Médias : 10 stratégies pour résister aux GAFA

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Prospective et MediaLab

Tous les GAFA développent aujourd’hui des stratégies pour profiter des quelques 200 milliards de dollars que pèse le marché TV au niveau mondial.

Comme le rappelait Guillaume Posch (co-directeur général de RTL Group) qui intervenait au colloque NPA/Le Figaro cette semaine à Paris, la télévision linéaire présente encore quelques intérêts pour un groupe média : les contenus gratuits génèrent une forte adhésion de l’audience (« nothing beat free »), les programmes sportifs et les directs évènementiels fédèrent toujours ainsi que la dimension nationale voire régionale de certains programmes.

Mais cela sera bien insuffisant pour résister aux voraces géants. Aux Etats-Unis (qui ont toujours 3 à 5 ans d’avance sur les marchés européens), la durée d’écoute média progresse sur tous les supports, sauf sur le poste de télévision non connecté.

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« Nos concurrents sont globaux, qu’ils proposent une offre linéaire ou non linéaire » a déclaré Guillaume Posch. Mieux vaut ne pas essayer de se rassurer avec les seules audiences Médiamétrie mais s’attaquer aux multiples fronts de l’accélération numérique.

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1EXPERIMENTER DE NOUVEAUX FORMATS

Aujourd’hui, les contenus ne se cantonnent plus aux traditionnels longs formats de 30 ou 60 minutes. Le numérique permet une plus grande souplesse et la créativité explose dans les « short forms ».

RTL Group qui se revendique leader mondial en agrégation de chaînes YouTube, estime à 42.000 le nombre de créateurs de contenus au sein de son MCN, dont certains influenceurs font exploser les compteurs de vues comme Zoella , Fernanfloo ou El Rubius (respectivement 12, 24 et 26 millions d’abonnés)

L’innovation technologique est évidemment essentielle. Mais toujours au service des contenus, qui restent le cœur de métier des médias.

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Concernant les contenus d’informations, le PDG de l’AFP, Emmanuel Hoog tire la sonnette d’alarme. Les rédactions ont été paupérisées : les journalistes ont été reportés sur le live mais les titres d’analyse diminuent dans le monde. Le paysage de la production d’information est « émietté et boursouflé » :

" Il y a de plus en plus de producteurs et de moins en moins de cartes de presse, de plus en plus de contenus mais d’une extrême redondance. A l’échelle mondiale, sur une journée, seule 40% de l'offre est originale."

2ETRE « SOCIAL »

La présence sur les réseaux sociaux rajeunit l’audience des médias traditionnels mais aussi offres de multiples contacts quotidiens. Les médias doivent s’adapter à ce nouveau mode de consommation en « snacking », par petites doses mais tout au long de la journée. Cela permet de tisser une relation plus intime avec ses publics, voire chaque utilisateur pour qui sait exploiter ses données.

Selon Patrick Walker (Directeur des partenariats médias EMEA chez Facebook), la vidéo représentera 75% du trafic de Facebook dans 5 ans. Mais que toucheront les éditeurs ? Difficile à dire… Seuls ceux qui auront atteint une masse et un reach suffisants pourront monétiser convenablement leur offre. Certains s'impatientent déjà...

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3INVESTIR DANS LA CREATION ORIGINALE, SURTOUT DANS LES SERIES

« Le problème quand on est une chaîne linéaire comme Canal, c’est qu’il faut investir dans le cinéma et le sport. Il leur faudrait quasiment doubler l’investissement pour ajouter une offre de séries en OTT. » a déclaré Hervé Payan (CEO, HBO Europe).

Or aujourd’hui, l’attractivité des offres premium se mesure au volume de séries.

En Scandinavie, où 7 à 8 millions de foyers (sur 11 millions) ont souscrit à une offre SVOD, Netflix et HBO proposent à eux deux près de 100 nouvelles saisons chaque année. Soit 2 nouvelles séries par semaine ! « En France, il n’y a pas d’offre ! » a conclu Hervé Payan.

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4… ET PROPOSER DES OFFRES PREMIUM OTT

Internet a fait exploser les frontières de l’audiovisuel et aujourd’hui tout le monde peut mettre un contenu en ligne… et toucher des revenus en contournant les intermédiaires traditionnels.

Selon Valéry Gerfaud, (Directeur des innovations technologiques numériques, M6), l’OTT présente deux enjeux majeurs :

  • L’amélioration de l'expérience utilisateur, pas assez fluide sur les box opérateurs et lente à faire évoluer.
  • L’accès aux données utilisateurs, jalousement gardés par les FAI

« On développera moins d’offres OTT si on peut accéder aux données opérateurs de consommation TV. (…) Le sujet de la data remet du piment dans les discussions éditeurs-opérateurs ! » a-t-il déclaré.

5INVENTER DES MODELES HYBRIDES

D’un point de vue business, l’ouverture du marché n'a pas que des mauvais côtés. Les producteurs ont accès à de nouveaux acheteurs. RTL Group s’est ainsi félicité d’avoir pu vendre sa série produite par FremantleMedia « American Gods », à la chaîne américaine Starz et à Amazon Prime Video.

Selon Guillaume Posch, « il faut davantage de modèles hybrides » et l’offre 6Play mélangera bientôt gratuit et payant.

De même pour la production, il est urgent de se tourner vers des modèles de financements alternatifs. A l’heure des plateformes mondiales, la coproduction internationale est une option sérieuse à considérer.

6NE PAS METTRE SES ŒUFS DANS LE MEME PANIER

Pour survivre, une stratégie de diversification est essentielle.

