Web Summit 2018 : Netflix, un peu d'IA et une pincée de "tech for good"

Par Frédéric Lecoin, France Télévisions, Direction de l'Innovation | Relations avec les start-ups

Le Web Summit a de nouveau ouvert ses portes en se faisant peur, cette semaine à Lisbonne, à grand renfort de déclarations anxiogènes, de critiques des grands acteurs de l’Internet, de profondes inquiétudes sur la tech, sa place dans la société, voire sur le détournement de la technologie de ses louables intentions originelles.

En 2016, l'organisateur du Web Summit Paddy Cosgrave avait appelé les spectateurs à allumer la lampe torche de leur portable en déclarant : « une ère incertaine est en train de s'ouvrir, une ère des ténèbres. Faites de la lumière pour lutter contre cette ère des ténèbres. » Cette année, il parle de « trou d’air », de « peur des conséquences potentiellement néfastes » véhiculées par les nouvelles technologies.

Bref, rien ne change vraiment au plus grand événement tech européen : Facebook est le grand méchant, souvent considéré comme un acteur qui n’adopte pas une démarche partenariale. Apple s’y fait discret tandis que Google, Microsoft, Amazon et IBM y installent de grands stands.

Netflix présent !

Netflix présent sur le Web Summit pour la première fois, de manière éphémère mais tout de même ! Dans une véritable opération séduction, Greg Peters, Chief Product Officer de Netflix, intervenait sur la scène de « Content Makers » pour affirmer l’engagement de Netflix dans la production européenne. A l’origine de l’investissement de Netflix dans les contenus locaux ? Le constat que seulement 5% de la population mondiale est anglophone alors que la grande majorité des contenus était produit aux Etats-Unis. Netflix a donc fait le pari de productions locales qui, par leur authenticité, l’universalité de leurs problématiques et une attention particulière portée aux narrations, doivent pouvoir rencontrer le succès à l’international.

Greg Peters en a profité pour annoncer deux nouvelles productions : l’une, espagnole, « Alma », une série fantastique réalisée par Sergio Sanchez, l’autre norvégienne, « Ragnarok » par le scénariste de « Borgen », Adam Price.

Greg Peters a également insisté sur l’importance, pour Netflix, de l’expérience utilisateur, passant à la fois par une expérience aboutie sur un nombre maximal de devices et surtout par des efforts de la société sur le sous-titrage et le doublage des contenus. Netflix cherche à augmenter le nombre de langues disponibles autant qu’elle travaille sur la qualité des traductions et du doublage (synchronisation, adéquation des voix, etc.).

Crise de confiance ?

La question de la confiance reste au cœur des réflexions, en particulier dans le domaine des médias.

Le sujet « fake news » revient souvent, avec beaucoup de fatalisme (la propagande existe depuis toujours / lutter contre ce phénomène prendra du temps) et peu de solutions (chaque citoyen doit interroger son comportement et ses habitudes en ligne / il faut privilégier l’éducation, le développement de l’esprit critique plutôt qu’instaurer de nouveaux règlements / les plateformes sociales ont un rôle à jouer mais leur modèle économique est en contradiction avec les enjeux démocratiques).

Dima Khatib, Managing director d’AJ+, fait néanmoins part d’une initiative menée au Mexique durant les dernières élections : les citoyens étaient invités à proposer aux équipes d’AJ+, via WhatsApp, des photos ou des vidéos. AJ+ répondaient directement à ses utilisateurs sur ce même canal après avoir vérifié l’authenticité de ces contenus.

Apprendre à connaître son audience, comprendre ses habitudes de consommation, adapter les contenus à chaque canal sont des leitmotivs à Lisbonne, autant que la recommandation pour les médias de refléter la diversité de la société au sein de leurs équipes.

De même, David Pemsel, CEO du Guardian, fait valoir la démarche de ce journal qui, en proposant une offre d’information de qualité et en observant les usages de ces lecteurs, a mis en place une stratégie sur 3 ans visant à s’appuyer financièrement sur ceux-ci. Le résultat ? D’ici mars 2019, The Guardian atteindra son seuil de rentabilité grâce à ses abonnés et aux contributions de ses lecteurs. Il vante également la capacité du Guardian à chercher et trouver des partenariats équilibrés avec les GAFA, annonçant par exemple un projet commun avec Google autour des assistants vocaux dans lequel journalistes du Guardian et ingénieurs de Google seront amenés à coopérer.

