« On est mort ! » avais-je textoté un peu vite à Paris, début 2012, en sortant de la keynote de YouTube, qui annonçait à Las Vegas, son arrivée dans les contenus pros. C’était un peu exagéré …
Mais que dire après la présentation par Facebook mercredi à Cannes de sa nouvelle plateforme Watch qui diffuse désormais émissions et séries ?
Après Netflix, Amazon, YouTube, Apple, maintenant Facebook ! Ça se complique …
Salle comble en tous cas au Palais des Festivals. Réunis au MIPCom, les professionnels des programmes étaient curieux d’en savoir plus sur cette tardive, mais puissante, percée vidéo, lancée il y a juste six semaines aux Etats-Unis.
Ils n’ont pas été déçus !
« Avec 2 milliards de personnes chaque jour sur Facebook, ce serait formidable et possible d’arriver à diffuser une série mondiale », a lancé le jeune directeur des contenus vidéo, Daniel Danker. Depuis début septembre, Facebook Watch a déjà accompagné « près d’un millier de programmes différents pour une durée moyenne de visionnage de 15 minutes », a précisé Ricky Van Veen, patron de la stratégie mondiale de création du réseau social. « La vidéo explose sur Facebook. Elle représente aujourd’hui la moitié du trafic mobile. Dans 5 ans ans, ce sera 75% ».
Et dire que Facebook n’existait quasiment pas dans la vidéo avant l’Ice Bucket Challenge il y a trois ans !
Skam sur Facebook Watch
Infos, fictions, séries, action, live, tout est présent sur Watch, ou presque. La fameuse série norvégienne Skam pour jeunes adultes y sera disponible sous peu en anglais, ont-ils annoncé. Des partenariats sont noués, comme avec Comedy Central, qui y propose les coulisses de son fameux Daily Show. Et surtout des outils dédiés y sont disponibles pour créer des groupes, réagir en direct, doper l’engagement de l’audience vidéo et la viralité, graals recherchés par la plateforme.
40% du temps passé sur les vidéos vient des partages, précise Facebook. Et « une vidéo sur cinq de la plateforme est live, là où les commentaires sont 10 fois plus nombreux ».
Les premières recettes du succès sur Watch ? « Savoir activer sa communauté, produire des vidéos plus longues que sur le mur classique, opter pour des formats non traditionnels, et surtout proposer des contenus faits pour Facebook ».
Les dirigeants de la plateforme américaine ont confirmé une extension internationale de Facebook Watch, sans en préciser ni la date ni les marchés. Et ils n’ont pas exclu la possibilité de produire à terme des contenus originaux. « On y réfléchit ». Leur force ? L’argent bien sûr, leur reach, leur connaissance intime des utilisateurs, leur maîtrise de la pub programmatique, et donc leur capacité à adresser directement et avec pertinence les communautés visées. Mieux même que Netflix.
Avec leur incroyable puissance (quatre plateformes à plus d’un milliard d’utilisateurs) « les dragons technologiques ont bien commencé à reconfigurer le monde des médias (…) ils sont désormais absolument partout sur la chaîne de valeur, et aujourd’hui, ils arrivent dans la télé », a résumé le DG d’Havas et président de Vivendi Content, Dominique Delport. « La bataille pour les contenus originaux ne fait que commencer. (…) L’argent est disponible, mais nous avons besoin d’un nouveau système d’exploitation ! Donc de comprendre la technologie et de mieux former encore les équipes ».
Car « avec des contenus qui sautent de plateformes en plateformes, le niveau de disruption et de complexité est en train de s’accroître », a renchéri la firme américaine Parrot Analytics qui mesure les audiences TV.
Le mobile, fondamentalement un nouveau média
La veille, le patron des contenus originaux de Snap, Sean Mills, avait déjà secoué les festivaliers en décrivant l’énorme virage mobile pris par l'ensemble des process de création vidéo. Il a confirmé à son tour le succès de l’arrivée ces derniers mois de Snapchat dans le monde des séries et des fictions courtes. « 72% de la consommation vidéo est déjà mobile », rappelle-t-il.
Pour y réussir, a-t-il expliqué, il faut saisir l’audience dans les toutes premières secondes, tourner en mode vertical (portrait), privilégier les éléments très visuels, ne pas hésiter à proposer deux images l’une sur l’autre sur le même écran de smart phone, parler à la première personne.
Snap, qui compte déjà 170 millions d’utilisateurs actifs chaque jour avec une audience surtout composée de 18 à 24 ans (et moins) dont elle sait tout ou presque, en a profité pour annoncer à Cannes une joint venture avec NBC pour monter un studio de production de contenus mobiles pour millenials.
Certes, la TV traditionnelle domine toujours largement, mais chacun sent bien la progression inexorable de l’OTT internationale et de la consommation à la demande. Les mesures d’audience classiques par panel, sur lesquelles reposent tout le modèle publicitaire, sont de plus en plus remises question de part et d’autre de l’Atlantique.
La découvrabilité, nouvelle clé de succès
Dans ce nouveau paysage, les télévisions historiques mettent l’accent sur le tri, le choix, la curation des contenus et des oeuvres face aux algorithmes et aux données des plateformes.
« On veut que les meilleurs artistes accrochent leurs œuvres dans notre galerie et on veut que la queue à l’entrée soit plus longue qu’avant » a joliment résumé le pdg de HBO, Richard Plepler qui annonce aussi ... une généralisation de son offre OTT en 2018.
Mais cela ne suffira pas. Elles savent que leur avenir passera par les données (qui permettent de diminuer le risque du doigt mouillé) et la personnalisation de la distribution, a indiqué une directrice de la RAI italienne.
Car "une série à succès, c’est autant aujourd'hui de l’art que de la science », a expliqué la plateforme néozélandaise de SVoD Lightbox, pour qui les clés du succès passent désormais par la variété, la fraîcheur et la facilité d’accès, qualités premières d’un contenu de qualité, associées à la capacité à être partagé (bouche à oreille), la réputation de la marque et la qualité de l’expérience.
On le voit: le foisonnement exponentiel de contenus vidéo, de plus en plus fragmentés, entraîne bruit et confusion pour séparer le bon grain de l’ivraie, et donc des problèmes de plus en plus complexes de distribution et d’accès.
« Les contenus doivent trouver leur audience et non l’inverse. Ceux qui gagneront seront ceux qui proposeront la meilleure découvrabilité », prévient la plateforme américaine Roku qui diffuse déjà … 5.000 chaînes différentes.
Bouquets légers
Les chaînes d’Amazon (USA, UK, Allemagne et bientôt Japon) font en tous cas peur à tout le monde. Cannes a ainsi sonné le glas des gros bouquets TV coûteux. Place donc aux bouquets allégés de chaînes, souvent inconnues et qui ne survivront pas toutes, opérés par des agrégateurs virtuels. Le numérique le permet.
Le patron de l’entertainment et des contenus d’Orange l'a clairement dit à Cannes : nous redoutons l’hégémonie future possible de Netflix et d’Amazon. « Il leur faut un concurrent. Nous souhaitons que se réalise le projet d’un Netflix européen (…) Pourquoi ne pas déjà créer un lieu de dépôt commun pour les œuvres européennes et les rendre disponibles en VoD », a proposé Christophe Bombrun.
« Les usages ont évolué (…) Nous sommes bien passés de la TV à la vidéo totale », avait prévenu, le premier jour du MIPCom, Eurodata TV.