Industries culturelles et créatives : la parole aux entrepreneurs

Par Emilie Balla et Alexandra Yeh, France Télévisions, Direction de la Prospective

Accompagnement des entrepreneurs, financement de projets, développement en France et à l’international : tous les aspects de l’entrepreunariat culturel ont été abordés, il y a quelques jours à Paris, lors de la 2ème édition du forum "Entreprendre dans la Culture" organisé par le Ministère de la Culture. Des professionnels issus de tous secteurs, de la presse papier au jeu vidéo, en passant par la réalité virtuelle, se sont succédés pour débattre des perspectives des industries créatives en France.

Etat des lieux :

Jeu vidéo : la partie commence

Avec l'explosion du e-sport, le jeu vidéo est en passe de devenir l'un des piliers des industries culturelles et créatives françaises. Le développement de filières de formation spécialisées et des financements proposés par le CNC, la Banque Publique d'Investissement et l'Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles (IFCIC) ont fait du marché français du jeu vidéo un secteur en pleine expansion.

Lors du Forum, plusieurs entrepreneurs sont revenus sur leur expérience et ont débattu des spécificités du secteur mobile, particulièrement prisé par les nouveaux entrants sur le marché du jeu vidéo car plus accessible que la filière des jeux sur console. Tous s'accordent à dire que le marché des applications de jeu sur mobile est un secteur où la barrière à l'entrée se trouve moins sur la production du jeu que sur sa commercialisation et son marketing. En effet, avec une licence d'entrée sur l'Apple Store à seulement 90$, c'est une profusion de nouvelles offres qui sont proposées chaque jour, et les créateurs d'applications se retrouvent tout de suite en concurrence avec les meilleurs développeurs mondiaux. Une bonne raison, selon Francis Ingrand (directeur de PlugIn Digital), de proposer des jeux en plusieurs langues dès leur lancement. Une condition d'autant plus indispensable lorsque l'on sait que les Etats-Unis et la Chine représentent à eux seuls 75% du marché mondial du jeu vidéo, contre seulement 5% pour la France.

Enfin, pour ceux qui souhaitent se lancer sur ce marché, tous les professionnels du jeu vidéo ayant témoigné au cours du forum se sont accordés sur un conseil clé : l'adaptabilité. En effet, tous ont insisté sur la nécessité de savoir réorienter le processus décisionnel de leur entreprise dans un secteur où les technologies et les usages n'ont jamais évolué aussi vite.

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"Entreprendre dans le jeu vidéo: panorama et enjeux au travers de témoignages d’entrepreneurs "

Internet, incubateur de talent(s) ?

C'est la question que posait l'une des conférences dédiées au secteur audiovisuel. Pour les créateurs de contenus, l'essor des plateformes de diffusion sur le web a signé le début d'une nouvelle ère, d'abord en termes de démocratisation de la création : plus besoin de gros moyens pour créer et exposer son œuvre, désormais il suffit d'un simple smartphone et une connexion internet. Une philosophie parfaitement incarnée par YouTube, dont le slogan, « Broadcast Yourself », symbolise plus que jamais l'idée de mettre à la portée de tous les moyens pour diffuser ses créations à une audience mondiale. Avec l'essor de telles plateformes, Internet est ainsi devenu un terrain d'expérimentation privilégié pour les apprentis créateurs et une mine d'or pour les producteurs à la recherche de nouveaux talents.

Si autrefois c'étaient aux producteurs de repérer les artistes susceptibles de plaire au grand public, aujourd'hui ce sont les créateurs eux-mêmes qui s'exposent et se construisent une communauté de fans grâce à la vitrine que constitue Internet. Le revers de la médaille ? Pas facile de se distinguer lorsque notre vidéo est perdue au milieu des 400 heures de contenus mises en ligne chaque minute sur YouTube. La visibilité n'est donc pas toujours au rendez-vous, mais lorsque les YouTubeurs parviennent à accumuler les vues et à gagner en notoriété, un nouvel univers s'ouvre à eux. Ceux qui franchissent le cap des 10 000 abonnés obtiennent en effet le droit d'accéder au YouTube Space, un espace dédié aux créateurs avec mise à disposition d'outils de réalisation et de post-production, qui se veut aussi un lieu de rencontre et d'ateliers pour échanger les bonnes pratiques sur la plateforme. Les plus prometteurs se voient de plus en plus souvent proposer des contrats avec des MCN, ou multi-channel networks, des agrégateurs de chaînes qui les accompagnent dans la gestion de leur audience, des régies publicitaires et des droits de diffusion.

