Apple+, une nouvelle stratégie de services à valeur ajoutée : s’abonner plutôt qu’acheter
Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur. Billet invité
Confronté – comme les opérateurs telcos avant lui – à un ralentissement de la croissance de sa base d’utilisateurs mobiles, Apple a présenté lundi soir 5 nouveaux « services à valeur ajoutée » qui devraient l’aider à augmenter son revenu moyen par utilisateur (ARPU), retrouver la croissance, et à lancer la guerre du streaming vidéo.
La société tente ainsi de compenser l’allongement du cycle de renouvellement de ses appareils et le – relatif – échec de sa stratégie de montée en gamme initiée avec l’iPhone X. Le matériel est relégué au second plan, comme en témoignent les lancements très discrets de ses nouveaux produits la semaine dernière (iPad, AirPod…), l’avenir est aux services « premium ».
Apple souhaite à présent convaincre ses propres utilisateurs – mais aussi ceux des autres plateformes – de « s’abonner à » et non « d’acheter » l’une de ses 5 nouvelles offres de service, lui assurant ainsi des revenus récurrents tout au long de l’année.
Chacun de ces services s’appuie sur des caractéristiques répétées tout au long de la soirée comme un mantra : facilité d’utilisation et attention au détail, protection de la vie privée et sécurité, sélection (« curation ») par des experts et personnalisation, partage au sein d’un foyer. Ces caractéristiques ont permis à Apple Music d’atteindre les 50 millions d’abonnés en quelques années. Mais surtout, comme leur prédécesseur, ces nouveaux services sont vendus comme l’extension « freemium » d’une application existante et déjà largement utilisée, iTunes hier, Apple News, Apple Pay, l’App Store et TV App aujourd’hui.
Les 5 points-clé de la stratégie « services » d’Apple
Apple News+ : la presse illimitée et incognito
Le premier service présenté – et disponible – est le nouveau bouquet de presse Apple News+, fruit du rachat de l’application Texture. Se présentant sous forme d’un nouvel onglet dans Apple News, l’application d’actualités « N°1 » selon Tim Cook, News+ propose pour 10 dollars par mois une sélection de 300 journaux et magazines accessibles sur iPhone et iPad. Lancé initialement aux Etats-Unis et au Canada (en anglais et français), le service sera étendu en fin d’année au Royaume-Uni et en Australie.
Magazines disponibles dans l’offre Apple News+
Outre les magazines News+ proposera l’accès aux articles du L.A Times et du Wall Street Journal ainsi qu’à des offres numériques spécialisées comme theSkimm. Apple promet un système de recommandation d’articles embarqué sur l’appareil et l’absence de marqueurs de suivi d’audience ou publicitaires pour protéger la vie privée des utilisateurs. Cela signifie que les éditeurs partenaires d’Apple News+ n’auront pas ou peu d’informations sur leurs audiences et seront donc à la merci des algorithmes et des « curateurs » d’Apple. Pas étonnant que certains éditeurs comme le New-York Times aient appelé au « boycott » de la plateforme pour éviter d’être désintermédiés.
Autre point noir pour les éditeurs : Apple a remis au goût du jour le concept de contenus interactifs, (ex : couvertures ou infographies animées) pour les magazines distribués par News+. Cela leur demandera des efforts supplémentaires pour créer des contenus spécifiques – comme feu Newsstand – mais ils seront cette fois directement rémunérés par Apple pour leurs efforts.
Apple Card, l’Amex du 21ème siècle
Deuxième volet de l’offre de services : Apple Card, la carte de crédit d’Apple. Comme News+ elle s’appuie sur une application existante et très utilisée – Apple Pay et ses 10 milliards de transactions – pour proposer une carte de crédit internationale avec une offre de « cashback » permettant de récupérer de 1 à 3% du montant des achats. Pour cette offre Apple s’est allié avec Goldman Sachs dont l’évocation n’a pas déclenché les habituels applaudissements. Apple s’est d’ailleurs empressé de préciser que ni Goldman Sachs ni lui-même n’auront accès à des données de paiement des utilisateurs.
Une précision visiblement importante
Pour le reste l’offre est très ciblée pour le marché américain, avec une application de banque similaire à celle que l’on peut trouver chez les néo-banques européennes (N26, Revolut, Orange Bank…) mais très avancée par rapport à ce que proposent les banques américaines.
Le principal argument d’Apple Card est sans doute la carte bancaire en titane gravée au laser fournie chaque client, officiellement au cas où le paiement via smartphone ne serait pas disponible. Elle devrait se révéler un nouveau « marqueur de statut » comme autrefois la carte American Express. C’est sans doute pour éviter que les utilisateurs ne boudent le paiement mobile afin d’exhiber fièrement leur carte qu’Apple ne reverse que 1% de « cashback » sur les paiements par ce moyen.
Au final Apple Card permettra plus de fidéliser les clients les plus dépensiers que de générer des revenus significatifs. Disponibilité : cet été au Etats-Unis.
Apple Arcade : l’anti-Stadia
Après avoir rappelé qu’iOS était « la » plus grosse plateforme de jeux du monde avec 1 milliard de joueurs (plus exactement, qui ont téléchargé au moins un jeu sur l’App Store) Apple a poursuivi sa stratégie « freemium » dans les jeux. L’App Store va ainsi voir apparaître un nouvel onglet « arcade » donnant accès à une centaine de jeux exclusifs sur abonnement.
Le nouvel onglet « Arcade » incontournable dans l’appstore
Pour constituer son offre Apple va se positionner comme éditeur en avançant aux développeurs les fonds nécessaires à la création de certains jeux en échange d’une exclusivité. Un rôle traditionnellement dévolu aux géants du secteur comme EA ou Activision et qui pourrait bien valoir quelques ennuis à la société auprès des autorités de la concurrence. En effet Arcade sera accessible directement dans l’App Store, point de passage exclusif pour les produits distribués sur iOS pour ses concurrents.
Pour le reste, et même si Apple a taclé les offres de streaming de jeux (comme le nouveau Stadia de Google), il s’agit d’offres visant des publics différents. Apple souhaite préserver son avantage dans les jeux mobiles face à Android, en constituant un catalogue exclusif pour les joueurs occasionnels. A l’inverse Stadia de Google vise principalement les joueurs fréquents sur consoles et PC ; son modèle économique ne reposera probablement pas sur une offre d’abondance comme Arcade.
Le service sera disponible à l’automne dans 150 pays et « régions » ; aucune précision n’a été donnée sur le prix. Apple promet là aussi une forte « curation » des jeux et la protection de la vie privée.
Apple TV channels : le bouquet OTT
La pièce de résistance de la keynote était bien sûr la télévision, ou plus précisément « Apple TV app », l’application, à ne pas confondre avec Apple TV, le boîtier. Tellement facile à confondre que Tim Cook a lui-même semblé hésiter en prononçant « Apple TV… app ».
