« Slush 2018 » : TED rencontre Burning Man dans une boîte de nuit à Helsinki

Par Kati Bremme, Direction de l’Innovation et de la Prospective

Drôle d’idée de venir à Helsinki à cette époque de l’année, où le soleil se lève après 10 heures du matin pour disparaître à 15 heures, ...quand il veut bien se lever. L’aimant qui attire entrepreneurs, startup dreamers, investisseurs, fêtards et volontaires se nomme « Slush », la conférence-festival-foire organisée à l’origine par des étudiants finlandais, peu relayée en dehors des pays scandinaves.

Pourtant, il y aurait de quoi en parler. Cette 11ème édition de « Slush » a rassemblé 3.100 start-ups, 1.800 investisseurs, 20.000 visiteurs de 130 nationalités, 2.400 volontaires, 450 dirigeants d’entreprises – le tout à une température extérieure de 2° C pendant deux jours en décembre. Une raison de plus de se retrouver au chaud à l’intérieur dans une ambiance mi hygge mi boîte de nuit, après une visite de la forêt finlandaise offerte pour certains partenaires privilégiés de l’évènement.

Peut-être est-ce le manque de lumière (1 seule petite heure en hiver) qui inspire les codeurs, mais le fait est que les pays nordiques sont en tête des pays les plus innovants d’Europe. Avec seulement 3% de la population européenne, ils représentent plus de 50% des valorisations en bourse en milliards de dollars depuis 2005. Lieu de naissance d’entreprises à succès comme Skype, SoundCloud, Klarna, Rovio (les créateurs finlandais d’Angry Birds) et surtout Spotify (basé à Stockholm), les pays du Nord fournissent à eux seuls 10% des start-ups du monde.


Heatmap des start-ups européennes

La tech européenne rattrape la Silicon Valley

« Slush » c’est l’occasion de rencontrer la crème de la crème de la scène tech nordique, grâce à laquelle l'Europe peut soigner son complexe d’infériorité face à la Silicon Valley. En effet, cette année l’Europe affiche deux fois plus d’IPOs (introductions en bourse) que les Etats Unis, dont Spotify avec ses 26 milliards de dollars.

Le rapport « The state of European Tech » réalisé chaque année par l’entreprise Atomico, et présenté en début de l’événement de Helsinki, prévoit un record de 23 milliards de dollars d’investissements dans la tech européenne, contre 5 il y a 5 ans. 17 nouvelles compagnies ont dépassé la barrière du milliard de dollars de valorisation boursière cette année, c’est plus du double de l‘année dernière.

Seul bémol : l’Europe a dû mal à mettre en valeur ses près de 2 millions de chercheurs dans cet écosystème, un élément auquel « Slush » essaie de remédier avec notamment la « Science Pitching Competition ». Autre frein face aux Etats Unis et la Chine : la réglementation, notamment la récente loi RGPD, qui ajoute des contraintes au développement, même si la majorité des start-ups considère la loi comme bénéfique pour ses clients. Un autre challenge reste à relever : ayant importé en copié collé le modèle de la Silicon Valley, l’Europe a un sérieux problème de diversité dans le secteur de la tech, dont les traces se retrouvent, malgré les efforts, dans la sélection très masculine des intervenants à « Slush ». Une question traitée aussi dans l’intervention de Margrethe Vestager, Commissaire européen à la Concurrence.

Vert, innovant et cool

Impossible de résumer la série de conférences sur trois plateaux en parallèle et dans les studios, les centaines de rencontres et side-events, les plus de 3.000 start-ups en quelques phrases. Retenons quand même les éléments clés dont le leitmotiv des deux jours : technologie verte et développement durable, rappelé tous les 10 mètres dans les stations de recyclage, avec des volontaires qui enseignent le tri des déchets aux 20 000 participants. Du machine learning à la deep tech avec des innovations de rupture, « Slush » couvre un éventail gigantesque de thématiques autour de l’IA, la VR, l'AR, notamment pour les secteurs de la fintech et de la santé.


