La neutralité du net est morte. Pour l’instant.

Par Barbara Chazelle, France Télévisions, Directions Stratégie & Prospective

« Le principe entendu dans l'expression « neutralité du net », c’est que tous les Fournisseurs d’Accès Internet (FAI) devraient traiter le flux de données en ligne de manière équitable, sans traitement de faveur pour une donnée, un fournisseur de contenus ou une plateforme. Mardi cependant, les règles de la Commission Fédérale des Communications (FCC) régissant ce type de comportement ont été détruites par la Cour d’Appel de Washington DC. » selon Jeff Roberts, avocat et reporter juridique du site d’infos technologiques GigaOm.

Les défenseurs de la neutralité du net* se déchaînent depuis quelques heures sur la toile américaine suite à la décision de la Cour d’appels de Washington de casser les règles garantissant un Internet libre et ouvert, définies en 2010 par la FCC, régulateur américain des communications. La justice américaine a jugée que la FCC n’avait pas l’autorité statutaire d’imposer aux FAI qu’ils gèrent de manière égale le trafic en ligne. Ils pourront donc désormais faire payer les utilisateurs en fonction des contenus.

Pour rappel, Verizon, un des plus gros FAI américain, avait décidé de contester ces règles, espérant notamment, mettre fin au conflit qui l’oppose à Netflix. L'enjeu du conflit étant de savoir qui doit payer le surcoût généré par un service (très) demandeur en bande passante. L'action Netflix perdait jusqu'à plus de 5% mercredi à Wall Street.

Florilège de réactions

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Ryan Singel, un ancien de Wired, a résumé dans un article sur Medium ce que cette décision pourrait impliquer : « Si votre fournisseur veut ralentir Netflix, il le peut. S’il veut ralentir vos appels émis sur Skype, il le peut. S’il veut que ses services de vidéo en streaming soit rapide comme l’éclair et gratuit, tout en ralentissant YouTube tout en décomptant ces données-là de votre forfait mensuel, il le peut aussi. »  

Pour Craig Aaron, qui dirige un groupe militant pour un internet ouvert appelé Free Press, « les plus grands FAI vont maintenant se lancer dans une course pour transformer un web ouvert et vivant en quelque chose qui va ressembler à de la TV par câble. Ils vont établir des voies rapides pour quelques géants qui pourront se permettre de payer des outils exorbitants et garder les voies lentes aux autres. »

Selon Sarah Morris, du think tank Open Technology Instutitute, « sans ces règles, les consommateurs sont à la merci des fournisseurs d’accès et des arrangements commerciaux de ces fournisseurs […], des arrangements commerciaux qui pourraient sévèrement limiter l’accès à un certain nombre de contenus en ligne. »

Selon John Herrman, chez Buzzfeed, « nous sommes peut-être sur le point d’entrer dans une ère de « data sponsorisée », une ère d’un internet pour lequel nous ne payerons pas directement, mais dont nous n’aurons pas le contrôle. »

Tim Wu, ancien professeur très influent de l’université de Colombia, qui a participé à la rédaction du texte des règles de la FCC, considère dans une interview donné au blog The Witch du Washington Post, que « cela laisse Internet dans un territoire complètement inexploré. Il n’y a jamais eu de situation où les FAI pouvaient bloquer ce qu’ils voulaient. »  

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Verizon se veut rassurant. « Une chose est sure : la décision prise aujourd’hui ne changera pas la capacité des consommateurs à accéder et à utiliser l’Internet tel que nous le connaissons maintenant. La décision de la Cour va permettre plus de place pour l’innovation et les consommateurs auront plus de choix pour déterminer par eux-mêmes comment ils veulent accéder et expérimenter Internet. Verizon a toujours été et reste engagé pour la cause de l’internet ouvert qui offre aux consommateurs des choix compétitifs et donne accès aux sites et contenus légaux quand, où et comme ils le veulent. »

Selon Broadband for America, une organisation qui compte parmi ses membres AT&T, Comcast et Verizon, ces entreprises “ont construit leur service internet en ayant pour fondement l’ouverture. La décision d’aujourd’hui ne change pas cet engagement. » Wayne Crews, du Entreprise Competitive Institute, s’est lui réjouit que la cause de la neutralité du net soit « morte et enterrée ».

 Quelles suites ?

Thomas Wheeler, le président de la FCC a déclaré que l’agence « va considérer toutes les options possibles, y compris de faire appel, pour s’assurer que ces réseaux sur lesquels dépend Internet continuent de fournir une plateforme gratuite et ouverte pour l’innovation et l’expression. »

La question centrale qui devra être abordée est celle de la définition juridique du « fournisseur d’accès ». En effet, c’est parce que ces derniers ne sont pas de simples supports du trafic (contrairement à un opérateur téléphonique par exemple), que les règles relatives à la neutralité du net ont été décrétées non applicables aux FAI.

Craig Aaron (Free Press) a ouvertement critiqué l’ancien Président de la FCC, Julius Genachowski, qui d’après lui « a fait une grave erreur quand sa Commission a omis de poser les règles de l’internet ouvert sur une base légale solide. »

La Fondation Mozilla a, elle, invité  la FCC « à traiter les FAI comme des services de communications et à restaurer ses règles sur la neutralité du net. »

Selon Tim Wu, c’est « l’alternative évidente ».

Comme a justement titré Joshua Brustein son article pour Bloomberg Business Week : « la victoire de Verizon sur la neutralité du net annonce plus de batailles à venir ». Et Free Press a d’ores et déjà invité les citoyens américains a signé une pétition en ligne. 

Quant à nous, nous vous proposons de (re)voir et partager le petit film ci-dessous !

  

 

* France Télévisons défend dans toutes ses positions officielles et prises de parole publiques le principe crucial de la neutralité du net, au nom des libertés publiques fondamentales (information, expression et innovation).