En permettant aux créateurs amateurs de confronter leurs œuvres à une audience mondiale, YouTube est donc bel et bien un incubateur de talent. Mais c'est aussi et surtout une plateforme qui favorise la professionnalisation de ceux qui parviennent à construire une communauté et à se faire repérer.

YouTube Space

La réalité virtuelle, nouvelle frontière des industries culturelles

Autre gros dossier abordé par ce cycle de conférences, la réalité virtuelle. Des professionnels d'Arte, France Télévisions, Orange et de la société de production Agat Films & Cie ont été invités à dresser un panorama de ce marché en pleine expansion et à présenter quelques uns de leurs nombreux projets VR. Tous ont insisté sur l'interactivité, la mobilité et la viralité inédites permises par cette technologie, et sur la nécessité de ne pas considérer la réalité virtuelle que comme un simple support de diffusion, mais aussi comme un vecteur de création.

France Télévisions et Arte ont notamment insisté sur un point : la technologie ne doit pas être un prétexte pour la création, elle doit être mise au service de la narration pour proposer une offre culturelle sur tous les écrans. Arte, qui cherche à renforcer son statut de média global européen, explique que la VR lui permet de tester de nouveaux formats et de penser ses programmes sur toutes les plateformes. La chaîne franco-allemande a ainsi présenté plusieurs projets de réalité virtuelle, dont le film « I, Philip », une expérience immersive dans la vie de l'auteur de science-fiction Philip K. Dick, ou encore le jeu vidéo « Sens », une plongée dans un labyrinthe graphique déroutant. Arte s'est également associé à Agat Films & Cie pour créer « Notes On Blindness », une expérience immersive dans la peau de John Hull, un écrivain devenu aveugle à l'âge de 45 ans, acclamée au festival Sundance.

Du côté de France Télévisions, ce sont deux documentaires en VR qui ont été mis à l'honneur : « The Enemy », qui rompt avec l'imagerie traditionnelle de la guerre en permettant au spectateur une immersion dans chaque camp de conflits ancestraux, ainsi que « Le Goût du Risque », un documentaire de France Ô qui nous met dans la peau des sportifs de l'extrême.

Si le marché de la VR est en plein envol et est appelé à évoluer dans les mois qui viennent, les acteurs du secteur s'accordent sur un point : il est encore impossible de tirer des conclusions sur les nouvelles pratiques émergentes. Pour l'heure, les médias précèdent les usages, et après avoir séduit les early adopters avec des premières expérimentations, le plus gros reste à faire : convaincre le grand public de l'immense potentiel de la réalité virtuelle.

Longue vie au papier !

Alors que la plupart des éditeurs investissent dans le numérique, certains tentent le pari osé du tout papier, qui plus est du payant. Valérie Toranian, a délaissé la direction du magazine Elle, pour un challenge bien plus difficile à relever ; celui de reprendre un des plus anciens mensuels français, La revue des deux mondes, qui date de 1829. Depuis son arrivée à la tête du mensuel en décembre 2014, elle a pour objectif de le recentrer sur des thématiques contemporaines et non plus seulement sur les voyages comme c’était le cas à l’origine.

