pichai, le big boss des produits Google à plus d’un milliard d’utilisateurs (search, mobile, Android, Chrome, …) est donc venu au Congrès annuel Mondial des Mobiles prévenir : « toute l’innovation se fait aujourd’hui à l’intersection du hardware, du software et de la connectivité ». Donc Google doit être présent dans les trois !

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De la même façon que Google développe sa propre gamme de terminaux mobiles sous la marque Nexus (en plus des milliards d’OS Android vendus chez Samsung et cie), le géant de Mountain View entend devenir aussi un opérateur de réseau mobile virtuel (MVMO) aux USA. « Mais à petite échelle et avec modération, comme pour Nexus ». Pas sûr que les telcos US et autres soient rassurés !

Et martelant les chiffres records d’Android (forcément en milliards), Pichai a enfoncé le clou en confirmant aussi que Google allait aussi faire du paiement via cette brique logicielle et l’ouvrir aux développeurs. Il a aussi fait un point sur les progrès réguliers des ballons stratosphériques (Loons) de Google qui permettent une connectivité dans les zones peu habitées. « Ils sont désormais capables de rester 6 mois en l’air et offrir une connexion LTE » !  Avant d’évoquer le lancement prochain d’une flotte de drones à énergie solaire ayant la même fonction de connectivité.   

En passant, Pichai a indiqué que Google Translate était déjà sollicité un milliard de fois chaque jour et que 500 millions de personnes l’utilisaient chaque mois ! 

Facebook veut connecter chaque individu sur terre

Avec le même t-shirt que l’an dernier, Marck Zuckerberg est venu assurer qu’il entendait « aider les opérateurs — qui font le gros du travail — à croître plus vite ». « Nous savons que les investissements d’infrastructures se chiffrent en milliards de dollars. Nous voulons donc être un bon partenaire et aider ». Avec son initiative de partenariat mondial Internet.org, lancée il y a un an, Facebook entend proposer Internet aux deux tiers de la planète qui n’y pas accès. Quatre pays africains, l’Inde et la Colombie en ont jusqu’ici profité. Facebook, souvent la 3ème fonction recherchée sur un téléphone, après la voix et la messagerie, est un point d’entrée idéal à l’Internet. Surtout s’il est proposé gratuitement par les opérateurs.

 

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Les opérateurs, qui ont participé à l’opération et touchent des marchés jusqu’ici inaccessibles, restent méfiants.

« C’est vrai, la bête est devenue plus humaine », Christian De Faria, pdg d’Airtel Africa en décrivant les initiatives de Facebook. « Mais nous le surveillons comme le lait sur le feu. Ce n’est pas encore un partenaire, ni une lune de miel. Mais un modèle encourageant. » 

Le sud-américain Mario Zanotti de l’opérateur Millicom s’est toutefois félicité de la coopération avec Facebook qui a permis de démultiplier la vente de données en Colombie ou en Tanzanie, mais Jon Frederik Baksaas, pdg du norvégien Telenor, estime que « ça irait plus vite avec des smart phones à 25/40 $ ». 

Numérique : ces barbares qui font pivoter notre société

Qui mieux qu’un homme de lettres pour saisir la modernité industrielle d’une époque et ses soubresauts ? Et qui mieux aujourd’hui que le romancier Alessandro Baricco pour remplacer Zola ?

Réponse simple : je n’ai encore rien croisé de mieux que ce brillant “Les Barbares – Essai sur la mutation” de l’écrivain italien pour déchiffrer le monde qui vient.

Ecrit en … 2006 ! Et tout juste publié en Français*.

Comme l’allemand Walter Benjamin, il y a plus d’un siècle, Baricco décrit « l’endroit exact où une civilisation rencontre un point d’appui qui va la faire pivoter sur elle-même et la transformer en un paysage nouveau inimaginable”.

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« Les invasions barbares » débouchent sur « une nouvelle civilisation »

Car il ne s’agit pas aujourd’hui d’un duel classique entre générations, entre classiques et modernes. “Cette fois, ça semble différent. Un duel si violent qu’il paraît nouveau. D’habitude on se bat pour contrôler des points stratégiques sur la carte; Aujourd’hui, les agresseurs font quelque chose de plus radical, qui va plus en profondeur : ils sont en train de redessiner la carte.

“Une espèce nouvelle qui a des branchies”, « des mutants » qui “n’ont pas d’âme”, et “qui remplacent un paysage par un autre et y créent leur habitat (…) “Là où eux respirent, nous mourons”.

Les mutants sont bien sûr les ex galopins du web devenus grands: “ils arrivent de partout, les barbares”. “Nous voyons les saccages, mais nous ne voyons pas l’invasion. Et nous ne parvenons donc pas à la comprendre”.

