Son application est considérée à travers le monde comme ce qui se fait de mieux en matière de second écran. Anthony Rose, le fondateur britannique de Zeebox répond aux questions de Méta-Média.
Propos recueillis par Gilles Delbos, correspondant de Méta-Média à San Francisco
Présentez-nous Zeebox, votre application, que l’on ne connaît pas encore très bien en France, puisqu’elle n’y est pas téléchargeable.
Zeebox est une application qu’on peut télécharger gratuitement sur sa tablette ou son smartphone et qui n’est pas là pour remplacer la télévision, mais pour l’améliorer. Je viens de la BBC et mon objectif est de sauver la télé ! De faire une proposition face à la concurrence de l’Internet et des réseaux sociaux. Avec Zeebox, vous pouvez instantanément savoir ce que regardent vos amis sur leur télé, vous pouvez discuter et échanger avec eux au sujet du programme en cours, obtenir des informations sur tout ce qui se dit à l’écran, sur les personnalités, les lieux, les thématiques qui sont évoquées dans les programmes. Zeebox permet aussi de participer aux jeux en direct, d’avoir sous la main toutes les statistiques d’un match en cours, et vous informe sur les programmes qui, au moment où vous regardez la télé, font le plus de buzz sur les réseaux sociaux… Zeebox est enfin un moyen de se connecter instantanément avec les sites des marques dont les publicités passent à l’écran, afin d’acheter les produits dont on parle dans le poste.
Zeebox est désormais présente au Royaume Uni, en Australie et aux Etats-Unis depuis septembre, autant de paysages audiovisuels très différents. Quels sont les différents usages qu’en font les téléspectateurs ?
D’abord, ce qui est partout évident, c’est que le plus important, c’est le contenu que vous proposez aux usagers. Les génies de l’informatique peuvent concevoir des applications très performantes que personne n’utilisera jamais. C’est le contenu qui fait la différence. Les marchés américains et Européens ou Australiens sont très différents. Aux USA, avec des centaines de chaînes, le paysage audiovisuel est totalement désagrégé. Le premier usage Zeebox est donc là bas d’aider les gens choisir quel programme ils vont regarder. De ne pas rater la bonne émission qui fait le buzz dans votre communauté, et de bien regarder le programme dont on parlera le lendemain au bureau autour de la machine à café !
En Europe, c’est différent. Les téléspectateurs ont une affinité avec un diffuseur, ils ont moins besoin d’aide pour choisir, ils utilisent plus Zeebox pour avoir des informations sur le show, pour commenter le programme sur les réseaux sociaux, pour y participer –pour voter ou jouer- ou pour du shopping. On a maintenant 5 millions de téléchargement à travers le monde et on a étudié nos utilisateurs. On les a divisé en dix groupes, mais il y en a notamment trois particulièrement importants, qui chacun font un usage différent de l’application, et qu’il faut donc satisfaire différemment.
- D’abord, il y a ceux qu’on appelle les « TV Mavens », les experts de la télé. Des gens qui aiment la télé, mais qui n’ont pas forcément envie de parler de télé avec leurs amis. Eux, ils veulent des informations sur les acteurs, sur l’équipe qui a réalisé le film, sur les lieux de tournage. Ils n’ont pas forcément un usage social de l’application.
- Ensuite, on a les « Pop idols ». Typiquement, les fans du programme The Voice, sur NBC. Eux vivent le show en direct. Ils veulent en parler, mais avec des gens qui, comme eux, sont des fans du programme.
-Enfin, on a les « Social watchers », des téléspectateurs qui adorent l’expérience « social TV », qui commentent les shows, les débats, mais qui veulent en parler avec leurs amis, ce qui est très différent de ceux qui échangent avec les fans du programme. Il nous faut donc être prudent sur la manière dont on partage leurs messages, sur ce qu’on laisse voir aux autres usagers de leur activité, car certains n’apprécient pas qu’on dise aux autres ce qu’ils regardent.
Comment s’organise le travail des équipes qui animent Zeebox pendant un programme ?
Pour les diffuseurs partenaires importants, comme avec The Voice sur NBC, en fait, nous mettons simplement notre outil au service de leur staff. En général, il y a deux personnes qui travaillent en amont, pendant une semaine pour annoncer le programme et pour préparer la soirée. Plus deux autres personnes le soir même. En interne, aux Etats unis, pour l’instant, nous avons cinq « producteurs de contenus », autant au Royaume uni et un peu mois en Australie. Généralement, le diffuseur se charge du contenu pour ses shows. Nos équipes sont là pour proposer de nouvelles idées, pour les aider à travailler sur d’autres programmes qui n’ont pas de staff deuxième écran dédié.