La nouvelle interface de TV App avec des aperçus plein écran « à la Netflix »
La nouvelle TV App reste gratuite et devient l’unique portail d’entrée vers les films et la TV chez Apple, iTunes semblant tirer sa révérence. L’interface évolue avec des onglets dédiés aux films, séries, sports et un nouvel environnement « enfants » ; elle est plus immersive avec des aperçus et bandes annonces en plein écran, la possibilité de « swiper » vers la gauche ou la droite pour changer de chaîne ou de sauter le générique.
TV App propose toujours une sélection de contenus à la demande et en direct provenant de diverses applications partenaires et réalisée par des employés d’Apple. La lecture de ces contenus s’effectue systématiquement dans les applications des partenaires, ce qui oblige les utilisateurs à quitter le monde de la pomme et potentiellement à confier leurs données personnelles (et de paiement) à d’autres qu’Apple.
Pour remédier à cela Apple lance « TV channels », son bouquet de chaînes « over the top » (diffusé via Internet). Il reprend le modèle d’Amazon Channels en proposant l’accès aux contenus de différentes chaînes « premium » directement dans TV App, la facturation et la diffusion étant assurés par Apple.
Premiers partenaires de TV Channels. Un grand nombre sont aussi disponibles dans Amazon Channels
Les différentes chaînes du bouquet « Apple TV Channels » ne sont pas regroupées mais apparaissent au milieu des contenus fournis par les différents applications partenaires. Ainsi après avoir introduit avec TV App un intermédiaire entre les applications de streaming et leurs utilisateurs, Apple cherche à détourner une partie de ceux-ci vers d’autres contenus.
Globalement l’expérience d’abonnement aux chaînes du bouquet est « sans couture », un clic sur un bouton d’abonnement à une chaîne permet d’avoir un essai gratuit et de visionner les émissions directement. Chaque chaîne est disponible à la carte, pas besoin de souscrire au bouquet complet.
Une “publicité” pour une chaîne du bouquet
L’ensemble de la démonstration de TV app a été faite sur Apple TV (le boîtier), preuve que l’écran TV reste roi pour consommer ce type de contenus ; la nouvelle version de l’app sera disponible en Mai sur cette plateforme, mais aussi sur iPad et iPhone et même sur Mac cet automne.
Mais quid des utilisateurs qui viennent d’investir dans un tout nouveau téléviseur 4K ? Seront-ils obligés de s’équiper également d’une Apple TV pour profiter de TV app ? Heureusement non. Après AirPlay et Homekit Apple continue à « embrasser » le monde de la TV connectée en portant TV App sur les TV Samsung (à la place d’iTunes annoncé au CES en Janvier) mais aussi LG, Sony, Roku, Vizio. A noter que la version embarquée sur ces téléviseurs ne donnera accès qu’au contenu diffusé par Apple directement (Vidéo à la demande, Apple TV channels).
Plus surprenant, TV App sera aussi disponible sur la plateforme Fire TV d’Amazon, qui propose pourtant un bouquet OTT concurrent. On peut y voir une forme d’alliance entre les 2 « A » de GAFA, Prime Video étant aussi disponible sur TV App.
La nouvelle version de TV App sera disponible dans plus de 100 pays ; aucune information n’a été fournie sur le prix des différentes chaînes du bouquet, ni leurs disponibilités pays par pays.
Apple TV+ : la boîte à célébrités
Clou du spectacle, dans tous les sens du terme : Apple TV+ (Canal+ appréciera la référence). Il s’agit de la version « premium » de TV App qui a été par le passé présenté comme un possible « Netflix killer ».
Si Apple n’a pas lésiné sur les moyens en invitant un maximum de stars d’Hollywood à faire le déplacement à Cupertino, il a été assez avare sur les détails du service, que ce soit au niveau du prix ou du contenu exact. Tout juste sait-on qu’il sera disponible dans plus de 100 pays à l’automne et accessible directement via TV App (au risque de concurrencer encore un peu plus les partenaires présents dans cette application).
Une nouvelle version du « nuage de fonctionnalités » avec les célébrités Apple TV+
La partie de la « keynote » dédiée à « Apple TV+ » s’est révélée extrêmement longue, ennuyeuse voire réellement embarrassante. Après une vidéo type « envolée lyrique » sur le pouvoir des histoires, plusieurs réalisateurs (Spielberg, JJ Abrams), acteurs (Reese Witherspoon, Jennifer Aniston, Steve Carrell…) et même des marionnettes (Sesame Street) se sont succédés sur scène pour « pitcher » leurs émissions, mais sans en montrer d’extraits. On attendait mieux pour un service préparé depuis des années et pour lequel Apple a déjà investi plusieurs milliards de dollars.
Restait le « one more thing», en l’occurrence un discours de la star de la TV américaine Oprah Winfrey. Celle-ci annonçait vouloir « réconcilier l’Amérique » via un talk-show autour de son « club de lecture » et plusieurs documentaires disponibles sur Apple TV+.
Si Oprah Winfrey a réussi à émouvoir Tim Cook, elle a surtout révélé à tous la raison de sa présence et de celles des autres stars à Cupertino : le rêve de pouvoir atteindre 1 milliard de personnes dans le monde entier, tous connectés « à travers Apple », pour diffuser leurs émissions. Alors entre Apple qui rêve de célébrités et les stars qui rêvent de milliards d’iPhone, qui se réveillera le premier ?
Sauvé (et plébiscité) par la population, l’audiovisuel public suisse forcé de vite se réformer
Il y a juste un an, les Suisses, consultés par référendum, affirmaient haut et fort – à près de 72% — leur besoin de service public audiovisuel. Les entités régionales de la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SSR) pouvaient donc continuer à informer et divertir la Confédération.
Mais pas n’importe comment, ni à n’importe quel prix.
« On avait gagné, mais cela ne faisait que commencer ! Déjà, nous avons eu 8% de budget en moins », a expliqué, cette semaine à Paris, son patron Gilles Marchand devant les cadres de France Télévisions. Et surtout, la SSR, qui emploie 6.000 personnes, se devait de mieux répondre aux nouveaux usages du public, aux nouveaux concurrents Internet, à la révolution numérique. « Une révolution qui est sociologique, et non pas technologique », rappelle-t-il.
Le groupe suisse s’est donc engagé à rééquilibrer considérablement ses activités broadcast et numériques :
De cet épisode qui a profondément marqué le groupe, Gilles Marchand a appris 4 leçons :
L’émergence de nouvelles alliances politiques très improbables. Notamment des conservateurs populistes avec les jeunes libertariens ayant un ennemi commun : les institutions. Un bloc disparate, très difficile à affronter. « Soyez vigilants ! »
Contre intuitivement, la forte adhésion des jeunes au service public. La tranche d’âge qui a le plus soutenu l’audiovisuel public ? Les 18-25 ans ! Ils adhèrent à ses valeurs autour de la culture, de la musique, du cinéma. « Ce que nous représentons est supérieur à ce que nous faisons ».