« Un modèle économique unique n’est pas suffisant » pour RTL Group qui souhaite aller vers le « Total Video » en multipliant les joint-ventures, les achats d’actifs, les achats organiques (comme Golden Moustach) et les achats d’outils publicitaires.

La billetterie d’évènements, le développement solutions marketing innovantes et natives (sans implication des équipes éditoriales) ou encore l’offre formation (MOOC) sont autant de pistes à explorer.

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7DEVELOPPER LE PROGRAMMATIQUE

« Le futur de la TV sera en partie en vente directe » selon Guillaume Fosch qui conseille aux médias d’être plus « Mad Men » dans leur relation aux annonceurs et plus « Math Men » dans l'exploitation des données. Pour cela, RTL Group a acquis il y a quelques mois 100% du capital de la plateforme de vidéo programmatique SpotX et détient également Smartclip depuis 2016.

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L’utilisation de la donnée doit néanmoins être réfléchie. Bernard Marchant (Administrateur délégué du groupe Rossel) préconise à l’industrie médias de « travailler sur un modèle de contextualisation de la pub plutôt que sur le retargeting » appliquée par les GAFA qui est très désagréable pour nos lecteurs.

8ADOPTER LA GLOCAL ATTITUDE

L’offre de chaînes a explosé en 15 ans, avec des concurrents non plus nationaux mais globaux.

Néanmoins, une « stratégie 100% internationale de contenus serait une fausse bonne idée » selon Arnaud Métral (Managing Director, Webedia). Les éditeurs doivent s’adapter aux sensibilités locales avec une approche technologique commune aux différents marchés. « Il est possible de réaliser des économie d’échelle sur la plateforme de distribution » a-t-il précisé.

Même constat dans l’industrie musicale ou celle du jeu vidéo, représenté lors du colloque par Stéphane Roussel (COO Vivendi / CEO Gameloft) :

« Le global est une évidence mais le local persiste. Le mode de distribution n’est pas si global que ça, cela concerne uniquement dans les pays matures. »

Pour la musique « 60% des produits consommés sont locaux dans le monde. Selon les cultures et les pays, cela peut être plus important encore, comme en France ou au Japon. »  Quant aux jeux, l’offre est certes mondiale mais les deals sont locaux, passés avec les telcos nationaux et certaines fonctionnalités sont adaptées pour mieux coller à la culture des utilisateurs selon les pays.

« Il est très important d’avoir des centres de production dans différents pays, pas uniquement où l’on a des avantages fiscaux. » a-t-il insisté.

« Pour être mondial, il ne faut pas faire un produit aseptisé mais assumer ses bases, sa différence » a assuré Gérald-Brice Viret (EVP Canal+) pour qui la French touch est un réel argument de vente à l’international.

Quant à la monétisation, chaque marché développe sa stratégie. « Il commence à y avoir des demandes pour des campagnes de publicité mondiales mais très peu encore car la stratégie des annonceurs reste locale » selon Arnaud Métral.

9MODERNISER LES INDICATEURS

Pour avancer dans la bonne direction, l’industrie audiovisuelle particulièrement doit pouvoir y voir clair. Or les indicateurs fournis par Médiamétrie sont désormais insuffisants pour appréhender les évolutions du marché de la vidéo. Sans parler des usages des 10-13 ans, quasiment intraçables.

Selon Julien Rosanvallon (Médiamétrie), la mesure d’audience TV 4 écran évolue régulièrement pour intégrer de nouvelles plateformes OTT (Molotov en septembre dernier, MyCanal prochainement).

Pour la SVOD, Médiamétrie espère proposer un outil d’ici la fin d’année, à l’instar de Nielsen aux Etats-Unis depuis octobre.

9' … ET LA REGULATION

Quant à la régulation, les médias attendent que la puissance étatique se réveille.

« L’Etat n’aurait bientôt plus d’argent à nous donner. On attend de l’Etat d’être un régulateur, notamment en termes de politique fiscale, et non des aides directes, ce qui est sain pour notre activité de médias d’information. Au nord de l’Europe, l’Etat ne donne pas d’aide mais il est le premier annonceur, ce qui est un partenariat beaucoup plus dynamique » selon Bernard Marchant.

Eric Peters (Conseiller à la Commission Européenne) estime que l’Europe peut jouer un rôle important si elle est unie autour de valeurs communes, notamment sur la création des standards en matière de protection de la vie personnelle ou encore de neutralité du net.  L’Europe doit :

  • réussir son passage à la 5G (il manque encore 150 milliards d’euros !) pour pouvoir construire et proposer des produits numériques à forte valeur ajoutée
  • assurer que les règles et les contraintes soient les mêmes pour tous les acteurs
  • se préparer aux échanges de données et à leurs utilisation

« Il n’y a aucune raison qu’il n’y aiten que deux blocs, les Gafas américains d’un côté et les chinois de l’autre. Mais en France, il y a un impensé total sur un « soft power » à la française » qui ne doit d’ailleurs pas venir uniquement des pouvoirs publics, a déployé Emmanuel Hoog.

10VALORISER LES TALENTS

Dernière stratégie qui est loin d’être anecdotique, celle de la valorisation des talents. Une véritable guerre sévit : il est de plus en plus difficile d’attirer ou de garder les jeunes talentueux maîtrisant les nouvelles technologies dans l’industrie des médias. Il est important de leur offrir de la mobilité en interne, au niveau national et international et de savoir les écouter et leur confier des responsabilités. A bon entendeur…

Crédit Une : Photo by Shirly Niv Marton on Unsplash