Mobiles/Barcelone 2012 : vers un Facebook des objets

Puisqu’aujourd’hui sur terre, tout le monde ou presque possède un téléphone mobile, la nouvelle bagarre de l’économie connectée, relayée cette semaine à Barcelone, vise déjà les conversations futures de nos objets quotidiens, qui vont bientôt tous se parler (électroménager, meubles, voitures, plantes ...).

La bonne nouvelle, c’est que de nouveaux secteurs, porteurs d’emplois, vont émerger autour de cet « Internet des objets » et de l’hyper-connectivité, profitant aussi à la santé, l’éducation, aux transports, à la sécurité, aux loisirs des pays du monde entier.

La mauvaise, c’est que personne n’est d’accord pour financer cet effort ! Sur la défensive, les opérateurs telcos traditionnels gémissent sur leurs marges compressées et menacent de ne pas faire les investissements nécessaires si les géants de l’Internet continuent de profiter de leurs réseaux sans payer.

Mais le secteur (applications, services, soft et hardware) est pourtant en plein boom grâce à la généralisation mondiale du portable, devenu un bien très banal, et surtout grâce à la rapide propagation des smart phones dans les pays riches, permise par les trois facteurs qui ont tout changé : le très haut débit, l’ubiquité généralisée et le cloud.

L’internet mobile est donc devenu un nouveau style de vie mondial. Et pour le citoyen consommateur, la question n’est plus de savoir quelle marque de téléphone choisir, mais sur quelle plate-forme organiser sa vie connectée, professionnelle et personnelle : Apple, Android, Facebook, Microsoft ?

Une fois encore, Barcelone a fait le plein d’afficionados du mobile : plus de 60.000 professionnels venus des quatre coins de la planète pour leur Congrès annuel, dont beaucoup, vraiment beaucoup d’Asiatiques.

Un salon marqué aussi par l’apparition de très nombreux nouveaux acteurs inconnus, l’arrivée d’autres secteurs industriels et des services (automobile, banque, santé, équipements sportifs...) et …. la complexité accrue de la chaîne de valeur !

Voici quelques tendances observées :

1 – D’abord des chiffres incroyables !

La Chine devrait finir le 1er trimestre avec plus d’un milliard de connections mobiles !

L’essor invraisemblable de l’OS de Google : 850.000 OS Android activés chaque jour actuellement, pour un total de plus de 300 millions !

« Nous voulons en mettre un dans la poche de chaque habitant de la planète ! Nous pouvons y arriver. La croissance est telle que nous allons donc devoir produire plus de gens », prévient Eric Schmidt, président Google.

L’arrivée d’une véritable nouvelle culture des applications : environ un million d’applications ont été lancées en quatre ans. Aujourd’hui, elles surgissent au rythme de 15.000 par semaine ! Comment voulez-vous émerger d’un bruit pareil ?

Mais elles rencontrent l’appétit du public : 18 milliards ont été téléchargées l’an dernier. Pour 2015, on s’attend au chiffre annuel de 182 milliards d’applications.

L’explosion du trafic, qui va encore être multiplié par 18 en 5 ans !

En 2011, le trafic mobile représentait 8 fois le trafic Internet de l’an 2000. Il double chaque année.

2 – L’internet mobile va-t-il tuer nos magasins de détail ?

Le « m-commerce » représente déjà 135 milliards $.  L’Internet en mobilité transforme donc aussi le secteur de la distribution qui devra se mettre vite – comme le consommateur avant lui -- à un mode de fonctionnement hybride, mêlant online et offline, où les frontières vont s’effacer.

Les magasins ne seront-ils bientôt que des vitrines pour des consommateurs qui achètent en ligne ?

« Pas encore aujourd’hui mais ce sera vrai un jour (…) D’ailleurs on va vite arriver à une situation où le consommateur va marchander dans le magasin en montrant les prix des concurrents sur son portable (…) Autrefois, un magasin devait surveiller les deux ou trois autres boutiques du coin. Aujourd’hui, avec les mobiles, il faut être meilleur que des millions d’autres enseignes (…) Ce n’est pas la mort du commerce de détail, mais sa transformation », constate Brian Dunn, CEO de Best Buy.

A l’inverse, Amazon va probablement se développer dans le monde physique et eBay va se servir des magasins Best Buy pour déposer ses produits électroniques grand public.