La nécessité d’avoir un dialogue direct avec la société. Et non via différentes parties prenantes, comme les partis politiques, les associations, etc…
La grosse demande de partenariats public / privé. « Il faut que d’autres se battent aussi pour vous« .
Il en tire aussi trois enseignements pour l’avenir du groupe :
La performance (la part de marché d’audience TV) ne sert pas à légitimer son existence.« Ce n’est pas le bon indicateur ». Il reste toutefois à mieux définir son empreinte digitale.
La numérisation n’est pas un but, mais un moyen.
La vraie valeur ajoutée c’est la différence.
D’où, pour le dirigeant, la nécessité de tout faire pour gagner encore davantage la confiance du public, en montrant notamment plus de transparence sur les choix de programmes et de sécurité autour de ses données.
Le groupe SSR exploite 7 chaînes de télévision, 17 stations de radio. Il est financé à environ 80% par la redevance et à 20% par des revenus commerciaux.
Un immense débat de société dans toutes les couches de la société a eu lieu en 2017 et début 2018 en Suisse –pays connu pour ses nombreux référendums d’initiative populaire– après que trois jeunes libertariens de Zürich ont estimé qu’il n’était plus légitime de payer la redevance TV et qu’il fallait mettre aux enchères les concessions TV et radio. La société civile s’est saisie du sujet, des campagnes ont surgi sans contrôle de la SSR qui ne pouvait faire faire campagne. Seulement accueillir les débats sur ses plateaux, y compris les partisans de sa propre disparition, qui en septembre 2017, selon les sondages, représentaient la moitié de la population !
Tous les cantons ont finalement rejeté cette initiative à 71,6% et évité un possible effet domino en Europe.
5G : pivots et alliances inévitables dans le vieux monde ; les Uber, Instagram et Netflix de demain en gestation
Avec des étoiles dans les yeux, Barcelone n’a cessé depuis au moins 5 ans de parler de la 5G ! Et très vite on a su que l’Europe était en retard ! Elle l’est toujours !
Notamment la France où « les élites n’osent pas parler de technologie, car elles n’y connaissent rien, et que cela fait plouc dans les dîners en ville », résumait cette semaine à Barcelone un dirigeant parisien.
Mais cette fois on y est ! Et le Congrès mondial des mobiles n’a encore parlé que de ça. Sous pression d’une forte intensité industrielle locale, la 5G sera donc disponible en Corée dès le mois prochain, et sous peu au Japon. Asticotés par Trump, les telcos américains accélèrent aussi son déploiement.
L’enjeu est considérable. Une ère informatique inédite s’ouvre car cette génération de téléphonie mobile puissante — débit énorme, latence minime — arrive au moment où se déploient l’Internet des objets, le cloud, le machine learning et la robotique.
Le plus impressionnant est ce qui n’existe pas encore, mais va secouer tout le monde !
Le plus étourdissant, dans la 5G, est son potentiel. Des services nouveaux vont émerger. Les Uber, Airbnb, Instagram et Netflix de demain n’existent pas encore, mais sont en germe dans ce cocktail accélérateur d’automatisation. C’est la génération Z et les suivantes qui en profiteront le plus.
« Mais quand ça va vraiment démarrer, ça va aller très vite », a averti le pdg de Cisco, Chuck Robbins. La « killer-app » de demain ? « Aujourd’hui, je dirai le mobile de mon fils de 17 ans qui servira de hot spot à ses 5 copains pour jouer ensemble à Fortnite », ajoute-t-il. « Dans trois ans, en 2022, il y aura en tous cas plus de trafic que le total des connexions combinées depuis le début d’Internet ».
Des avancées considérables sont pressenties pour les véhicules autonomes, les smart cites, la chirurgie, l’aide médicale à distance, l’insatiable consommation de plus en plus immersive de vidéos, et peut-être pour mieux lutter contre le réchauffement climatique.
Pour rester pertinents et trouver de nouveaux débouchés, des secteurs entiers vont être à nouveau bouleversés, contraints de faire pivoter leurs activités et de repenser leurs modèles d’affaires, forcés de s’ouvrir bien d’avantage et surtout de nouer des alliances inédites, y compris avec des concurrents, dans l’industrie, comme dans les services. En B2B, comme en B2C. Et par eux-mêmes, avant que d’autres ne le fassent pour eux ! Mais aussi vite, avant la prochaine récession.
Partenariats contre nature, mais inévitables
Ces nouvelles alliances, souvent contre nature mais inévitables en raison des compétences nécessaires et des effets d’échelle des réseaux, apparaissent déjà.
Dans la mobilité urbaine intermodale à la demande (anciennement l’automobile !), l’alliance Daimler Mercedes / BMW prend son essor avec le développement rapide de quatre sociétés conjointes à vocation mondiale (Parknow, Reachnow, Freenow, Sharenow) qui rachètent de nombreuses firmes en Europe. Et si avant chaque constructeur cachait le plus possible les travaux de ses bureaux d’études, l’heure est aujourd’hui à l’innovation ouverte des plateformes, a souligné le pdg de Daimler, Dieter Zetsche.
Même Microsoft, en présentant à Barcelo,e la version 2 de son impressionnant casque de réalité augmenté Hololens, a surpris en promettant d’ouvrir bien davantage sa techno. D’ailleurs les deux firmes ont décidé de coopérer étroitement dans le cloud ! Tout comme Volkswagen cette semaine avec IBM et … Microsoft, Renault à l’automne avec Google, ou même l’espagnol Seat qui fait des trottinettes électriques avec Segway.
Dans les médias aussi
C’est ce type de pari qu’a déjà engagé le groupe de presse allemand Axel Springer en s’alliant à Samsung pour devenir la première appli mobile d’infos en Europe avec Upday, disponible dans 16 pays, s’est félicité son pdg Peter Wurtenberg envoyé un an dans la Silicon Valley par le big boss du groupe pour se frotter à l’innovation.
Dans la vidéo aussi qui domine de loin l’activité sur mobiles. La BBC vient ainsi de s’allier à son concurrent privé ITV pour lancer en fin d’année une offre de streaming à la demande face à Netflix et Amazon Prime. En France, les 3 grands groupes audiovisuels (France Télévisions, TF1 et M6) travaillent depuis des mois à une offre commune. Vimeo, qui travaille sur des solutions de captation live multi-caméras sous IA, a assuré que sa plateforme vidéo permettrait vite à tout un chacun de bâtir son propre Netflix !
Multipliant les expérimentations et la prise de risque, Universal Music s’est dit, à Barcelone, en complète réinvention autour des données de consommation mobiles et a évoqué des développements dans les vidéos 4K, le jeu vidéo et les réalités altérées.
