VivaTech 2025 : la France accélère dans la course à l’IA

À VivaTech 2025, l’IA ne s’est pas contentée de faire le show : elle a dessiné les contours d’un nouveau rapport de force. Lancement d’une bataille industrielle et culturelle, dans la continuité du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle.

Sur les scènes de VivaTech, cette année, les ambitions ne sont plus feutrées. La France, et plus largement l’Europe, ont clairement fait savoir qu’elles entendent jouer leur partition dans le grand concert de l’intelligence artificielle mondiale. Entre partenariats “historiques”, discours politiques et démonstrations techniques, la volonté d’exister face aux géants américains et chinois ne se cache plus. Retour sur les annonces clés et les signaux à ne pas manquer.

Par Océane Ansah du MediaLab de l’Information de France Télévisions

Nvidia invité star

  • Jensen Huang a choisi le Dôme de Paris pour officialiser la collaboration entre Nvidia et l’entreprise française Mistral AI. À la clé : le lancement d’une infrastructure de calcul haute performance, équipée de 18 000 puces Nvidia, hébergée dans le data center en construction en Essonne, à proximité du plateau de Saclay. Une première incursion dans le hardware pour Mistral, qualifiée d’« historique » par Emmanuel Macron, présent aux côtés de Jensen Huang, Arthur Mensch et Maurice Lévy. À destination de son jeune partenaire français, le patron de Nvidia a glissé un conseil : « Fixez des attentes modestes, vous les atteindrez sans encombre. »
  • Nvidia a également annoncé le lancement du premier IA cloud industriel au monde en Europe. Dotée de 10 000 GPU (dont des systèmes NVIDIA DGX™ B200 et RTX PRO™ Servers), elle vise à accélérer toutes les étapes de la production industrielle, de la conception à la logistique, via des jumeaux numériques ou la robotique. 
  • Jensen Huang réitère également l’enjeu stratégique de l’IA : « Chaque pays devrait construire sa propre IA, sur son propre sol. Externaliser son IA, c’est externaliser son intelligence.” Un appel à l’autonomie technologique lancé en plein cœur de ce qu’il qualifie de « nouvelle révolution industrielle ».
  • Lors de son intervention matinale, le PDG de Nvidia a décrit l’évolution de l’intelligence artificielle en trois vagues : après la perception et la génération, vient l’IA agentique — capable de raisonner, planifier, agir. Autonome, orientée objectifs, incarnée dans des robots.  Lors de son keynote, il a dévoilé un prototype développé avec Disney Research et Google DeepMind, un robot tout droit sorti de Star Wars. « Un jour, chacun aura le sien. Il nous suivra partout. Il sera disponible dans chaque cloud. »

Un peu plus de journalisme

Cette année, le journalisme a pris davantage de place dans les discussions tech, sans doute parce que ses défis, qu’il s’agisse des algorithmes, des bulles de filtres, des deepfakes et autres fake news ou des modèles économiques remis en question, sont désormais reconnus comme indissociables des grandes questions numériques.

Les points à retenir :

  • Pour Ann Rolf (Diplomatic Courier), il ne s’agit plus de trancher entre le vrai et le faux, mais de préserver la capacité à croire ce que l’on sait être vrai. Une mission rendue plus complexe par l’effondrement de la confiance dans les institutions : selon l’Edelman Trust Barometer 2025, 70 % des répondants craignent que journalistes et médias ne cherchent sciemment à induire le public en erreur — une hausse de 11 points depuis 2011. Plus grave encore : 75 % pensent que les médias privilégient l’audience à l’information d’intérêt général.
  • Repenser le modèle économique des médias revient à « réparer le vélo en roulant », selon Charlie Beckett, professeur au département Médias et Communication de la London School of Economics. Une image qui résume bien la tension permanente : rester crédible, ne pas se faire dévorer par les plateformes, tout en innovant pour continuer à capter un public volatile. Néanmoins, il reconnaît que les menaces les plus graves pour le journalisme viennent d’ailleurs que de la tech.
  • Lors de la session « Les dieux de l’information : du fact-checking au reality-checking », Mario Vasilescu, cofondateur de Readocracy, a imaginé un système où les influenceurs seraient récompensés pour leur sérieux, pas pour leur viralité. Un « incitatif réputationnel » destiné à privilégier la qualité plutôt que le buzz. Sa start-up valorise le temps réellement passé à consulter du contenu de qualité. Grâce à des outils d’analyse comportementale avancés et à l’intelligence artificielle, la plateforme mesure si l’attention était réelle. Une nouvelle boussole pour remettre la connaissance au cœur de l’écosystème numérique.