« C’est au fond une chance car cette mixité va enrichir l’expérience du shopping comme l’iPad a enrichi l’expérience média ». La comparaison avec les médias n’en reste pas là: « pour nous l’important aujourd’hui est de sélectionner (+curate+) les produits pertinents », ajoute Dunn.

Banque mobile & « smart shopping » : le début de la fin du portefeuille en cuir !

Pour le PDG d’eBay, John Donohue, « nous approchons du +moment iPad+. D’ici trois ans, nous allons connaître des changements plus importants dans la manière de faire du shopping et de payer ses courses qu’au cours des 10 dernières années ».

EBay compte réaliser pour 8 milliards $ de transactions cette année via mobiles et vend déjà ainsi 500 voitures par semaine !

La cible est ici double : le marché juteux des jeunes urbains du monde entier, mais aussi de nombreux pays pauvres, où la population possède des mobiles mais pas de comptes en banque.

- Pour le premier, « les enfants nés depuis moins de 5 ans ne connaîtront jamais le portefeuille physique ! », assure John Partridge, Pdg de Visa.

Mais les conditions de succès ne sont pas encore réunis pour un succès immédiat du paiement sans contact (NFC): manquent toujours l’interopérabilité des solutions, la standardisation des paiements, la sécurité des transactions, la protection des données personnelles), et la simplicité des terminaux.

- Pour le second, le norvégien Telenor est, par exemple, très actif, notamment au Pakistan, en Asie du Sud Est, en Europe centrale. Il n’hésite pas à acheter des petites banques locales ou à s’associer avec les géants financiers. Orange a aussi conclu cette semaine à Barcelone un accord avec Visa.

3 - L’Internet des objets : nouveau paradigme, nouvel eldorado ?

10 milliards d’objets devraient être connectés d’ici 2016, voire 50 milliards (contre 6 milliards aujourd’hui) et se parler, dont plusieurs milliards dans le cadre d’une relation « machine à machine ».

Le feront-il au sein de leur propre réseau social ?

«Oui, on peut déjà parler d’un prochain nouveau paradigme du Facebook des machines à machines », prédit Scott Burnett, directeur monde électronique grand public d’IBM.

« Quand une personne est connectée, sa vie change. Quand tout est connecté, c’est le monde qui change. Nous y sommes », résume Hans Vestberg, patron d’Ericsson.

Ce marché des objets connectés est estimé à 4.500 milliards $ en 2020 (600 milliards pour la voiture connectée, 350 mds la santé à distance, 270 mds l’aide aux personnes, 250 mds pour la sécurité des biens …). Ford a réalisé une première à Barcelone en y lançant un nouveau véhicule (la B-MAX).

Chaque foyer américain compte déjà plus de six terminaux connectés.

Dans l’ordre, quatre catégories de fonctions devraient être développées dans la maison intelligente et connectée:

  • les loisirs, la communication, la vie pratique
  • la sécurité
  • la gestion de l’énergie
  • la santé et le bien être

Nous disposerons alors d’un tableau de bord centralisé d’indicateurs importants de nos vies quotidiennes connectée, lisible et activable à distance, depuis tous nos terminaux, à la maison, au bureau, en mobilité.

La voiture pourra si nécessaire redonner de l’électricité à l’habitation et se recharger à une heure plus creuse. Au Japon, le capteur sur la théière de la vielle dame indique à distance à sa petite fille que sa grand-mère est toujours en vie. Un champ de maïs générera des revenus nouveaux à l’opérateur qui gèrera le niveau d’irrigation du sol en fonction de la pluviométrie et de l’humidité des sols.

Et avec la réalité augmentée, utilisée notamment dans des applications touristiques, même les statues parleront !

Hélas, pour l’instant tous ces objets parlent tous un langage (technique) différent qu’il va être nécessaire d’harmoniser. Les modèles économiques vont encore bouger. Notamment pour la publicité qui devrait en profiter en raison de retour d’infos plus pertinentes.

4 - Les opérateurs telcos veulent aussi être « smart » !

Opérateurs pessimistes : les prix vont encore baisser

S’estimant en général mal aimés, ils sont toujours tétanisés et de plus en plus menacés par les nouveaux géants du web qui les forcent à se réinventer en permanence. Ils découvrent aussi – stupéfaits-- que leurs clients ont pris le pouvoir et sont aux commandes de la révolution technologique par leurs nouveaux besoins et leurs nouveaux usages. Pire : la masse indistincte des clients s’est transformée en consommateurs uniques, en individus !