L’expérience la plus excitante que j’ai eue est avec le jeu de NBC « Take it all » (une sorte de « Juste prix » pervers où les candidats peuvent se voler leurs gains respectifs, NDLR). NBC a mis en place un système de jeu virtuel sur Zeebox, synchronisé avec le programme télé, qui permet de jouer sur la tablette comme si on était dans le studio. Vous avez le feedback en direct sur la télé, avec un bandeau déroulant où l’on peut voir quels joueurs sont les plus proches, et le gagnant du jeu sur la tablette remporte 10.000 dollars ! Le présentateur parle de Zeebox, vous avez le déroulant, c’est complètement intégré. Je ne sais pas combien de dizaines de milliers de gens jouent en direct, tout en suivant le programme, mais j’ai vécu l’expérience en régie finale, et franchement, c’était fantastique !
Qu’en est-il de la concurrence entre le premier et le second écran ? Car finalement, plus vous diffusez de contenu de qualité sur Zeebox, plus l’attention des téléspectateurs se détourne de l’écran de télé, et finalement c’est la tablette qu’ils regardent, et plus la télé !
C’est effectivement là une question fascinante. Mais en fait, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’on est en train d’inventer une nouvelle écriture télévisuelle, et qu’elle évolue au jour le jour. C’est aussi simple et important que ça. Il y a longtemps, quand le cinéma a commencé en noir et blanc, les gens sont partis en courant et en hurlant de la salle de cinéma quand ils ont vu foncer vers eux le train des frères Lumière qui entrait en gare de La Ciotat. Je pense que, pareillement, les gens vont apprivoiser l’usage du second écran, qu’ils vont très vite savoir quand le regarde, et quand ne pas le faire. Et de toute façon, l’usage de Zeebox est aussi terriblement lié à la qualité de ce qui est diffusé sur l’écran de télévision…
Pendant un film, quand il y a du suspense, quand vous êtes pris par l’histoire, vous n’allez évidemment pas regarder l’écran compagnon. En revanche, pendant les pauses pub, ou après le film, vous allez vouloir partager vos émotions avec les autres téléspectateurs. En revanche, pendant un programme comme The Voice, c’est différent. Pendant que vous écoutez le chanteur, alors que les juges ne le voient pas, vous, vous avez toute l’information. Vous en savez plus que les juges, et avec l’application, vous devenez, vous aussi, un juge !
C’est une nouvelle expérience télévisuelle.
Sur la BBC, par exemple, la question de l’opportunité de l’usage du second écran s’est aussi posée à propos des programmes politiques. En fait, c’est fantastique. Pendant une émission politique, vous pouvez obtenir des informations sur celui qui parle, sur ce qu’il dit, bénéficier de fact-cheking, et puis les gens adorent voter, pour dire ce qu’ils pensent des proposition politiques annoncées. Bien sûr, le panel n’est pas représentatif, mais les gens adorent savoir s’ils sont de l’avis de la majorité des téléspectateurs ou s’ils sont minoritaires. En fait, il n’y a pas de programme qui ne puisse pas bénéficier du second screen. Zeebox peut améliorer tout type de programme, mais on ne peut pas faire la même proposition pour tous les programmes.
Est ce qu’il n’y a pas aussi un risque de division des téléspectateurs par une sorte de nouvelle « fracture numérique », entre ceux qui auront accès au second écran et les autres ?
D’abord, pour l’instant, on sert surtout à faire monter les audiences, plutôt qu’à les segmenter ! Ensuite, effectivement, c’est vrai que pour ce qui est de l’usage social de Zeebox, des tweets, le public est effectivement coupé en deux parties. Clairement, il y a les moins de 35 ans qui nous adorent, et les autres, qui passent complètement à côté. En matière de social TV, notre proposition s’adresse surtout aux jeunes, que l’on peut contribuer à ramener vers la télé. Mais quand le « plus » qu’apporte le second écran permet de trouver des informations, de faire du shopping, de participer, de donner son avis dans un débat politique ou de société, de savoir instantanément ce que les gens pensent et disent des propos du Président, alors, il n’y a plus de barrière d’âge.
Et l’arrivée de Zeebox en France, alors, c’est pour quand ?
La France, c’est un peu comme la Grande Bretagne. Avec un petit nombre de chaînes qui attirent l’essentiel du public, avec une répartition entre service public et télévisions privées. On constate la même importance du sport, des actualités, cela me semble assez comparable, mais je n’ai pas exploré suffisamment les différences. J’ai regardé un peu, mais franchement, pour l’instant, on a eu beaucoup de travail avec le lancement aux Etats Unis. On ne peut pas tout faire en même temps ! Mais il n’y a pas de raison que la France reste en dehors du mouvement.
C’est quand même vrai qu’il va y avoir au début un problème technique avec la langue. En effet, nos systèmes de reconnaissance vocale (qui scriptent en direct toute les télés et qui reconnaissent automatiquement, par exemple, les pubs qui sont diffusées pour envoyer aussitôt les « zeetags » publicitaires correspondants aux usagers de Zeebox, NDLR) sont pour l’instant uniquement en anglais. Donc ils ne marcheront pas immédiatement avec le Français, mais je ne pense pas que ce problème technologique résiste bien longtemps… Quoi qu’il en soit, d’ici la fin de l’année, je compte bien me repencher sur le marché Français… et sur quelques autres !
Gilles Delbos, ex rédacteur-en-chef du magazine Complément d'enquête (France 2)