Abolir la neutralité du Net, c’est revenir au Minitel

La fin de la neutralité du Net nous ferait retourner à l’époque ultra-contrôlée du Minitel, et poserait d’importants risques à notre future croissance économique, a averti jeudi à Budapest, l’expert français Bernard Benhamou.

Aujourd’hui menacé des deux côtés de l’Atlantique, ce principe – qui garantit l’égalité de traitement des données qui circulent sur le réseau—ne protège pas seulement les libertés d’expression, d’information, d’innovation et d’accès à la culture, mais reste crucial pour assurer la réussite de l’Internet de demain, notamment en matière de santé et d’énergie, précise le secrétaire général de l’Institut de la souveraineté numérique.

Un sujet avant tout politique

S’exprimant devant l’Assemblée des affaires publique et juridiques des TV publiques européennes, Benhamou a exhorté l’UER, « en première ligne dans le service de l’intérêt général et l’information des citoyens », à tout faire pour que les règles au cœur de l’Internet ne changent pas.

« Très longtemps, la neutralité du Net est restée une question technique, voire économique. Or, elle est hautement politique, car elle impacte désormais tous les secteurs de notre nouvelle vie connectée ».

« Déjà, le web se transforme rapidement vers l’Internet des objets, le web industriel, ou ce que Google appelle le web physique où les capteurs fourniront plus d’informations que les ordinateurs, les machines ou les hommes ». « Cela aura un impact majeur sur nos vies. Il faudra donc préserver un Internet neutre et mondial. »

« Les citoyens doivent se révolter contre toute tentative de discrimination et de prioritisation, même au nom de la qualité ou de la sécurité. Sinon, nous aurons un Internet très contrôlé et plus de liberté d’innovation. Nous aurons une sorte de Minitel 2.0 ou 3.0 lorsqu'il fallait plein d’autorisations pour s’exprimer, un système de kiosque fermé à la iTunes ».

Bernard Benhamou

Bernard Benhamou

 

La neutralité du net est aussi une arme anti-trust

 « Elle permet de prévenir toute tentation d’hégémonie sur les tuyaux ou de contrôle monopolistique d’Internet »

« Si on change les règles au cœur d’Internet, on ne change pas seulement les règles des telcos et de la liberté d’expression, mais on prend des risques important sur la croissance économique du futur. Or déjà aujourd’hui, les Européens ne produisent que 1% de l’activité économique mondiale sur Internet. C’est effrayant ».

"Il nous faut être présent là où s’élaborent les normes techniques qui sont plus importantes que le cadre juridique qui se bâtit ex-post. Et dans l’ère post Snowden, il faut que les normes techniques soient indépendantes des agences de sécurité des Etats qui risquent de détruire le réseau lui-même (…) La surveillance globale est une attaque contre Internet et doit être proscrite ».

« La noblesse de la démocratie c’est de porter des valeurs. A vous aussi de les porter ! », a conclu Benhamou, qui était il y a encore quelques mois délégué aux usages de l'internet au ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur.

Les télés publiques européennes exigent la neutralité du net

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L’Union européenne de Radio-Télévision, soutenant pleinement les positions prises par le Parlement européen en avril, se mobilise : elle vient de co-signer une lettre ouverte avec d’autres organisations, exhortant les pays membres à garantir un Internet ouvert dans leurs prochaines discussions.

La présidence italienne de l’UE a fait récemment circuler un texte en ce sens et vise à obtenir un consensus général lors de la prochaine réunion des ministres en charge des télécommunications le 27 novembre à Bruxelles pour pouvoir négocier de nouveau avec la nouvelle Commission et le nouveau Parlement.

La lettre ouverte de l’UER prévoit la co-existence d’un Internet ouvert avec des services managés et des services spécialisés à la condition qu’il n’y ait pas de discrimination contre des contenus spécifiques et que cet Internet managé soit strictement contrôlé et transparent.

Au niveau des Etats, les Pays-Bas et la Slovénie sont les plus intransigeants puisque cette position y est déjà inscrite dans la loi. Suivent la Finlande, l’Allemagne et la Belgique. Le Royaume Uni continue de prôner une approche d’auto-régulation tandis que la France, semble vouloir retarder les décisions, pour inclure dans une révision du paquet télécom la neutralité des plateformes et donc l’OTT.

Un nouveau danger

Mais après la menace du web à deux vitesses, c’est désormais l’apparition d’offres de FAI dites « à tarif zéro » pour certaines applications (type Wikipedia, Spotify ou Facebook) qui inquiète les défenseurs de la neutralité du Net.

Certains opérateurs décident ainsi de ne pas facturer pour l’utilisation en mobilité de certains de leurs services ou de ceux de leurs partenaires, discriminant de facto les autres. Tout le monde n’a ainsi plus accès au même Internet !

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Ps : Les membres français actifs de l’UER sont France Télévisions, Radio France, France Médias Monde, mais aussi TF1, Canal+ et Europe1.