Women in tech –” Et si l’IA comblait le fossé ?”

Les points clés :

  • À l’ouverture de la session « The future is fem[Ai]le – Utiliser l’IA pour réduire les inégalités au travail », organisée par le Women’s Forum, Aurore Bergé (ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations) a dénoncé « l’illusion d’inclusion » que continue de représenter Marie Curie dans l’imaginaire collectif. Face au risque d’une intelligence artificielle qui reproduise, voire accentue, les biais de genre, place à une vision politique ambitieuse. Déjà en chantier, affirme la ministre : le plan « Filles et Maths » pour orienter les jeunes filles vers les sciences et le numérique, et le « Laboratoire des droits des femmes en ligne », lancé en mars 2024 pour lutter contre les violences de genre dans l’espace numérique.
  • Anne Bouverot, présidente de l’École Normale Supérieure, a reconnu l’importance de renforcer la place des femmes dans la tech, tout en saluant les progrès déjà engagés. Elle a notamment cité l’AI Action Summit de février dernier, qui avait réuni 43 % de femmes parmi les intervenants, 35% participantes, et s’était ouverte sur une prise de parole de la chercheuse Fei-Fei Li.
  • En toile de fond, une étude conjointe de l’OIT et de l’Institut national de recherche polonais, publiée le 20 mai 2025, met en évidence une autre faille : dans les pays à hauts revenus, 9,6 % des emplois féminins sont menacés par l’automatisation via l’IA, contre 3,1 % pour les hommes. À l’échelle mondiale, le déséquilibre persiste (4,7 % contre 2,4 %). Administratif, répétitif : les métiers les plus exposés restent ceux où les femmes sont surreprésentées.
  • Le journal espagnol El Confidencial ironisait ainsi : « Bienvenue dans une Silicon Valley où la testostérone a remplacé le code HTML. »…

VivaTech, c’est aussi le règne du spectacle

  • Tesla n’a pas manqué le rendez-vous avec une mise en scène millimétrée : décompte, voile levé, caméras digne d’un show au CES. Le Cybercab, taxi autonome sans volant ni chauffeur, a fait sa première apparition publique en Europe. Présenté en octobre dernier au Texas par Elon Musk, ce prototype futuriste a attiré tous les regards. 

Le robot humanoïde Optimus était lui aussi présent, mais il est malheureusement (ou heureusement) resté dans une boîte vitrée. 

  • Emobot propose une approche technologique face à la crise de santé mentale. Ce robot doté d’intelligence artificielle suit l’évolution de l’humeur sans interaction directe : expressions faciales, voix, sommeil, niveau d’activité. Tous ces signaux sont analysés de manière passive pour adapter un accompagnement personnalisé. Objectif : mieux détecter les variations d’état émotionnel grâce à une lecture fine de l’attention et du comportement (et bien sûr créer de l’attachement émotionnel). 
  • L’entreprise française Evotion mise sur la robotique de service. Son catalogue va du robot serveur à l’échiquier autonome, en passant par des modèles destinés à l’accueil ou au divertissement. Ces robots peuvent être loués ou achetés pour divers environnements professionnels. Sur le stand, un robot joueur d’échecs a attiré les curieux après une victoire contre un visiteur.

Conlusion

En conclusion, sous les néons de VivaTech, l’intelligence artificielle s’exhibe, se vend, se rêve en copilote du monde de demain, et le public est venu en masse pour comprendre ce nouveau monde hybride homme-machine. Entre robot-chauffeur, IA agentique et “incitatifs réputationnels”, tout semble possible, pourvu qu’on y croit — et qu’on investisse. La France, elle, semble bien décidée à ne plus rester sur la touche…

Photo de Une : KB

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