« Ils découvrent que l’innovation est partout, que les talents n’ont pas de passeports, que chaque individu a le choix », décrit Ben Verwaayen, PDG d’Alcatel-Lucent.

Puisqu’après avoir vendu de la voix pendant 100 ans, leur nouveau métier est la vitesse d’accès à Internet, ils cherchent aujourd’hui à rattraper les clients par les sentiments, en mettant en avant confiance, fiabilité et sécurité de leurs services, notamment pour la vidéo ubiquitaire. Ils promettent aussi plus de transparence et de simplicité dans leurs offres.

Du « walled garden » aux plateformes horizontales :

Sous pression, ils ont fini par ouvrir davantage leurs réseaux au point de dénoncer aujourd’hui l’intégration verticale d’Apple, comme toujours absent du salon !

C’est qu’entre temps ils se sont transformés aussi en plateformes horizontales de services pour chercher à être indispensables à tous les secteurs de nos sociétés : communication, information, divertissement, santé, éducation, transports, sécurité, finances, agriculture. Et ils entendent bien devenir les gardiens de réseaux plus intelligents.

Chantage pour passer de « dumb pipe à smart pipe » :

« Les telcos ne seront plus des verticaux mais des horizontaux qui vont entrer dans les modèles d’affaires de tous les secteurs. Cette industrie va donc devoir offrir une forme de qualités de services différentes à ses clients », prévient le patron d’Alcatel-Lucent.

« Les états ponctionnent de cette industrie des montants fantastiques, or il nous faudra investir entre 200 à 300 millions € en Europe pour les prochains réseaux. Qui en bénéficie ? Les consommateurs et les acteurs de l’OTT qui occupent une place de plus en plus importante de la chaîne de valeur sans contribuer au développement des infrastructures », déplore le PDG Deutsche Telekom, René Obermann.

« Hier tout devenait mobile, aujourd’hui tout va dans le cloud. C’est une nouvelle vaste opportunité pour les opérateurs», ajoute-t-il. « Chacun aura bientôt son petit nuage personnalisé ! », renchérit John Chambers, CEO de Cisco.

Or qui trouve-t-on entre le consommateur et son nuage ? …. Les opérateurs !

D’où d’autres menaces directes sur la neutralité du net :

« La qualité de la connectivité va devenir cruciale. D’où le recours à une gestion du trafic, qui ne sera pas discriminatoire, donc à différentes qualités de services. Le régulateur doit avoir cela à l’esprit », prévient le boss de Deutsche Telekom)

« D’autant que la vidéo, la prochaine killer-app, va représenter 95 à 98% de la charge du trafic » (John Chambers, CEO Cisco) et « les mobiles en seront les principaux points d’accès » (Jo Lunder, CEO VimpelCom, Russie)

Voire même un chantage sur l’emploi :

« Nous avons changé le monde, nous l’avons tiré vers le haut avec nos innovations (…) nous pouvons encore le changer en matière d’agriculture, de santé, d’éducation, mais aujourd’hui il nous faut plus de spectre disponible et faire évoluer nos modèles d’affaires, alors des emplois seront créés», estime Ralph de la Vega, CEO d’AT&T Mobile.

« Notre industrie peut encore changer le monde en matière d’agriculture, de santé, d’éducation, mais nous avons besoin de co-investissement, de coopération, et de régulation qui nous aident. De quoi a besoin l’Europe, de régulation ou d’emplois ? », demande Vittorio Colao, CEO de Vodafone.

« Je redoute les régulations faites par des gens du 20ème siècle » (Santiago Valbueno, CEO Telefonica Latam).

« Les investissements ne sont pas garantis. C’est quand même bizarre d’être toujours la cible des critiques, alors que nous sommes ceux qui investissent ! Nous devons avoir un dialogue avec les acteurs de l’OTT. Nous devons éduquer la chaîne de valeur !  » (Jo Lunder, CEO VimpelCom, Russie)

« Les nouveaux venus de l’OTT ne comprennent pas notre monde (…) les pannes du réseau viennent de leur fait (…) il faut qu’ils partagent les risques comme les opportunités » (Franco Bernabe, PDG Telecom Italia et du GSMA).