“Une révolution technologique brise tout à coup les privilèges d’une caste qui détenait le primat de l’art”.

Pour Baricco, les indices s’accumulent :

En résumé :

“Une invention technologique permet à un groupe humain aligné essentiellement sur le modèle culturel impérialiste d’accéder à un geste qui lui était jusque là interdit et qu’il relie d’instinct à un spectaculaire immédiat, à un univers linguistique moderne, conduisant ainsi ce geste à un succès commercial foudroyant.

De tout cela, ceux qui sont ainsi assaillis perçoivent surtout ce qui affleure à la surface et qui est, à leurs yeux, le plus évident : l’apparent effritement de la valeur globale de ce geste. Une perte d’âme. Et donc, un début de barbarie.”

téléchargement (3) Pour Baricco, cette mutation « repose sur deux piliers fondamentaux : une idée différente de ce qu’est l’expérience et une dislocation nouvelle du sens dans le tissu de l’existence ».

En gros : « La surface à la place de la profondeur, la vitesse à la place de la réflexion, la séquence à la place de l’analyse, le surf à la place de l’approfondissement, la communication à la place de l’expression, le multitâche à la place de la spécialisation, le plaisir à la place de l’effort. Un démantèlement de tout le bagage mental hérité de la culture du 19ème siècle romantique et bourgeois ».  

Extraits:

 Le démantèlement du sacré

« Les barbares viennent frapper la sacralité des gestes qu’ils attaquent, en lui substituant une consommation apparemment plus laïque (…) ils démontent le totem et l’éparpille dans le champ de l’expérience, perdant ainsi sa dimension sacrée.

« Les villages mis à sac par les barbares. Ils vont droit au cœur pulsant de toute l’affaire et là ils détruisent »

« Si tous doivent tout faire, il est difficile que tous parviennent à tout faire très bien : d’où la fameuse tendance au juste milieu, typique des mutations barbares ». Mais des barbares qui jouent « un jeu rapide dans lequel tous jouent en même temps en élaborant le plus grand nombre de solutions possibles (.) et c’est ce même verdict que nous trouveront dans tous les villages saccagés : un système est vivant quand le sens est présent partout et de façon dynamique. Si le sens est localisé et immobile, le système meurt ».

Au 18ème siècle, l’irruption du roman bourgeois fit déjà tout exploser

Baricco ne se prive pas de comparer avec l’irruption du roman bourgeois au 18ème siècle « qui fit tout exploser en imposant une logique nouvelle. Il y a des chances que cette vieille famille d’écrivains-lecteurs ait regardé avec répugnance un commerce et une production qui mettaient des livres entre les mains des dames peu préparées et de commis qui savaient à peine lire. Et, en effet, le roman bourgeois naissant fut perçu comme une menace, comme un objectif en soi nocif – les médecins, bien souvent, l’interdisaient : sans doute apparut-il comme un effondrement (…) »

Aujourdhui, la valeur n’est pas dans le livre, mais dans la séquence

Si « les barbares n’ont pas balayé la civilisation du livre qu’ils ont trouvée », « ils tendent à ne lire que les livres dont le mode d’emploi est donné dans des lieux qui NE SONT PAS des livres ». (…) Pour les barbares la qualité d’un livre réside dans la quantité d’énergie que ce livre est en mesure de recevoir d’autres narrations, afin de la reverser dans d’autres narrations ».

(…) Si dans un livre passe une grande quantité de monde, c’est un livre à lire. En revanche, même si le monde entier est dedans, mais immobile, sans communication avec l’extérieur, c’est un livre inutile. »

Les bons livres ne sont pas des livres mais « des segments d’une séquence plus vaste, écrite dans les caractères de l’Empire, qui a peut être commencé dans le cinéma puis est passée par une chanson, qui a atterri à la télévision et s’est répandue sur Internet. Le livre en lui-même n’est pas une valeur : la valeur c’est la séquence ». 

« Que retenir, demande Baricco : deux choses :

1 – que les marchands ne créent pas les besoins, ils y répondent.

2 – dans ce village aussi, les barbares sacrifient le quartier le plus haut, le plus noble et le plus beau, au profit d’une dynamisation du sens. Ils vident le tabernacle, l’essentiel est que l’air y passe. »  

« Tel un naturaliste d’autrefois », Baricco dessine le portrait des barbares :

            Je le dis sincèrement, ajoute-t-il, : je n’ai aucun doute quant au fait que ce soit là leur manière de combattre ».     

« Respirer avec les branchies de Google »

Pour Baricco, Google est « une sorte de bande annonce de la mutation en cours ».