Le CIO s’est allié à Alibaba pour profiter de son cloud pour les prochains JO de Tokyo, pour y développer des expériences live en réalités virtuelles et augmentées sur mobiles afin de mieux profiter des performances des athlètes, et aider les juges dans leurs notations.
Pivot également pour les telcos, la médecine, mais aussi les géants de la tech
Flanqués d’une image peu flatteuse auprès des consommateurs qui a peu à envier à celles de l’industrie du tabac ou des banques, les opérateurs de télécommunications sont également contraints de pivoter. Leurs investissements en réseaux sont importants, leurs modèles d’affaires incertains, alors que la connectivité devient une commodité dans un monde, où là comme ailleurs, la valeur est captée en quasi-totalité par les applis, les plateformes et les services OTT. Ils vont donc dans les médias, comme en Amérique, dans des services de données à valeur ajoutée, les systèmes de paiement, d’automatisation (mise à disposition de réseaux 5G privés), ou même de jeux vidéo mobiles, comme à Singapour. L’espagnol Telefonica mise, lui, sur le sang frais, ouvre ses applis et a investi dans 800 start-ups.
Des acteurs confirmés de l’Internet entendent aussi profiter de ces nouvelles opportunités. Le japonais Rakuten a annoncé à Barcelone qu’il se lançait dans … la téléphonie mobile, ce qu’aucune messagerie OTT (Snap, Wechat, WhatsApp, Viber…) n’a encore osé faire. Son pari est de tout faire en logiciel et cloud natifs. Un réseau virtuel automatisé avec quasi aucune infrastructure ou maintenance physique.
Le taiwanais HTC a assuré que dans les futures années 20, « quand la 5G sera aussi commune que l’air qu’on respire », les technos de réalités virtuelles et augmentées remplaceront nos sens !
Niantic, le producteur de Pokemon Go, entend mettre sa cartographie dans le cloud et profiter de la 5G pour rendre ses jeux de réalité augmentée multi-joueurs, synchronisés en temps réel sur mobiles, mais aussi de l’informatique en périphérie de réseau (edge computing) pour accroître le succès de ses évènements géants.
Groupon (1er site d’e-commerce en France !), pour qui le mobile a déjà tout changé (75% de transactions mobiles contre 25% en 2011) confirme une règle absolue de l’écosystème numérique : l’obligation d’être là où vit l’utilisateur. Et donc de privilégier la qualité du contexte, du confort et de la connexion.
La médecine à distance se développe aussi. Une opération de chirurgie gastrique a été réalisée cette semaine à Barcelone dans un hôpital local en liaison live avec une équipe de médecins conseils installée dans le Congrès mobile. La start-up britanniqueBabylon Healthqui met en relation patients et médecins via un forfait mensuel à la Netflix (10£/mois) revendique 1.000 consultations par jour en face à face via mobiles, et 5.000 consultations quotidiennes via… son intelligence artificielle.
Enfin, Barcelone a évidemment aussi été le lieu de nouveautés (téléphones pliables) et de polémiques, notamment liées à la méfiance occidentale à l’égard du Chinois Huawei qui a assuré que sa 5G était cinq fois plus rapide que l’américaine ! D’autres les ont très bien racontées.
Mais, en matière de 5G et d’intelligence artificielle, le problème en Europe, c’est que les gouvernements n’arrivent pas à suivre, a synthétisé un dirigeant de Facebook à Barcelone.
ES
Magic Leap dévoile sa vision d’une « informatique spatiale »
A Munich, ce samedi, un des dirigeants de Magic Leap, la start-up de Floride qui développe un ambitieux dispositif de réalité augmentée, a commencé à dévoiler son ambition de devenir un acteur majeur de la prochaine ère informatique : la spatiale !
Une informatique spatiale qui permettra à l’utilisateur de naviguer dans plusieurs couches associées du monde physique et des mondes virtuels, a expliqué Rio Caraeff, le directeur des contenus de Magic Leap, lors de la conférence annuelle DLD qui accueille les dirigeants de la tech et du numérique sur leur route vers Davos.
Elle associera quatre dimensions : les champs sensoriels qui assurent l’interface entre le monde extérieur et les humains; nos actions analogiques et numériques du quotidien ; une intelligence artificielle centrée autour de l’humain ; et un univers magique où nous pourrons naviguer dans un nombre infini d’applications.
Exemple :
Evidemment ce monde là intègre des avatars compagnons futurs de nos existences et Magic Leap vient d’en créer un particulièrement troublant, baptisé Mica:
Magic Leap emploie aujourd’hui plus de 1.600 personnes et a déposé près de 3.000 brevets. Elle compte parmi ses actionnaires Google, Alibaba, Qualcomm, AT&T et JP Morgan.
Reste donc à délivrer !
CES 2019 : tech et résilience pour survivre dans un monde interconnecté
« Aujourd’hui, toutes les entreprises deviennent des firmes technologiques », a bien résumé cette semaine Gary Shapiro, le patron du CES en ouvrant la plus grande foire mondiale de la tech.
Résumé des épisodes précédents au CES :
2015 : les objets commençaient à se réveiller à Las Vegas pour façonner l’Internet de tout !
2016 : la vraie nouveauté n’était pas exposée, mais en toile de fond invisible, l’intelligence artificielle, à la demande, partagée en temps réel, commençait à tout changer.
2017 : la voix, nouvel OS de nos vies connectées, s’annonçait comme la nouvelle grande plateforme technologique.
2018 : la voiture, bientôt autonome, entendait remplacer le smart phone, comme le prochain grand canal de distribution de contenus.
2019 : un cocktail de 5G, d’IA, d’AR, d’IoT (dire désormais Intelligence des Objets), mâtiné de blockchain et de robotique, est en train de conduire assez naturellement à un nouveau monde interconnecté, très horizontal, où fusionnent informatique et électronique, monde physique et numérique, dans la plupart des secteurs économiques (santé, sport, finance, agriculture, divertissement, mode, transports, infrastructures,…).
(Getty Images)
Et, signe des temps, une section et des conférences furent même dédiées à la résilience pour nous aider à surmonter et dépasser l’altération, parfois brutale, de nos conditions de vie et de notre environnement et à nous préparer aux tensions et chocs futurs. Autour des technologies résilientes liées à la cyber-sécurité, aux smart cities, à la lutte contre les catastrophes naturelles et le changement climatique, voire l’anti-terrorisme.
Mais, vous l’aurez compris, pas de percée particulière d’une techno révolutionnaire, cette année.
Plutôt la mise en place progressive d’une nouvelle vague technologique intégrée qui repose essentiellement sur les données, utilisées par les différentes plateformes.
Passage en revue (non exhaustif) des tendances :
5G : une réalité en 2019 ! L’écosystème est prêt !
A l’intersection de l’informatique et des télécommunications, la 5G va transformer des industries, la manière dont on travaille et on se divertit. Elle va aussi améliorer nos expériences en mobilité et notamment permettre le streaming de vidéos en 8K, la vidéo volumétrique live, le téléchargement de films 4K en quelques secondes, ou le jeu multi-joueurs sur mobile. Et pourquoi pas remplacer nos connexions haut débit à la maison, au grand dam des fournisseurs d’accès ?