« Notre lectorat est plutôt âgé et prêt à payer 15 euros chaque mois, mais nous avons également la volonté de conquérir un public plus jeune. »

Revenir au papier a  aussi été le choix de Franck Annese, responsable du groupe So Press qui comprend notamment les célèbres So Foot, lancé en 2003 et Society, le quinzomadaire de société fondé en 2015. Ce dernier a d’ailleurs été lancé sans numéro 0 ni étude de marché. «  Nous voulions surtout quelque chose qui nous ressemblait et non plus faire ce que les lecteurs attendaient de nous », a expliqué Franck Annese pour qui les études de marché étouffent la créativité. Aujourd’hui le succès est au rendez-vous, mais la route a été longue avant de parvenir à rentabiliser les ventes des différents magazines, « nous avons perdu 30 000 euros par mois pendant 9 ans ! »

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Table ronde " Nouvelle génération dans la presse: le pari du papier "

Le papier un média haut de gamme ?

Arnaud Viviant, ancien journaliste de Libération et Les Inrockuptibles, a créé en 2012 Charles, un "Mook" (contraction de magazine et book) politico-culturel à 16 euros l’unité. Pour cette revue, il a fait le choix de ne pas faire appel à des publicités car « cela ne correspond pas à l’univers du livre » dans lequel l’équipe souhaite s’inscrire.

Les thématiques ne sont pas les mêmes, le style aussi est différent mais tous ont l’envie de donner aux lecteurs un livre esthétique et de qualité présenté comme un magazine, et que l’on peut conserver sur son étagère comme un élément de collection.

« L’objet physique reste important dans notre société, l’exemple de la liseuse est parlant. Elle a été détournée de son usage premier, aujourd’hui beaucoup d’enfants l’ont transformée en console de jeux » renchérit Arnaud Viviant.

S’ils ont décidé de redonner vie au papier c’est aussi parce que le business-modèle actuel du web ne correspond pas à leurs attentes. Tous sont d’avis que les formats longs ne fonctionnent pas sur le web car « ce n’est pas très agréable à lire ». Sur Internet, nous lisons en effet des articles bien spécifiques, essentiellement courts, et qui répondent à des interrogations précises pour lesquelles nous voulons des réponses rapides. Les magazines papier au design étudié proposent tout l’inverse. Ils laissent le lecteur feuilleter les pages unes à unes pour découvrir les sujets et s’attarder sur un article, chose impossible sur un média en ligne.

L’Etat à la rescousse des médias

Depuis plusieurs années, différents modèles se sont construits sur Internet. Le plus répandu reste celui du tout gratuit financé par les annonceurs, ce qui coûte moins cher mais ne rapporte pas assez pour les éditeurs de contenus. Parmi eux le seul à avoir opté pour la formule gratuite c’est Alexandre Curnier, responsable de la revue culturelle Noto, lancée en 2013. Gratuite oui, mais elle devient payante à l’abonnement, pour ceux qui souhaitent la recevoir directement dans leur boîte aux lettres.

Difficile de lancer son projet dans un milieu très concurrentiel, d’autant plus quand on ne dispose pas de fonds propre. C’est pourquoi, il existe des aides de presse accordées par la CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse). Elles sont toutefois ciblées sur les titres d’information, considérés comme part importante du débat civique mais excluent les titres de presse culturelle. Le fonds stratégique accorde également une aide aux PME créés il y a moins de 3 ans, inférieures à 250 salariés et réalisant moins de 50 Milliards d’euros de chiffres d’affaire annuel. Il s’agit notamment de bourse de création, de programmes d’incubation médias ainsi que d’aides à l’exploitation de l’entreprise. La TVA à taux réduit, soit à 2,1% fait également partie de ces aides accordées pour les éditeurs de presse papier ou en ligne depuis 2014.

Cela fait des décennies que l'on parle de crises successives de la presse, dues à l’apparition de la télévision, puis d'internet. Chaque fois le coup porté semble plus difficile à accuser, à tel point que l'Etat intervient en insufflant quelques aides pour assurer la pluralité du débat. Pourtant ces entrepreneurs de la presse osent et investissent, chacun avec une approche différente de la culture, quelle soit payante, gratuite ou hybride. Si certains misent sur la formule papier, d'autres rêvent d'atteindre l'indépendance de Mediapart.

Mais tous sont unanimes, il faut innover, se réinventer!