Il décrit ses deux fondateurs, Larry Page et Sergueï Brin, comme « les seuls Gutenberg apparus après Gutenberg. Je n’exagère pas : comprenez que c’est vrai, profondément vrai. Aujourd’hui en utilisant Google, il faut une poignée de secondes et une dizaine de clics pour qu’un humain doté d’un ordinateur jette l’ancre dans n’importe quelle baie du savoir (…) Percevez-vous l’immense sentiment de libération, entendez-vous les hurlements apocalyptiques des grands prêtres qui se voient écartés et soudain inutiles ? ».

« Google a moins de vingt années d’existence et il est déjà au cœur de notre civilisation. Quand on le consulte, on est pas en train de visiter un village saccagé par les barbares, on est dans leur campement même, dans leur capitale, dans le palais impérial ».

« Le savoir important est le savoir capable d’entrer en séquence avec tous les autres »

« La terre des barbares », estime Baricco, a commencé avec Google qui a stoppé les dernières tentatives désespérées « de confier à l’intelligence et à la culture la tâche d’évaluer l’importance des lieux de savoir ».

Avec Google et « ses trajectoires suggérées par des millions de liens », « la vitesse est engendrée par la qualité, non l’inverse ». « Ce qui me frappe dans un tel modèle, c’est qu’il reformule radicalement le concept même de qualité. L’idée de ce qui est important et de ce qui ne l’est pas. Ce n’est pas qu’il détruise complètement notre vieille manière de voir les choses, mais en tous cas il passe par dessus ».

(…) « Une certaine révolution copernicienne du savoir, selon laquelle la valeur d’une idée, d’une information, d’un élément donné, n’est pas liée principalement à ses caractéristiques intrinsèques, mais plutôt à son histoire. C’est comme si des cerveaux avaient commencé à penser d’une autre manière : pour eux, une idée n’est pas un objet circonscrit, mais une trajectoire, une succession de passages, une composition de matériaux différents. C’est comme si le Sens qui, pendant des siècles, a été lié à un idéal de permanence, solide et achevée, était allé se chercher un habitat différent, en se dissolvant dans une formule qui est plutôt mouvement, structure longue, voyage. Se demander ce qu’est une chose, c’est se demander quel chemin elle a parcouru hors d’elle même. »   

La quête des systèmes passants; l’expérience telle une trajectoire

« Vous le voyez le mutant en herbe ? Le petit poisson avec ses branchies ? A sa façon, il est déjà comme une bicyclette : s’il ralentit, il tombe. Il a besoin d’un mouvement constant pour avoir l’impression de faire de l’expérience (…) Habiter plusieurs zones possibles avec attention relativement basse est ce qu’ils entendent, à l’évidence, par expérience ». (…)

« Là où il y a des gestes, ils voient des systèmes passants possibles, qui permettent de construire des constellations de sens : et donc d’expériences. Des poissons, disais-je. »  

L’homme horizontal : pas de destruction mais une restructuration mentale

« A présent nous avons compris que tout ce que nous prenions pour de la destruction était en réalité une restructuration mentale et architecturale : quand le barbare arrive quelque part, il a tendance à reconstruire avec les matériaux qu’il trouve le seul habitat qui lui importe, c’est-à-dire un système passant ».  

Et « l’élimination de l’âme », brevetée par la bourgeoisie du 19ème siècle. L’élimination du pas en avant (ADN de la civilisation bourgeoise : le beau est lié au progrès, le neuf a de la valeur si il est aboutissement de l’ancien) délaissé au profit du pas de côté. « La valeur qui compte est la différence ». Les barbares ne cherchent pas à dépasser, mais à faire différent, à « trouver le sens là où il surgit : dans la différence, pas dans le progrès ».

L’élimination aussi de la profondeur qu’ils craignent « comme s’il s’agissait d’une crevasse qui ne conduirait nulle part sinon à l’annulation du mouvement et donc de la vie » (…) Les barbares ont donc inventé l’homme horizontal (…) qui voyage en surface, sur l’épiderme du monde ». Le sens ne passe plus par l’effort.

« C’est leur idée de surf de l’expérience, de réseaux de système passants : l’idée que l’intensité du monde ne vient pas du sous-sol des choses, mais de la lumière d’une séquence dessinée à la hâte sur la surface de l’existant ».

« Ce qui propulse ce mouvement vient aussi des points de passage : qui ne consomment pas d’énergie (…) mais en fournissent. Concrètement, la seule chance qu’a le barbare de se forger de vrais segments d’expérience, c’est de recevoir une nouvelle poussée à chaque étape de son voyage. Mais ce ne sont pas les étapes, c’est le système passant qui crée une accélération ».

Il faut accepter l’idée qu’ils ont « d’aller se chercher une âme ailleurs. Tout à fait ailleurs. Si on refuse de faire ce pas, les barbares demeurent une entité incompréhensible. Et on a peur de ce que l’on ne comprend pas. »

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Journalistes et médias complices

Singulièrement, Baricco estime que « le journalisme et, plus globalement, les médias représentent bel et bien le fer de lance de la barbarie triomphante ».

