Le backlash contre les GAFA ne fait que commencer, mais l’Europe a du mal à exister (#DLD18)

Quel retournement en un an ! Lors de l’investiture de Trump, les cadors de la Silicon Valley de passage en Europe s’inquiétaient juste de voir leur élan freiné par une nouvelle administration américaine conservatrice. Ils n’imaginaient pas qu’un an après, ils devraient, penauds, s’expliquer pour les excès de leurs pratiques.

A Munich, cette semaine, lors de la conférence annuelle DLD sur l’innovation, les Européens en ont profité pour faire valoir leurs atouts, mais ils semblaient bien impuissants face à l’avance et à la puissance technologiques des géants américains et chinois.

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Cette année, c'est sûr, il y a moins d'euphorie, a résumé la directrice de DLD Steffi Czerny, en ouvrant cette conférence sur la route de Davos. « On a ouvert la boîte de Pandore et on a trouvé une boîte noire », avec pêle-mêle le capitalisme de surveillance, les menaces sur la démocratie, les abus de positions dominantes, les fake news, le creusement des inégalités, l'automatisation des emplois, etc.

De fait, le vice-président de Facebook responsable de la communication et du marketing, Elliot Schrage, a fait immédiatement acte de contrition : « Nous n'avons pas bien rempli notre mission (...) Nous avons été trop lents à protéger les utilisateurs des discours de haine, comme à répondre aux interférences étrangères et aux discours de propagande. » 

« Dans toute start-up, il y a un côté rebelle, mais Uber est allé trop loin. Vouloir gagner à tout prix a masqué les problèmes et les mauvais comportements », a reconnu son nouveau PDG Dara Khosrowshahi en promettant de travailler à l’avenir avec les autorités de régulation des pays où il s’implante et « un tournant dans la culture de l’entreprise ».

« Il faut donc reprendre du pouvoir aux géants car tous les gains des vingt dernières années sont allés vers eux et à une poignée d'autres. D'où la colère des gens », a estimé Albert Wenger, associé du grand capital-risqueur newyorkais Union Square Ventures. « Il est même temps de les démanteler », a réclamé Scott Gallaway, professeur de marketing à l’université de New York. « Avant tout pour qu’elles arrêtent de tuer les petites sociétés. »

Car « les plateformes ne sont pas en apesanteur, à juste produire des technologies. Elles ont, comme nous, des responsabilités dans la société », a jugé Paul-Bernhard Kallen, PDG du groupe de presse Burda, hôte de la conférence.

Pour Matthew Bishop, ancien éditeur de The Economist, aujourd'hui à la fondation Rockefeller, « nous n'assistons pas là à un mouvement d'humeur passager contre la technologie, mais bien à un changement de paradigme ». Le backlash pourrait même selon lui rappeler l'émergence du socialisme enfanté par la première révolution industrielle. « Les GAFA vont devoir fournir au public des réponses convaincantes. »

Mais selon l’essayiste Evgeny Morozov, il est peut-être déjà trop tard : pour lui, les GAFA en sont même arrivés à une certaine indifférence, voire à une saturation à l’égard de nos données, dont ils auraient déjà fait le plein. Il prédit que l’heure est bientôt à la fin de la gratuité, à l’arrivée de services payants, voire au pitch de nos données aux gouvernements et aux compagnies d’assurance.

Dans ces échanges, l'Europe a semblé en retrait. Incapable de prendre le relais. Comme tétanisée face aux empires technologiques américains et chinois.  

« L'Europe a été créée pour éviter la guerre, pas pour devenir un leader technologique », a rappelé le patron de Burda. De fait, « nous avons perdu pour toujours la bataille des plateformes B2C, mais nous pouvons encore gagner celle de l’Internet des objets », a assuré le PDG de Deutsche Telekom, Timotheus Höttges, qui mise beaucoup sur la 5G. « À condition que les États nous octroient de nouvelles fréquences. »

Mais comme l’a regretté un expert en cyber-sécurité du gouvernement allemand, les firmes européennes sont moins « proches » de l’administration de leur pays que leurs concurrentes chinoises, russes, ou mêmes américaines.

Certes, toutes les grandes villes européennes deviennent désormais des « tech-cities » où les emplois dans la high-tech progressent trois plus vite que dans le reste de l’économie, d’après le dernier état des lieux de la tech européenne. L’Europe compterait même plus de développeurs que les États-Unis (5,5 millions contre 4,4 millions). Mais elle est aussi loin d’être le marché unique rêvé. Même pour le numérique. Et la nouvelle commissaire européenne au Numérique, Mariya Gabriel, a une nouvelle fois plaidé – pour l'instant en vain – en faveur de l’effacement des frontières pour les consommateurs de médias.

ES