Les grands opérateurs américains sont désormais engagés dans la bataille et déjà des terminaux – probablement très onéreux– pointent leur nez : LG a annoncé un smart phone 5G avec Qualcomm, et Samsung le sien pour le second semestre. Avant probablement un mobile pliable d’ici quelques semaines.
IA, voix, assistants numériques
L’intelligence artificielle (IA) est désormais partout : des microprocesseurs aux smart phones, des applis aux assistants numériques, qui eux se glissent vraiment partout (foyers, voitures, électroménager,…).
L’IA, qui comprends de mieux en mieux nos besoins, voire nos intentions, est en train de devenir notre médecin, notre éducateur, notre assistant de shopping…Des progrès sont en cours pour en profiter avec des bassins de données moins importants qu’avant et plus à notre échelle. Mais seulement 1% des données émises actuellement sont collectées et traitées, a déploré la pdg d’IBM, Ginni Rometty. Il est temps d’aller ponctionner le « deep data » !
La voix confirme son nouveau statut d’interface privilégiée, à la maison et dans les véhicules. Nous allons de plus en plus parler à nos appareils ! Le « speech to text » devrait vite frôler la perfection.
(Stand Alexa d’Amazon)
La bagarre Amazon/Google bat son plein : Alexa revendique 60.000 « compétences » disponibles dans plus de 20.000 équipements différents. Amazon a indiqué avoir vendu 100 millions de terminaux dotés d’Alexa.
Google a indiqué, de son coté, avoir équipé un milliard de terminaux avec son Assistant. Soit 10 fois le nombre d’Amazon !
Ces assistants deviennent les hubs de nos foyers connectés.
TV : plus grandes, plus belles, plus smart !
Les principaux fabricants TV ont évidemment intégré ces dispositifs vocaux, dans les télécommandes comme dans les téléviseurs eux-mêmes.
On peut désormais demander à son téléviseur : « qu’est-ce qu’il y a à la télé ce soir ? Ou montre-moi un contenu similaire à ce que j’ai regardé hier ! ».
Samsung comme LG ont annoncé avoir équipé leurs écrans d’assistants vocaux d’Amazon (Alexa) et de Google (Assistant), mais aussi du standard AirPlay d’Apple. Tout comme Sony. Samsung y a même ajouté iTunes ! Une bonne occasion pour Apple d’étendre sa distribution. Avant des annonces cette année.
Les dalles de télé sont de plus en plus grandes, y compris pour le marché européen.
Et évidemment plus question d’en vendre qui ne propose par une définition d’images 4K. Plus de la moitié du parc français devrait ainsi être en 4K d’ici 2020, estime Sony.
La 8K, sans intérêt pour des écrans de moins de 65 pouces, est mise sur le marché, mais sans grand espoir commercial pour le moment. Il devrait s’en vendre quand même 200.000 aux Usa cette année. LG avec une première dalle OLED, Samsung et sa QLED …
Ces téléviseurs intègrent des fonctionnalités d’IA qui savent optimiser sons et images, même venant de définitions inférieures.
(télécommande LG : voir boutons Netflix et Prime en bas !)
Le coréen LG a quand même surpris avec sa spectaculaire télévision déroulable !
Et Sony, faute d’annonce de nouveautés, a fait le choix d’un stand non pas dédié aux terminaux, mais aux contenus et à leurs créateurs.
Voitures autonomes
« Nous sommes en train de créer une entreprise technologique. Nous devons penser numérique et non plus mécanique », a expliqué le patron du nouveau constructeur automobile chinois Byton qui a confirmé la mise sur le marché de ses modèles tout électrique concurrents de Tesla pour la fin 2019.
Progressivement, les différents acteurs de cette filière mettent en place les dispositifs qui vont permettre la circulation des voitures autonomes dans quelques années, rendant probablement sûr ce mode de transport. L’arrivée de la 5G, cette année, aide beaucoup. Des expérimentations sont menées sur des portions de route, comme au Colorado avec Panasonic.
Les constructeurs investissent tous dans des start-ups d’IA, les fabricants de puces (Intel, Qualcomm,…) développent tous des dispositifs de communication et de détection de l’environnement extérieur dits « V2X » (« Communication to everything » ! V2V = vehicule to vehicule ; V2I = vehicule to infrastructure ; V2P = vehicule to pedestrians). Ford le déploiera dès 2020. Et Qualcomm a ainsi dédié la quasi-totalité de sa conf. de presse aux progrès de la voiture autonome.
Mais nous ne sommes encore qu’au tout début de l’automatisation de la conduite. Et une certaine prudence fut ressentie cette semaine à Las Vegas sur la vraie autonomie qui n’est attendue désormais que vers 2030.
Une autre nouvelle bataille fait déjà rage : celle des tableaux de bord écrans géants d’un bord à l’autre de l’habitacle et intégrant une connectivité et l’accès aux contenus pour des expériences à bord radicalement nouvelles. Des caméras surveillent aussi l’attention du conducteur.
Ceux de Byton font 40 pouces, intègrent Alexa, et sont complétés par une tablette encastrée dans le volant et une autre près du siège passager.
L’idée est de transposer l’expérience du smart phone, voire du salon, dans l’habitacle. Böse introduit ainsi sa techno anti-bruit dans le véhicule.
VR et AR : notre environnement physique va devenir un élément actif de nos expériences
Moins de visibilité pour les dispositifs de réalité virtuelle et augmentée cette année, même si on a vu de nombreuses lunettes d’AR, des miroirs AR, et quelques casques, mais aussi la poursuite des efforts de HTC en VR.
Le son augmenté et spatialisé s’est aussi invité à l’instar des lunette Böse ou d’un prototype prometteur d’appli Sony 360 Reality Audio très immersive qui pourrait bien révolutionner la musique en amenant l’utilisateur sur scène, dans le studio ou au milieu de l’orchestre.
Santé, sécurité, bonne conscience
Le secteur de la santé dépasse désormais le seul domaine des « wearables » pour développer des dispositifs médicaux et cosmétiques de plus en plus sophistiqués. Notamment pour détecter des signes précurseurs de maladies dégénératives ou auto-immunes.
Celui de la sécurité aussi. La 1ère compagnie aérienne mondiale, Delta, met en place progressivement l’embarquement par reconnaissance faciale des passagers, tandis que le plus gros distributeur américain, Walmart est en train d’exiger de ses fournisseurs qu’ils adoptent la blockchain pour la traçabilité quasi instantanée des denrées alimentaires.
Chacun a eu également a coeur, signe des temps également, de faire quelques mea culpa en matière de durabilité, diversité, inclusivité, confiance, transparence, etc…
Enfin, comment ne pas relever le nouveau défi d’IBM qui propose une IA capable de débattre avec des humains ! A regarder de près pour remplacer certains experts de plateaux télé, non ?