« Si les YouTube, Google, Apple, Facebook ne paient pas la bande passante, ce sera le consommateur final. Nous devons rééquilibrer le gâteau. Nous devons ouvrir un débat. Si nous devons bâtir des autoroutes, nous mettrons des péages. » (Suni Bharti Mittal, CEO Airtel, Inde)

Réponse cinglante d’Eric Schmidt, président de Google, sur place mardi soir :

nous investissons massivement dans les applications qui font que les gens ont envie d’utiliser vos réseaux !

Reste l’énorme relais des pays émergents :

« D’ici 5 ans, les principaux marchés seront ceux des pays émergents » (Ben Verwaayen, PDG Alcatel-Lucent)

« En Amérique Latine, le premier dollar est consacré à la nourriture, le deuxième aux communications, pas à la santé ni aux transports » (Santiago Valbueno, CEO Telefonica Latam)

« En Europe et aux Etats-Unis, le mobile est un +game changer+, dans les pays émergents, il change la vie des populations. Pas moins de 600 millions de portables en Inde à des prix pouvant aller à 18 $ pièce. Nous avons besoin de smart phones autour de 50 $». (Suni Bharti Mittal, CEO Airtel)

« Nous devons protéger notre modèle d’affaires qui a su pendant tant d’année générer beaucoup de trésorerie », a tout simplement résumé le président de l’Association mondiale de la téléphonie mobile et de Telecom Italia, Franco Bernabe.

5 - Fabricants et plateformes d’exploitation : Nokia is back (avec Microsoft)!

Après l’hégémonie d’Apple (IOS) et de Google (Android) ces dernières années, Nokia, avec l’aide de Microsoft, compte bien devenir la 3ème grande plate-forme. La marque finlandaise, autrefois, leader, a mis 4 modèles de Windows Phones sur le marché sous la marque Lumia et mise beaucoup sur les applications locales (déjà 65.000).

C’est sans compter avec un quatrième écosystème en embuscade et pas des moindres : celui de Facebook, qui a annoncé cette semaine à Barcelone une série de nouvelles initiatives pour les applications mobiles et les systèmes de paiement en coopération avec les fabricants et les opérateurs.

Autres nouveautés :

-       Sony a lancé ses smart-phones Xperia dans un effort d’intégration verticale d’expériences utilisateurs avec ses TV Bravia, ses ordinateurs Vaio, ses tablettes.

-       Google a synchronisé son navigateur Chrome avec son OS Android.

-       La tablette 10 pouces de Samsung

6 - Bien des défis subsistent

En voici quelques uns :

1/ L’exploitation du déluge des « Big Data », qui deviennent « Big Fast Data » !

Car il faut non seulement collecter des masses énormes de données, mais aussi pouvoir les exploiter en temps réel.

Foursquare a fait une démo époustouflante des possibilités contextuelles offertes par le site.

« Foursquare entend être aux lieux de votre vie, ce que Netflix est aux films et Amazon aux livres ! », explique Denis Crowley, fondateur et CEO. La prochaine étape vise, grâce aux données enregistrées et à notre géolocalisation, à « rendre le monde réel plus facile à vivre grâce au web » c’est-à-dire à proposer des lieux, rencontres, affaires avant même de les demander. Les infos pertinentes arrivent toutes seules !

On est loin du boc de bière gagnée au pub grâce aux points enregistrés !

Foursquare travaille déjà avec 750.000 commerçants dans le monde et leur fournit beaucoup d’infos sur leurs clients. Il s’est associé aussi avec des géants comme Amex (le rabais est intégré dans la carte !).

2/ La publicité sur mobile reste encore faible

Elle ne représentera en 2016 que 10% de celle dépensée sur la TV.

Mais des belles opportunités devraient découler de l’utilisation d’un second écran en parallèle de la consommation TV (tablette, smart phone).

3 / Quel software va s’imposer ? Quelle plateforme ?

  • Finalement html5 qui semble tenir ses promesses, mais quelle version ?
  • Microsoft qui soigne son retour sur le devant de la scène avec la présentation cette semaine de Windows8 pour tous les écrans ?
  • Facebook qui entend toujours tout englober ?
  • Android qui entend conquérir le monde entier ?
  • Apple, 1ère entreprise mondiale ?

7 - What’s next ?

Entre autres :

-       L’essor de la vidéo conversationnelle. Près de la moitié (42%) des communications de Skype sont accompagnées d’images.

-      Les lunettes écrans: le New York Times a commencé à parler des projets de Google qui pourraient aboutir en fin d’année.

Mais Apple est aussi sur le coup (comme en témoigne ce dépôt de brevet):