« Plus ou moins consciemment, les journalistes offrent une lecture du monde qui déplace le barycentre des choses de leur origine à leurs conséquences. Pour le meilleur ou pour le pire, le journalisme moderne considère que le plus important dans un événement, c’est la quantité de mouvement qu’il est en mesure d’impulser dans le tissu mental du public ». (…)

Via la lecture du monde des médias, explique-t-il, « nous nous alignons, consciemment ou pas, sur une idée de fond parfaitement barbare, qu’en théorie nous ne partageons pas mais qu’en réalité nous mettons en œuvre sans aucune difficulté : le sens des choses ne réside pas dans un de leurs aspects originels ou authentiques, mais dans la trace qu’elles laissent lorsqu’elles entrent en contact avec d’autres morceaux du monde. Elles ne sont pas ce qu’elles sont mais ce qu’elles deviennent, pourrait-on dire. »

« La technique de base du journalisme, ajoute Baricco, est aujourd’hui une succession de pas de côté, qui interceptent le sens du monde, enregistrant toutes ses variations latérales. Ici aussi, c’est un développement horizontal, dans l’espace et à la surface, qui remplace le chemin vertical de l’approfondissement et de la compréhension ».

D’ailleurs ajoute-t-il, « en gros » « à l’école ce sont les valeurs de la civilisation qui dominent alors que la télévision expérimente sans la moindre précaution le nouvel esprit barbare ». « La télévision commerciale passe encore mais la télévision publique ? Comment est-il possible que cette dernière soit devenue un des bastions de la barbarie ? (…) Vous ne trouvez pas ça moche qu’on ait livré à l’ennemi le quartier le plus populaire pour se retirer dans les rues dorées du centre ville ? ».

« Alors que la politique culturelle aurait au contraire une immense tâche historique à accomplir, si seulement ceux qui la conçoivent comprenaient que ce qu’il faut viser, ce n’est pas le sauvetage opportuniste du passé, mais toujours la noble réalisation du présent afin de garantir aux intelligences un minimum de protection contre le danger du marché pur et dur. »

La perte de toute hiérarchie préexistante

 « Une des choses auxquelles il faut se préparer, quand la mutation se produit, c’est au bouleversement de toute hiérarchie de jugement (…) Chaque civilisation évalue celles qui l’ont précédée à la pertinence avec laquelle elles ont su préparer l’habitat mental où il lui revient de vivre ».

« A présent songez aux barbares. Songez à l’endroit où ils sont allés vivre, dans leur nomadisme mental. »

« Dès lors qu’on accepte l’idée d’une mutation et qu’on s’écarte joyeusement pour la laisser passer, il faut se préparer à la perte sèche de toute hiérarchie préexistante, à l’écroulement de notre galerie de monuments. »

Attention enfin à la tentation du mur

 « Dans ses rapports avec les barbares toutes civilisation porte en soi l’idée qu’elle se fait d’elle même. Et que, lorsqu’elle lutte contre les barbares, toute civilisation finit par choisir non pas la meilleure stratégie pour vaincre, mais celle qui renforce le mieux son identité. Car le cauchemar de la civilisation n’est pas d’être conquise par les barbares, c’est celui d’être contaminée : elle n’arrive pas à imaginer la défaite contre ces morts de faim, mais elle a peur qu’en les combattant elles en ressorte modifiée, corrompue. Elle a peur de les toucher ».

téléchargement (4) D’où le mur, la muraille de Chine, division du monde entre civilisation et barbarie, que Baricco est aller voir de près pour comprendre.

« C’était le seul système permettant d’annihiler une chose dont on est pas disposé à admettre l’existence ».

« La Grande Muraille ne les défendait pas contre les barbares, elles les inventait. Elle ne protégeait pas la civilisation : elle la définissait ».

« Même le constat évident que cette muraille n’a en rien réduit les invasions ne nous fait pas changer d’avis ». Nous continuons à faire « le geste qui consiste à dresser une Grande Muraille ».

« La vérité, c’est que nous ne défendons pas une frontière : nous l’inventons ».

Et donc mettre à l’abri ce qui nous est cher

Pourtant, admet l’écrivain italien, cette barbarie est « un lieu magnifique ». « La mutation progresse et déferle en nous » : les barbares ont des branchies et « nous migrons tous vers l’eau ».

Avant de conclure : « Je crois qu’il s’agit de décider ce que nous voulons transporter de l’ancien monde vers le nouveau. (…) Dans le courant violent, mettre à l’abri ce qui nous est cher ».

A lire !

* Editions Gallimard

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