ES
L’histoire dramatique de l’image d’illustration à la télé
Par Hervé Brusini, France Télévisions, Direction de l’Information
Effacer un mot d’ordre politique sur une photo destinée à être publiée, est un geste inadmissible pour un journaliste. Qui pourrait en douter ? Pourtant cela a bien eu lieu sur l’une des antennes du service public. Et en ces temps d’infox, toute explication légitime d’erreur, de faute, a toutes les peines du monde à se faire entendre. Même s’il est grotesque d’imaginer qu’une cinquième colonne aux ordres du pouvoir agirait ainsi dans l’ombre pour se plier à la voix de son maître. Et qui plus est sur le service public et indépendant, de l’audiovisuel.
A quoi servent donc les images ainsi placées derrière celle ou celui qui présente le Journal Télévisé ? Sa fonction consiste à « illustrer » le conflit des gilets jaunes. Elle introduit aussi l’éventuel reportage à suivre. Elle donne une information en soi et agit comme un signal. Or, cet élément parmi tous ceux qui composent la production éditoriale d’un journal, a son histoire. Une histoire mouvementée, parfois dramatique.
Déjà en 68, la grève avait sa représentation
Cela a commencé par ce qu’on a pudiquement appelé, les événements. En 1968, la France vivait les manifestations étudiantes et pour la télé de l’époque, montrer ce qu’il se passait, apparut d’emblée comme un problème qu’il fallait régler au plus vite. On sait ce qu’il en advint : la censure des reportages décrétée par un pouvoir politique en désarroi.
Mais il fallait aussi, rendre compte des manifestations ouvrières. Ce pouvoir qui n’aimait pas « voir et entendre » les cortèges de la revendication, filmait abondamment, grâce à un petit groupe de journalistes restés fidèles au poste, les gares, les usines désertées. On mettait aussi l’accent sur les pompes à essence prises d’assaut, car le précieux carburant se faisait rare. Au fil des jours c’est un lexique qui peu à peu se mit en place. L’image de l’arrêt général devint une sorte de logo de « LA » grève façon mai 68. Une image fixe, fixée par une volonté politique finit ainsi par s’inscrire durablement dans le vocabulaire de l’actualité télévisée. « La grève » avait sa représentation. La photo d’un lieu vidée de toute activité, illustrait dorénavant le conflit social.
Le claquement de portières, puis le choc pétrolier
Un autre sujet avait déjà fait l’objet, il est vrai, d’une telle « logotisation » d’un domaine éditorial : la politique. Sous la IVe république, la valse des gouvernements avait en son temps constitué une question journalistique délicate à traiter en images. De fait, la mécanique des rapports de force entre partis était in-filmable. Alors, dans la logique de l’époque du primat de l’image, on filmait tant et plus les voitures arrivant à Matignon. Les huissiers à grands colliers qui accueillaient les futurs et ex ministres devinrent les vedettes involontaires des crises politiques. Le « fameux claquement de portières » aujourd’hui oublié, fut pendant toute une période le signal que l’on parlait de « La » politique. C’est ainsi que des images devinrent pour les téléspectateurs, le panneau indicateur du sujet abordé, et pour les journalistes, le tout-venant répétitif, bien utile pour « parler » de ce même sujet. L’illustration télévisée était née.
Quelques années plus tard, le monde connut une déflagration qui vint brutalement accélérer ce processus. Le choc pétrolier du début des années 70, mettait en œuvre une multiplicité d’aspects. La géopolitique, l’économie, la vie courante (etc.) avec à la clé et comme toujours, cette lancinante question : comment traduire tout cela en images ? Car il apparaissait compliqué de serrer la main et donc plus encore de faire l’interview du choc pétrolier. La nature à la fois conceptuelle et concrète de l’événement rendait le traitement aisé et mal aisé. Le logo du moment fut une succession de plans rapidement usés jusqu’à la trame, de derricks, de pipe-line, d’hommes en tenue traditionnelle du Moyen-Orient – djellaba et turbans -, et bien sûr, et à nouveau, de stations essence. A l’occasion du deuxième choc pétrolier, On alla d’ailleurs jusqu’à inventer sur Antenne 2 le 10 décembre 1979, un faux journal de 20 heures qui imaginait carrément la rupture totale de l’approvisionnement pétrolier. Les logos avaient si bien fonctionné que tout le monde (ou presque) y crut. Le standard sauta malgré une maigre incrustation clignotante qui indiquait « fiction ».
Images prétextes
La décennie des années 70 connut ce martèlement d’images montées dans un sens, dans un autre, comme un bonneteau aléatoire où précisément la question du sens sur l’écran ne se posait plus. C’est le son qui donnait l’info, mais plus ce que l’on donnait à voir. La télé commençait à s’écouter, moins à se regarder. La valeur image amorçait sa chute. On fit bien pire. Sur l’étal des plans disponibles pour parler de tout, les images de foules ont bien vite figuré en bonne place.
Rues, avenues, places, tous les lieux ou vous et moi déambulons, tels de merveilleux anonymes, permirent de parler des dernières dispositions en matière de retraites, de vacances, de famille, de couples avec ou sans enfant, du moral des français… Géniale invention que ces séquences qualifiées par les professionnels « d’images prétextes » et catastrophe induite pour la télé en tant que telle. Avec la politique, l’économie maniait en apprenti sorcier ces plans que les documentalistes de l’INA savaient particulièrement prisés par les jt. S’interroger sur les lieux, l’identité des personnes que l’on exposait ainsi au regard des masses eut passé pour une question des plus incongrue.
Pas de doute, nous venons de fort loin dans nos pratiques, c’est indéniable. Après c’est aussi cela un journalisme qui évolue, l’apprentissage est permanent. Fort heureusement, cette descente aux enfers de l’image connut un coup de frein salutaire. Il fallut presque une décennie pour commencer à écrire sur l’écran, les mots, les chiffres qui nourrissaient jusqu’ici les commentaires des experts de l’image prétexte.
Images support
Un peu comme dans les dessins animés d’antan, des celluloïds placés sous les caméras verticales permettaient de faire apparaître la courbe du chômage sur les beaux plans de foules sortis par les archivistes. Mieux, des services « déco » furent créés pour découper des silhouettes en papier, ou réaliser divers croquis afin d’aider à représenter ces maudits sujets in-filmables dans la rue. L’électronique fit le reste. On put enfin écrire directement sur les plans de foules, routes ou immeubles, officiels ou non. On passait ainsi de l’image prétexte à l’image support pour l’info. L’illustration gagnait en performance. Des images parfois spécialement destinées à cette usage, photos ou films décadrés furent fabriquées pour faciliter le placement des « écritures ».