L’intelligence artificielle, technologie toujours très prisée

L’IA continue d'être mise à toutes les sauces, dans les start-ups de la finance, de la publicité, de la RH, du marketing, de l’automobile, comme sur les stands d’IBM, Microsoft et Google, ou dans les thématiques des conférences (« quel sera l’impact de l’intelligence artificielle sur l’économie ? », « l’intelligence artificielle et le travail du futur », « L’IA est-elle plus tendance que la réalité ? », « Un monde meilleur grâce à l’IA », « L’IA et son impact sur les applications de rencontre »…).

Le patron de Samsung, Young Sohn, fait part de ses espoirs dans l’IA :

Mais il met également en garde contre les dérives possibles, invitant à une « éthique » de l’intelligence artificielle et de son utilisation.

Shahrzad Rafati, fondatrice de Broadband TV, avertit quant à elle les médias de l’importance et de l’impact de l’IA pour les activités et les métiers de ce secteur, qu’il s’agisse de la production des contenus, de leur distribution, de leur « découvrabilité », des activités publicitaires et marketing ou encore des expériences utilisateurs.

Mais tous ces propos manquent de précision, peu de solutions sont vraiment dévoilées, peu de démonstrations apparaissent vraiment bluffantes. C’est probablement le signe que cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements et que sa pertinence ne fera que croître avec l’ingestion et l’analyse de données, c’est-à-dire grâce au machine learning.

Une troisième voie européenne : tech for good ?

Alors que VivaTech à Paris en mai dernier avait été l’occasion pour Emmanuel Macron d’appeler l’univers de la tech à sa mobiliser pour l’intérêt général, sous le slogan « Tech for good », le Web Summit a apporté une timide réponse à cet appel.

Certes, une scène était consacrée durant la première journée aux enjeux de la planète, de l’environnement et du développement durable. Certes, quelques tables rondes abordaient le sujet, essentiellement par l’intermédiaire de Mounir Mahjoubi, Secrétaire d’Etat au Numérique, ou des représentants de l’Union européenne. Certes, un « Social Innovation Village » faisait son apparition dans les allées du Web Summit, mais celui-ci ne réunissait qu’une poignée de start-ups. La réponse apportée semblait donc plus cosmétique qu’une véritable prise de conscience, surtout au regard des nombreux enjeux actuels (changement climatique, montée des populismes, crise des réfugiés…). Et le sujet ne se retrouvait guère au cœur des réflexions et de l’activité des milliers de start-ups et investisseurs présents sur place.

 

Quant au Web Summit d’ailleurs, son engagement initial pour une meilleure représentation des femmes se dilue progressivement. Malgré la persistance de son programme et de son espace « Women in Tech », le Web Summit se contente d’une très faible progression parmi ses participants (44% en 2018 vs 42% en 2016) et des panels rarement paritaires.

Si le modèle américain semble aujourd’hui questionné, il l’est davantage par les pouvoirs publics qui en appellent à une troisième voie européenne, cette fameuse « tech for good », ne cherchant pas seulement le profit, ni le contrôle par les données, mais replaçant la technologie au service de l’humain.

Au final, le Web Summit reste un formidable espace pour analyser et comprendre les tendances et les mouvements en cours dans l’univers de la tech, même si celui-ci apparaît souvent très autocentré. Surtout, cet événement est l’occasion de milliers d’échanges entre grands groupes, start-ups, investisseurs avec l’objectif de découvrir de nouvelles pépites et de nouveaux terrains de collaboration.

L’infographie :

Les chiffres clés du Web Summit : 

  • 70 000 : c’est le nombre de participants pour ces 3 jours d’événements, de conférences, de rencontres avec les start-ups.  Près de 2 000 start-ups sont présentes sur place, ainsi que 1 500 investisseurs.
  • 1 200 : 1 200 speakers interviennent dans les conférences sur 24 scènes différentes. Parmi lesquels le Premier ministre Portugais, XXx, Margrethe Vestager, membre de la Commission européenne, Young Sohn, président de Samsung, António Guterres, secrétaire général de l’ONU, l’ex-Premier ministre britannique Tony Blair…
  • 975 000 : le nombre de kilomètres parcourus par les participants dans les allées du Web Summit, de Centre Stage au Pavilion 4, de la scène de Pitch 1 aux stands de start-ups Alpha 8…
  • 110 000 000 : en millions d’euros, la somme déboursée par la ville de Lisbonne pour conserver l’organisation du Web Summit dans la cité portugaise jusqu’en 2028.