La start-up Wärtsilä’s propose des canots de sauvetage pour bâtiments en vue du réchauffement climatique et de la montée des mers

Des speakers prestigieux ont illuminé ce « Slush » plus international que les précédents : Werner Vogels, le CTO d’Amazon, Brian Halligan, le fondateur de Hubspot, Bob Moritz, Global Chairman chez PwC, Katarina Berg, Chief HR Officer chez Spotify, Cal Henderson, CTO de Slack, Bodil Eriksson, CEO chez Volvo Car Mobility, Julia Hartz, CEO de Eventbrite, …

La Slush Academy

« Slush » 2018 était aussi l’occasion d’annoncer la « Slush Academy », un programme de formation à l’entrepreneuriat, adossé à une série de partenaires académiques, comme Oxford Saïd Business School, London Business School, Aalto University, UC Berkeley, Singapore University of Technology and Design, Stockholm School of Economics, et avec des mentors issus d’entreprises et de start-ups de pointe, qui permettront à des étudiants de bénéficier de stages. Progressivement, et soutenu par l’Intelligence Artificielle, ce programme gratuit proposera un parcours entièrement personnalisé composé de stages, mentoring et jobs internationaux pour chaque étudiant. Le lancement de la « Slush Academy » est prévu pour le printemps 2019, avec une trentaine d’étudiants sélectionnés dans le monde entier.

Les neurosciences pour tous

La start-up CTRL-labs présente une nouvelle technologie qui permettra facilement de contrôler une machine avec nos pensées. Leur technologie « Intention Capture » fonctionne avec un bracelet connecté qui lit des impulsions électriques qui circulent le long des neurones du bras, ces dernières représentant des ordres en provenance du cerveau. Par rapport aux technologies déjà existantes, CTRL-kit possède, selon les experts, un avantage indéniable : le choix judicieux de la zone de pose des capteurs. Les neurones délivrent un signal plus aisément exploitable, en comparaison de celui délivré par des capteurs posés sur le crâne. Le système serait donc uniquement limité par la qualité des algorithmes d’apprentissage machine et la qualité du contact des capteurs avec la peau et pourra bientôt rendre obsolètes claviers, souris et écrans tactiles

Concours de start-ups « Slush 100 », the winner is…

C’est la start-up Meeshkan, spécialiste du développement de modèles pour du machine learning interactif, grâce à une interface pilotée par Slack, qui a remporté le concours de la meilleure start-up cette année avec une dotation qui comprend le support des partenaires du festival, et un voyage à San Francisco pour rencontrer les top managers de la Silicon Valley.

Un smartphone boosté à la blockchain

HTC présente son premier smartphone boosté à la blockchain, à peine une semaine après la start-up Sirin Labs et son Finney. Avec Dream, HTC avait déjà innové en proposant le premier smartphone commercial doté d'un système open source. Aujourd’hui, Exodus 1 se veut un pas important vers la reconquête de notre identité numérique par la blockchain, pour s’affranchir de la « tyrannie » de la technologie. Justement, pour reprendre le contrôle de ses données et sortir de la bulle de filtre, Rand Hindi, le co-fondateur de Snips, a aussi son idée : « Try to buy the book they did not recommend ».


Slush 2018, photo Riikka Vaahtera, Keeping Our Voices Private Rand Hindi

Des idées, et des ratés

« Slush » 2018, ce sont aussi des insights et des retours d’expérience, comme celle de Bradley Horrowitz, VP Product Management chez Google, qui résume avoir tellement bien réussi l’interface non addictive en design éthique de Google+, que le produit est finalement arrêté. Ou encore la culture d’entreprise chez Amazon où l’échec devient un point d’honneur et ne bloque pas la carrière. Et aussi le conseil de Risto Siilasmaa, le président de Nokia, qui incite tout un chacun à traiter l’entreprise comme leur propre voiture.

Conclusion

« Slush », c’est indéniablement l'une des plus grandes rencontres de start-ups en Europe, qui s’exporte désormais aussi à Tokyo, Shanghai et Singapour. Là où le Web Summit de Lisbonne avec ses 60 000 visiteurs ressemble plus à une foire classique, Slush se veut un festival de la tech, peut être plus ciblé, plus innovant et plus décontracté. En soutenant la formation des étudiants en entrepreneuriat, « Slush » vient d’ajouter cette année une nouvelle corde à son arc pour étendre son influence dans l’écosystème tech mondial.


Petite coupure agréable au milieu des rencontres et découvertes de start-ups : Le sauna. Slush 2018, photo Julius Konttinen

 

Photo de titre : Slush 2018, Petri Anttila