Ainsi, trois régimes de mise en images coexistent peu ou prou dans l’actualité télévisée. D’abord, il y a les plans d’illustration prétexte, puis ceux qui affichent l’écrit, et enfin l’infographie intégrale qui ne fait plus appel à aucune image réelle.
Rénovation permanente
Voici donc, en grandes enjambées, plus de 40 années de trajectoire, qui constituent ce que l’on pourrait appeler le drame de l’image d’illustration à la télé. Un drame et non une tragédie. Car le drame se nourrit on l’a vu de rebondissements, de trouvailles comme de catastrophes. L’histoire ne s’arrête donc pas là.
Dans son mariage avec le temps réel, le studio qui constitue le lieu prépondérant de l’actualité télévisée, vit une rénovation quasi permanente. Le reporter qui intervient, parfois longuement en direct sur les chaînes d’info continue, apparaît le plus souvent avec à ses côtés une fenêtre où l’on peut voir des images « en relation » avec son discours. Nouvelle problématique donc, de l’illustration.
Ces images parfois répétitives ont valu à ces médias le reproche virulent d’être anxiogènes à force de « diffusion en boucle » des fracas du monde. De fait, cette diffusion pour cause d’illustration d’une tête que l’on pense insupportable à voir au long cours, n’est pas sans poser de nombreuses questions. La pertinence des plans choisis, leur adéquation avec l’énoncé, leur effet circulaire montrent assez qu’une utilisation devenue quotidienne suppose une vigilance de tous les instants.
De même, ces « fresques » – expression professionnelle – mise en place dans les grands écrans à l’arrière-plan qui encadre celles et ceux chargés de présenter le journal. Plans larges, plans serrés, l’effet de sens est instantané. Le péril guette à tous moments, dans le filmage et bien sûr on l’a cruellement vu, dans le choix, et surtout dans l’intervention éventuelle sur l’image fixe que l’on donne à voir.
Ainsi depuis près de 7 à 8 ans, cette innovation intensive de l’écran dans l’écran, nécessite que l’on nourrisse avec rigueur ce qui est aussi une proposition éditoriale. Des photos d’agence, des images arrêtées des reportages contribuent à ce travail d’illustration quotidien et maintenant omniprésent dans les éditions. Et cela n’a rien à voir avec du papier peint, tant s’en faut. Les grandes chaînes anglaises pratiquent cet art de faire depuis bien longtemps. Quotidiennement, ces dernières font ce travail de collage, autrement dit de recomposition d’images, sans qu’il y ait le moindre doute.
C’est que les cas d’utilisation ont été dument répertoriés et disciplinés. En France, faute de profondeur historique, force est de constater que l’exercice reste soumis à des aléas susceptibles de provoquer cette fois de vrais tragédies éditoriales. De tels avatars s’inscrivent dans la lourde histoire dramatique de l’image d’illustration à la télé.
Le sursaut d’exigence est désormais indispensable.
La connaissance du droit à l’image, le respect de l’intégrité des œuvres, du droit d’auteur, des rapports de signification entre discours et illustration, corps cadré et arrière-plan, sont autant de considérations qui s’imposent encore plus aujourd’hui à une profession qui a pour définition de faire œuvre de vérité des faits.
Car l’époque est celle de l’image devenue langage de tous les instants. Un langage pratiqué par le plus grand nombre, les jeunes en particulier sur les réseaux sociaux. Or, c’est là que règnent la désinformation, la contrefaçon des images.
Si le journalisme veut prétendre à la vérité des faits, cela passe par une éthique, une déontologie de l’image. Et pour le service public qui veut contribuer à l’éducation aux médias, et précisément à l’image, l’exemplarité des pratiques est une ardente nécessité. Nous sommes donc ici dans un enjeu crucial. Il s’agit de restaurer la valeur de l’un des principaux vecteurs de l’information. Car, à l’instar des sujets traités par le journalisme, il n’y a pas de petites ou grandes images dans l’actualité télévisée.
Cahier de Tendances Automne-Hiver : bientôt l’ère post-news ?
Et si après le règne des fausses nouvelles et de la post-vérité, le redoutable défi des rédactions devenait celui d’une ère post-news ?
C’est le nouveau danger que nos démocraties risquent d’affronter quand les citoyens se retirent progressivement hors du champ de l’information et se replient sur leurs communautés ou leur espace intime. Quand le problème n’est pas que les gens consomment des fausses nouvelles, mais qu’on ne les atteint plus avec des vraies !
Quelle réalité commune alors partager ? Comment faire société ?
Dans ce nouveau Cahier de Tendances sur l’évolution des médias et du journalisme, nous tentons de voir comment la détérioration des relations des citoyens avec l’information et le dé-tricotage des mass médias par des technologies de rupture ont un impact sur le lien social et la démocratie. Très humblement, et évidemment de manière non exhaustive, nous esquissons des pistes et espérons qu’elles serviront le débat nécessaire. Notamment pour contribuer à restaurer de la confiance.
Une vingtaine d’experts, universitaires, professionnels des médias, journalistes, sous parité parfaite, viennent nous éclairer dans cette 16ème édition qui n’aurait pas vu le jour sans l’énorme travail de création et de coordination de Barbara Chazelle, sa responsable d’édition. Ma gratitude s’adresse aussi à l’ami fidèle Jean-Christophe Defline, dont le crayon saisit si bien l’air du temps.
Comme toujours, vous trouverez, décrites en détail la mutation accélérée des médias internationaux et l’évolution des principaux usages médias, de même que notre sélection delivresrecommandés pour la période plus calme de fin d’année.
Très bonne lecture et excellente fin d’année à toutes et tous !
ES
Comme celle-ci, les précédentes éditions semestrielles sont toutes disponiblesgratuitement en pdf dans la colonne de droite de ce blog.
Freebox Delta, la box ultime ou l’ultime box ?
Par Jérôme Derozard, consultant et entrepreneur. Billet invité
En juin 2010, Xavier Niel, fondateur de Free prédisait dans le cahier de l’ARCEP : « On voit arriver de nouveaux acteurs qui fabriquent des boîtiers : le nouveau décodeur d’Apple, qui sort en fin d’année, la GoogleTV d’Android qui arrive prochainement, et les téléviseurs connectés. D’ici 15 à 20 ans, ces équipements auront fait disparaître le concept de box du marché français.»
A la fin de la même année il était sur scène pour présenter sa Freebox Révolution et relancer la guerre des box en France pendant plusieurs années. A l’époque les offres équivalentes d’Apple et Google disposaient de peu d’atouts : matériels limités, pas de chaînes en direct, ni de services vidéo à la demande illimités, et des réseaux Internet ouverts encore peu adaptés au streaming.
Huit ans plus tard le marché français a radicalement changé
Porté par l’irruption de géants du numérique et de nouveaux acteurs « OTT » (Over The Top – via les réseaux Internet non managés). Des bouquets TV OTT donnant accès à des fonctions avancées comme le retour en début de programme ou l’enregistrement à distance ont séduit des millions d’utilisateurs. Les services de vidéo à la demande sur abonnement sont en pleine explosion. La consommation vidéo se fait de plus en plus sur smartphone, même si le téléviseur reste privilégié pour les contenus longs. L’amélioration des réseaux et technologies de streaming permet de diffuser dans de bonnes conditions un flux TV en direct.
Enfin et surtout les nouveaux boitiers TV « OTT » proposés par Apple, Google ou Amazon intègrent les dernières technologies issues du smartphone, des systèmes d’exploitation aboutis, des interfaces utilisateur graphiques ou vocales fluides ainsi que des boutiques proposant des milliers d’applications et de jeux.
Pourtant Xavier Niel est de retour cette semaine avec une nouvelle box
La Freebox Delta. L’opérateur a ainsi choisi de continuer à concevoir ses propres appareils, en jouant la surenchère technologique et la montée en gamme pour proposer « la box ultime ».
Côté réseau, il a intégré dans un seul boîtier à peu près toutes les technologies de communication fixes et mobiles disponibles actuellement : ADSL, Fibre, Wi-Fi, 4G, internet des objets … Le tout combiné à un espace de stockage personnel conséquent (1 To extensible jusqu’à 20 To), et même à une … sirène.
Côté TV, plutôt que de se plaindre des GAFA(n) ou s’allier à l’un d’entre eux de façon exclusive, Free a choisi de faire jouer la concurrence. Exit Google, partenaire technologique principal de la Freebox Mini 4K via Android TV et Google Assistant, ce sont deux autres géants du numérique qui font leur apparition sur Freebox : Amazon et Netflix.
Le premier fournit son assistant vocal Alexa – optionnel et complété par un assistant maison « OK Freebox » – ainsi que son service de streaming vidéo en direct Twitch, en attendant Prime Video. Le second est embarqué nativement dans la Freebox Delta (et dans la Freebox One, sa petite sœur) tandis que son forfait « essentiel » est inclus dans l’abonnement. Google est tout de même présent via son service YouTube en attendant une possible intégration Chromecast.
Pour se différencier l’opérateur a intégré un système audio Devialet, spécialiste français des enceintes hi-fi compactes ; le tout est piloté par une télécommande tactile associée à une interface utilisateur développée en interne largement inspirée des bouquets TV OTT.
Enfin pour assoir le côté « Premium » de son offre l’opérateur innove dans le mode de commercialisation – et le prix. Fini le prêt gratuit et l’offre tout compris ; l’abonné doit acheter son décodeur TV pour la modeste somme de 480€, payable en 48 fois sans frais, à ajouter aux 49 euros mensuels de l’abonnement et au 100€ de frais d’activation. En échange le freenaute pourra continuer à utiliser (partiellement) son décodeur TV – haut-parleur intelligent s’il change d’opérateur. Xavier Niel a même laissé entendre qu’il pourrait un our commercialiser le Player sur d’autres marchés, et ainsi concurrencer les Apple, Amazon, Google et autres Roku. Cocorico !
Pourtant combien de temps la Freebox Delta pourra-t-elle rester compétitive face à ses concurrents américains ?
Face à leur puissance financière, leur écosystème de partenaires, leurs armées de développeurs et leurs contenus exclusifs ? D’un simple point de vue fonctionnel, Amazon vend déjà depuis plusieurs mois sa Fire TV Cube, qui combine un boitier Fire TV et un haut-parleur Alexa ; Google s’est associé à JBL pour lancer une barre de son intégrant Android TV et Google Assistant. Même si Xavier Niel a promis que de nouvelles fonctionnalités seraient régulièrement proposées pour améliorer l’offre, sa Freebox Delta risque de devenir rapidement obsolète face à des produits grand public disponibles dans le monde entier et renouvelés presque chaque année.
Face à ce constat, et plutôt que suivre Free sur le terrain du « tout maison », ses concurrents pourraient bien choisir d’anticiper sa prédiction de 2010 et d’appliquer dès maintenant le modèle du smartphone subventionné au décodeur TV. Certains ont déjà sauté le pas : SFR vend un décodeur Android TV aux abonnés à son bouquet RMC Sport conçu et fabriqué en Chine ; Bouygues autorise l’accès à son application TV depuis Apple TV et bientôt Android TV ; l’opérateur Suisse Salt, qui appartient à titre personnel à Xavier Niel, intègre une Apple TV comme décodeur principal dans son offre Fibre.
« On lance des Freebox révolutionnaires tous les huit ans. Et dans huit ans, ça restera la référence du marché » prédit à présent Xavier Niel, qui indique réfléchir déjà à sa prochaine box.
Laquelle de ses prédictions se révélera juste, celle de 2010 ou de 2018 ?
Liens vagabonds : YouTube, Facebook, Netflix cherchent à craquer le code de la TV
LE GRAPHIQUE DE LA SEMAINE (en partenariat avec Statista)
Vous trouverez plus de infographies surStatista D’après un récent sondage YouGov BrandIndex,Netflix est la marque qui suscite le plus d’intérêt chez les Millenials en France, mais aussi au Royaume-Uni et en Allemagne. En France, le géant du streaming enregistre la plus forte progression annuelle en matière de popularité de marque (11,7 points) et s’installe en tête du classement BrandIndex 2018 avec un score de 71,8 %.
Pendant ce temps là, Amazon est candidat au rachat de 22 chaînes sportives Disney. Selon plusieurs sources, ces réseaux sportifs régionaux pourraient valoir jusqu’à 20 milliards de dollars. En France,Snapchat lance en France ses « shows » sans fiction et quasiment sans exclusivités, disponibles dans la colonne Discover de l’application. Les shows sont des courtes vidéos qui durent entre 3 et 5 minutes. 13 médias français sont partenaires, parmi lesquels france•tv Slash, M6 (Golden News), Webedia, L’Olympique de Marseille, BFMTV ou encore le Figaro (à travers son offre MAD). Parmi les partenaires de Snapchat, on retrouve également Melty et Konbini.
Directive sur droit d’auteur : Google News menace de couper le service en Europe. Google a exercé de fortes pressions contre la législation européenne qui introduirait la « taxe sur les liens » et ses très controversés articles 11 et 13, qui visent à garantir aux créateurs de contenu une rémunération pour le contenu téléchargé sur des sites tiers. Richard Gingras, vice-président de l’information de l’entreprise de la Silicon Valley, a déclaré qu’il n’était « pas souhaitable de fermer les services » mais que l’entreprise était profondément préoccupée par les propositions actuelles. Google continue de mobiliser les YouTuberspour activer leurs communautés contre l’article 13.
Et aussi : Après l’AFP, Reuters supprime des postes en Europe. L’agence de presse a pris cette décision afin de réorganiser ses bureaux européens. Les postes les plus touchés sont notamment les services qui produisent en deux langues en Italie, en Allemagne et en France.